TROISIEME PARTIE

III.I EXPERIMENTATION

1) Expérimentation et recherche de l'invariant de permanence de l'objet

Le choix des dix-neuf épreuves de l'expérimentation s'est organisé de façon essentielle autour de la recherche de l'objet. En effet, nous avons fait jouer à l'objet, plus précisément à l'invariant de l'objet permanent le rôle fédérateur que Piaget lui accorde 85. Ainsi la recherche de l'objet et son exploration ont retenu la majorité des situations-problèmes.

Si nous avons procédé ainsi, c'est pour la simple et bonne raison que les conditions même de l'existence de l'objet requièrent les invariants ou principes de conservation. Le sujet commence par construire l'invariant de permanence puis en vient à l'invariance de la quantité de matière pour accéder enfin aux conservations du poids et du volume. E. Meyerson, considère les principes de conservation ‘"comme l'expression la plus directe du travail de la raison et comme la preuve la plus authentique de la réalité de l'objet" 86.’ Piaget d'ailleurs surenchérit et les qualifie de "zone de prise de contact entre l'esprit et le réel" 87.

C'est à ce titre, en tant que point de contact fondamental entre le sujet et le réel et comme point de vue privilégié que nous nous intéressons à l'invariant de permanence de l'objet.

Ce premier principe de conservation nous importe également car il conditionne une part importante des connaissances physique et logico-mathématique du sujet. Qu'est-ce à dire ? Il semble bien évident que ces deux types d'expériences constituent un tout au sein de la permanence de l'objet, chacune révèlant en fait un aspect particulier de l'activité. La connaissance physique s'établit à partir des actions "particulières" du sujet et lui permettent de découvrir et de différencier les qualités perceptives de l'objet. Quant à la connaissance logico-mathématique, celle-ci résulte de la nécessaire coordination des actions en vue du groupement des déplacements pratiques.

Aborder les difficultés de développement de l'enfant sous cet angle, et de fait construire l'expérimentation en conséquence est d'autant plus intéressant que l'objet permanent résulte non seulement, nous venons de le dire, de ces deux types d'expériences : connaissances physique et logico-mathématique. Mais il est également la conséquence de la coordination de plusieurs autres processus : le tout embrassant l'étendue des étapes caractéristiques de la période sensori-motrice. Récapitulons les processus en jeu dans l'élaboration de l'invariant de l'objet permanent :

  • Les actions propres ou "particulières" élaborant les débuts de la connaissance physique.

  • La coordination des actions en groupement des déplacements pratiques en systèmes réversibles (retours) et associatifs (détours) constituant les premières formes des liaisons logico-mathématiques.

  • La coordination des actions en séries causales et temporelles. C'est à partir des déplacements spatiaux que nous pouvons atteindre temps et causalité physique. ‘"En dehors d'un contexte cinématique le temps n'a pas de signification" 88 ’. Nous pensons qu'il en va de même pour la causalité élémentaire.

  • La régulation des constantes perceptives. Par un système d'actions et de coordinations d'actions, le sujet attribue à l'objet certaines qualités rendues ainsi constantes : couleur, forme, taille,... etc. ‘"Bref, en aucune de ses propriétés perceptives, l'objet n'est le produit de pures "sensations" fusionnées entre elles par identifications directes, et, dès la perception des objets, interviennent des actions (spécifiquement physiques) ainsi que des coordinations impliquant le mouvement..." 89.’

  • L'élaboration du caractère substantiel de l'objet est construit en même temps que les constantes perceptives. Les qualités de l'objet relatives à sa matière sont également rendues solides et constantes par les actions et leur coordination effectuées par le sujet.

A noter que l'achèvement de la notion d'objet, avec la fermeture des groupes de déplacements pratiques, des séries temporelles et causales impliquent, il va de soi, tous les aspects structuro-fonctionnels de l'adaptation intelligente elle-même : découverte et exercice des schèmes, coordination des moyens et de la fin, identification, imitation et passage à la représentation... etc.

Ceci dit, à la lumière de ces éléments théoriques il nous est apparu que les situations les plus propices à nous permettre de discerner les formes de permanence au sein des compétences de nos sujets, étaient les situations de recherche de l'objet, celles-là même où l'action de retrouver est impliquée.

Notes
85.

"Introduction à l'épistémologie génétique. Tome 2 : La pensée physique. Concervation et atomisme" J. PIAGET.

86.

Idem, p.109.

87.

Idem, p.102.

88.

"Le développement de la notion du temps", J. PIAGET, p.1.

89.

"Introduction à l'épistémologie génétique. 2/ La pensée physique", J. PIAGET, p.114.