2.2 Méthode clinique et passation de l'expérimentation

Cette méthode de l'entretien, appelée méthode clinique ou méthode critique par Piaget lui-même est tout à fait adaptée à la recherche à caractère expérimental, ou exploratoire telle que la nôtre.

Cependant les caractéristiques propres à notre recherche et à nos sujets ont naturellement amenées à donner une couleur particulière au protocole de passation. Avant de faire état des particularités, redéfinissons la méthode clinique piagétienne.

En tout en premier lieu l'expérimentateur clinicien écoute l'enfant dans le contexte d'une conversation, cependant cet échange ne s'effectue pas à partir d'une réalité symbolique mais sur la base d'une manipulation concrète des données d'un problème : l'enfant recherche activement puis s'exprime sur ce qui vient de se produire. L'expérimentateur reçoit alors ce qui est dit mais il n'en reste pas là. Pour sonder, en vue de mettre à jour "l'activité profonde" du sujet, il va utiliser des procédés tels que la suggestion et la contre-suggestion. Ces deux procédés ont pour fonction de décentrer le sujet de son propre point de vue et de favoriser ainsi l'émergence éventuelle d'une argumentation. ‘"... car l'intérêt général n'est pas tant de noter si l'enfant répond oui ou non que d'analyser les modalités d'organisation de sa pensée dans tel ou tel autre domaine de la connaissance." 90

En dernier lieu cette méthode "participe de l'expérience" 91 dans le sens où l'expérimentateur part d'idées directrices posées préalablement comme hypothèses. Ainsi, ce sont les hypothèses de départ qui vont définir la méthode de questionnement. ‘"Sachant pertinement ce qu'il cherche à découvrir, ses questions visent à guider l'enfant, tout en suivant les méandres de sa pensée et de ses argumentations, sans jamais lui dévoiler la réponse" 92.’

En conséquence nos hypothèses vont participer à notre méthode d'investigation en y apportant quelques particularités sans changer toutefois les principes fondamentaux de l'interrogation clinique. En tentant de comprendre les difficultés de nos sujets à entrer dans les apprentissages par la mise en évidence de l'achèvement ou non de l'invariant de permanence, nous nous demandons : qu'ont-ils construit de l'objet, de l'espace, de la causalité et du temps sensori-moteurs ? qu'ont-ils reconstruit au niveau de la représentation ? Nos questions vont donc viser au repérage de l'existence ou l'inexistence des structures et d'un fonctionnement sensori-moteurs.

En conséquence nos interventions seront pour la plupart constituées par :

  • des questions relatives à la reconnaissance des situations ;

  • des questions relatives aux activités de recherche, d'exploration et d'expérimentation de l'enfant "comment as-tu fait ?"

  • des questions relatives à la recherche de raisonnements "comment sais-tu ?";

  • des questions favorisant la différenciation des états afin d'éviter les éventuels enlisements et créer ainsi une dynamique ;

  • des suggestions afin de décentrer l'enfant de ses propres actions ;

  • des reformulations afin de mesurer la solidité des arguments.

En revanche nous avons apporté une restriction en n'utilisant pas de contre-suggestion. Ceci, pour la simple et bonne raison que nos sujets qui présentent un fort niveau d'égocentrisme, refusent systématiquement le point de vue d'un autre enfant.

En résumé, au cours de l'expérimentation nous avons été au plus près des enfants afin de favoriser un échange auquel ils n'étaient pas habitués. Nous les avons interrogés de façon très serrée afin qu'ils se rendent aux confins de leurs compétences au niveau de la conduite et du raisonnement.

Notes
90.

"De la genèse de l'organisation cognitive à la modélisation de l'activité de remédiation opératoire", Thèse de doctorat. 1991. Bellano. p.47.

91.

"Le représentation du monde chez l'enfant" J. PIAGET. PUF. p.10.

92.

" De la genèse de l'organisation cognitive à la modélisation de l'activité de remédiation opératoire", Thèse de doctorat. 1991. Bellano. p.48.