La méthode clinique opératoire ou l'examen opératoire en vue d'un diagnostic se distingue de la méthode clinique utilisée dans le cadre d'une recherche expérimentale 27. Bien que toutes deux soient constituées par des épreuves élaborées par Jean Piaget, l'objectif recherché n'est pas le même. ‘"En effet chacune des deux entreprises ne recherche pas les mêmes buts. En ce qui concerne les expériences effectuées par Piaget, les questions formulées par le psychologue servaient à vérifier si tous les enfants à un niveau donné de leur développement, traversaient les mêmes étapes pour accéder à un domaine particulier de la connaissance. Il définissait ainsi le sujet épistémique" 28.’ L'examen opératoire, quant à lui, par son questionnement plus poussé vise à cerner les aspects structuro-fonctionnels de l'organisation cognitive de sujets concrets, à travers l'analyse des procédures afin d'élaborer un diagnostic. L'investigation structurale permet d'appréhender les capacités du sujet et le niveau cognitif auquel elles se réfèrent tandis que l'analyse fonctionnelle tend à mettre à jour les modalités de raisonnement mises en oeuvre par les sujets : figurativité ? opérativité ? types d'appréhension du réel ? quelles abstractions effectuent-ils ?... etc. Le questionnement de l'examen invite le sujet à expliciter sa démarche, à argumenter et à justifier ce qu'il fait et ce qu'il pense. Le psychologue pose des questions sans jamais induire la réponse, il effectue des suggestions et des contre-suggestions afin de décentrer le sujet de son point de vue propre et vérifier la solidité de l'argumentation.
Une fois le diagnostic opératoire réalisé, le praticien peut alors prévoir les situations-problèmes qui constitueront la remédiation cognitive opératoire.
D'une façon générale, la remédiation tend à favoriser la prise de conscience de l'ordre logique des actions par le sujet, sa capacité de déduction ainsi que l'accès à la causalité réversible.
Afin d'atteindre ces objectifs l'attitude du clinicien se doit d'être dynamique et alterne entre l'intervention et l'observation. L'observation elle-même se révèle doublement active, car le psychologue observe ce que donne à voir l'enfant, et dans le même temps il repère l'activation ou la construction du ou des schèmes à travers leur fonctionnement. D'après Jean Piaget, c'est de l'action que procède la pensée. Ainsi un comportement donne naissance à un schème d'action, une multiplicité de comportements amènent à leur tour d'autres schèmes d'action qui peuvent, en vue d'un but ou d'un domaine d'application commun s'apparier, s'organiser intérieurement en systèmes. Ces systèmes peuvent à leur tour devenir des sous-systèmes d'un système plus large, plus complexe ; et ceci selon un processus évolutif constant. Ce processus se présente comme une équilibration progressive et incessante entre l'activité assimilatrice et l'activité accommodatrice que l'enfant déploie dans son effort d'adaptation.
Pour maîtriser son action, le praticien se réfère à deux modèles d'analyse. Le modèle d'analyse synchronique prend en compte l'ensemble des faits qui constitue un système à un moment donné du processus évolutif. Partant de là, le praticien propose une situation-problème à laquelle pourront correspondre trois cas de réponses possibles :
la situation en tant que perturbation exogène est par trop massive, le sujet ne peut y répondre ;
le sujet y répond par l'activation de schèmes disponibles et adaptées. Le problème est résolu, le sujet reçoit un feed-back positif.
le sujet ne répond pas en totalité à la situation-problème car il ne possède pas les schèmes nécessaires à sa résolution. Néanmoins il donne des éléments de réponse correspondant aux schèmes d'assimilation dont il dispose : appréhension partielle du problème qui lui vaudra un feed-back négatif. Ceci aura pour effet de provoquer une perturbation de type endogène, condition sine qua non, pour qu'il y ait rééquilibrations. Bien qu'encore inadéquates, elles correspondent à de nombreux paliers d'équilibration qui peuvent être généralisés à des situations de complexité identique. La situation-problème de départ n'est pas encore résolue mais c'est en tenant compte des démarches tâtonnantes d'essais et d'erreurs que le psychologue va permettre à l'enfant d'accéder au niveau de complexité supérieure.
Le deuxième modèle d'analyse auquel se réfère le praticien est diachronique. Il prend en compte l'évolution des faits dans le temps et permet d'évaluer le niveau fonctionnel de la pensée de l'enfant. Il se présente sous la forme d'un parcours de six modules qui représentent le cheminement qu'effectue le sujet entre la découverte d'une situation-problème où la figurativité est dominante et sa résolution, effectuée sous dominance opérative. Du point de vue de ce qui est demandé à l'enfant, ce parcours correspond à une problèmatisation de complexité croissante.
Cette pratique remédiative et curative vise à sortir les enfants de la prédominance de la figurativité dès lors que le diagnostic en a révélé la nécessité.
"De la genèse de l'organisation cognitive à la modélisation de l'activité de remédiation opératoire", D. BELLANO. Thèse de doctorat 1992.
Idem. pp.45 à 59.
Idem.