d) L'épreuve de correspondance terme à terme

Dans cette épreuve, nous sollicitons l'enfant à concevoir l'égalité de deux quantités de jetons après une répartition égale d'un nombre donné d'éléments dans deux collections selon une relation de correspondance. Puis nous vérifions l'équivalence quantitative quelles que soit les transformations des configurations spatiales des collections. Pour deux enfants, nous avons fait passer l'épreuve ci-dessus. Pour les sept autres nous avons adapté la situation telle que Bellano le propose dans sa thèse de doctorat 31. Deux verres de même contenance sont placés côte à côte. Nous demandons à l'enfant d'en remplir un avec des perles en même temps que nous emplissons l'autre. Les adjonctions sont effectuées en correspondance avec une perle à chaque fois.

D'une façon générale nous avons observé une indifférenciation entre la qualité et la quantité soit qu'elle concernait la longueur des rangées en rapport à la quantité de jetons, soit qu'il s'agissait de la différence des couleurs des perles qui entraînait "pas la même chose pareil ou pas la même chose beaucoup de perles". Tout comme dans la conservation de la substance, et bien qu'ils aient pu compter, ces enfants n'avaient pas construit le concept de quantité. "Même chose pareil" se référait indifféremment à la couleur, à la forme, à un nombre éventuellement ; de toute façon à un aspect du réel extrêmement superficiel et apparent.

Dans l'activité qui consistait à "mettre ensemble", nous observons aussi d'importantes difficultés de coordination de leur activité à la nôtre. Cette situation pouvait leur demander un effort et, certains voulant gagner c'est-à-dire "mettre plus et plus vite", nous nous limitons à stabiliser la coordination de nos actions. Lorsque nous leur demandions "pourquoi y a-t-il la même chose beaucoup dans nos deux verres ?", nous obtenions les réponses suivantes : "on a mis dedans" ou "on a mis encore" ou "parce que y'en a beaucoup". L'argumentation restait sommaire quand elle n'était pas erronée ; comme ce fut le cas de Oussama qui refusait l'égalité tant que nous avions peu de perles. Dès lors que la quantité augmentait, il admettait qu'il y avait pareil "parce qu'y faut mettre beaucoup et après y'a pareil".

Suite à ce récapitulatif des réponses données par nos sujets nous sommes en mesure de nous demander quel type d'expérience ces enfants ont à leur actif ? En effet ils agissent peu, nous prenons agir dans le sens de transformer afin d'aboutir à des modifications d'états permettant la construction de connaissance. S'ils agissent, s'ils interagissent ils n'en ont pas nécessairement conscience et, répondre à une situation donnée se réduit à la lecture de quelque effet parcellaire, de ce qui est immédiatement sous les yeux. Pour ces enfants, les hypothèses de "non construction du réel" et de "figurativité" nous semblent totalement adaptées. Cependant, bien qu'ils soient essentiellement dans la lecture de ce qu'ils voient, la reconnaissance même de ce qu'ils voient autrement dit, la reconnaissance de l'objet leur occasionne déjà des difficultés. Quant aux relations entre eux-mêmes et les objets, ou eux-mêmes et autrui, elles se caractérisent par une extrême pauvreté. Comment se situent-ils donc fondamentalement par rapport à l'objet ? Piaget dit qu'être dans l'expérience immédiate, paramètre qui caractérise nos sujets qui n'apprennent pas, cela implique que le sujet ne se situe pas lui-même par rapport à l'objet. Si nos sujets ne se situent pas par rapport à l'objet, nous sommes en droit de nous demander ce qu'ils ont construit du réel, plus précisément ce qu'ils ont construit de l'objet.

Notes
31.

"De la genèse de l'organisation cognitive à la modélisation de l'activité de remédiation opératoire" D. BELLANO. Thèse de doctorat.