L'hypothèse de non-construction du réel

La collaboration du Laboratoire de psychologie cognitive avec des psychologues et chercheurs brésiliens est féconde. Les relations entre les hypothèses de figurativité et de non construction du réel ont constitué bon nombre des échanges, et c'est à Mme Z. Ramozzi Chiarottino que nous nous référerons afin d'évoquer cette nouvelle hypothèse qui lui revient 22.

La construction du réel se réfère en premier lieu à l'expérience sensori-motrice du jeune enfant qui consiste à construire actions, coordinations d'actions et systèmes d'actions afin d'établir l'objet, l'espace, le temps et la causalité. Une fois constituée sur le plan de l'action il s'agit en second lieu de la reconstruction de l'expérience du sujet au niveau de la représentation afin de la communiquer à ses semblables. ‘"Le réel c'est le monde des objets et des événements structurés par l'enfant par l'application de ses schèmes d'actions. C'est par l'intermédiaire de ces schèmes que l'enfant comprend les propriétés des objets, les régularités de la Nature... C'est grâce à l'action qu'il exerce sur le monde que l'enfant s'inscrit dans l'espace et dans le temps et qu'il perçoit la relation causale. Sans cette organisation, la représentation du monde ne sera pas adéquate et l'enfant ne pourra pas parler" 23 ’. En conséquence de quoi, la non construction du réel c'est l'absence de construction ou bien la construction inachevée des constituants du réel.

Autrement dit la construction du réel est la construction de la connaissance. Et celle-ci, non seulement embrasse le processus d'apprentissage mais est aussi un phénomène bien plus fondamental dès qu'elle se fonde sur l'abstraction réfléchissante. En effet si à partir de l'action, il y a abstraction et réflexion sur le plan des représentations, alors l'enfant peut donner signification aux choses et poursuivre son développement. Sans cette capacité de réorganisation du réel l'enfant n'accède pas aux apprentissages ou y accède de manière totalement figurative.

C'est l'observation d'enfants qui n'apprennent pas provenant pour la plupart des couches défavorisées de la population brésilienne, qui permit à Mme Z. Ramozzi Chiarottino de distinguer trois groupes, qu'elle rassemble cependant sous l'hypothèse de "non-construction du réel".

Tout comme l'hypothèse de figurativité, l'hypothèse de Mme Ramozzi s'inscrit dans la mise en place d'un diagnostic et d'une pratique rééducative ou remédiative d'enfants en situation d'échec à l'école.

Ces distinctions effectuées, il s'agit pour parfaire le diagnostic, de le compléter en recherchant où se situent les "zones de déficits". Cette localisation s'effectue en interrogeant l'histoire des sujets. Suite à cela, Mme Ramozzi est à même d'entreprendre les remédiations adaptées à chacune des catégories.

Les enfants du groupe A : Il s'agit de favoriser la construction sensori-motrice du réel afin que puisse avoir lieu le développement ultérieur. Les enfants distingueront alors le signifiant et le signifié et pourront organiser leur nouvelle expérience en termes de représentation et accéderont au langage.

Les enfants du groupe B : Il s'agit de favoriser la construction de leur expérience sur le plan de la représentation dans le cadre de la causalité physique. La remédiation consiste en l'observation de la nature, suivie de situations d'expérimentation et de verbalisations systématiques. En organisant ainsi des situations directement vécues, les enfants apprennent à organiser leur expérience sur le plan de la représentation sans confusion entre la fantaisie et la réalité.

Quant aux enfants du groupe C : Favoriser le passage de la représentation à la période opératoire par le lien causal conscient. La remédiation permet les évocations des représentations du monde qu'ont les enfants. En les réactualisant dans le présent les enfants éprouveront la nécessité de les structurer en créant des liens entre elles. Ainsi seulement les enfants prendront conscience de leur activité et de celle d'autrui.

La rééducation de ces enfants comprend les phases suivantes :

‘"1. Solliciter l'enfant à structurer le réel au niveau des représentations ;
le solliciter à effectuer des classifications et des sériations afin d'atteindre les opérations ;
le solliciter à formuler des explications comprenant le monde physique et, en particulier, les objets antérieurement structurés, au niveau de l'action." 24

Dans tous les cas, et en suivant la gradation proposé, il s'agit de permettre aux enfants d'actualiser des compétences qui ne se sont pas révélées faute de stimulation et de sollicitation du milieu aux moments propices.

L'importance des travaux de Mme Z. Ramozzi Chiarottino dans le passage de la théorie à la pratique est considérable. ‘"Aussi bien a-t-elle contribué à nous permettre de sortir de l'enfermement où nous maintenaient le laboratoire et ses recherches pour nous ouvrir à l'observation "in situ", si l'on peut dire, c'est-à-dire à l'attention sur ce qui se passe pendant la passation des épreuves" 25.’ Bénéficiant de "l'esprit" avec lequel Mme Ramozzi a mis en pratique la théorie piagétienne, M. Dolle a entrepris l'étude détaillée de la modalité figurative de pensée. Celle-ci a fait apparaître une taxinomie allant des arguments les plus figuratifs à ceux se rapprochant le plus de l'opérativité. Cette taxinomie qui peut être consultée, entre autres, dans l'ouvrage "Ces enfants qui n'apprennent pas", a permis la construction de cet instrument inestimable qu'est la remédiation opératoire.

Notes
22.

"De la théorie de Piaget à ses applications" Z. Ramozzi CHIAROTTINO. Préface et introduction. JM DOLLE. Païdos/Centurion.

23.

Idem. p.143.

24.

Idem. p.161.

25.

"Ces enfants qui n'apprennent pas" JM DOLLE, D. BELLANO. p.65.