a) La construction de l’objet

L’objet permanent se définit comme la capacité du sujet à conserver l’objet par delà toutes ses apparitions et ses disparitions, et correspond au premier type de conservation de l’objet.

" Cinq enfant sur neuf retournent chercher l’objet à l’endroit où ils l’ont trouvé précédemment. Cet indice caractérise le niveau de construction de l’objet du IVe stade sensori-moteur, identifié dans le tableau comme la recherche active de l’objet disparu sans tenir compte des déplacements visibles. Pour l’enfant de fait, l’objet ne se trouve pas dans le prolongement des déplacements mais plutôt dans le prolongement de son activité, en l’occurrence sa précédente réussite. Ainsi, nous avons à faire à un objet contextualisé soumis en quelque sorte à l’absolu d’une position antérieure. Ces faits dénotent une centration des enfants sur leur activité propre. Lorsque nous leur demandons des explications sur leur procédure par "comment as-tu fait pour trouver ?"

- Oussama (6,2) soulève un coussin et dit : ”j'ai fait ç α ".

- Mustapha (7,3) dit : "je soulève tout”.

- Ridouane (5,5) soulève des coussins.

- Mabrouk (6,3) ne répond pas et joue à lancer l’objet.

- Mikrabane (7,5) étant toute à la découverte de l’activité, nous ne lui avons pas posé la question.

Dans tous les cas, les réponses obtenues se rapportent à l’activité du sujet exprimée sous la forme de l’évocation d’une action ou d’une action effectuée en direct. Au IVe stade, l’enfant afin de parvenir à la coordination des schèmes secondaires, distingue plus nettement les schèmes transitifs des schèmes finaux. C’est lorsque le sujet cherche à mettre en relation les choses entre elles qu'apparaît la différenciation des moyens et des fins. Quelles relations entre lui et les objets a construit l’enfant qui retourne à sa propre réussite et réduit l’explication à une seule action ?

Un seul enfant ne faisant pas partie de ces cas de figure s’exprime en évoquant la coordination d’une action transitive et d’une action finale : "j’ai levé et j’ai trouvé". Mais bien avant cela, nous observons que Ridouane ne sait pas jouer à caché-trouvé et que la conduite de recherche de Cécile et de Ferdi consiste à désigner un coussin sans plus, sans être assuré du résultat. D’un point de vue strictement sensori-moteur, ces activités exploratoires restent limitées au niveau de l’intention des sujets, mais aussi de la coordination d’actions en vue d’atteindre un but. Nous reviendrons sur la désignation dans la partie consacrée.

Revenons sur l’attitude de Mabrouk : il exprime sa surprise de ne pas trouver l’objet sous le premier coussin bien qu’il ne nous ait pas vu le cacher, puis aussitôt soulève le coussin sur lequel il est assis. L’intentionnalité de sa conduite semble être soumise à son désir de trouver comme un jeune enfant et n’est pas régie par une causalité spatio-temporelle objective.

Mise à part Mikrabane, tous les enfants iront dans la dernière recherche découvrir l’objet sous le coussin où ils nous auront vu déposer l’objet. Ont-ils pour autant construit l’objet, les groupes et séries objectives dans le cadre de la causalité ? Cela nous paraît rapide. Les acquisitions de l’espace et du temps sensori-moteurs consistent à dégager les liaisons spatiales et temporelles grâce à la causalité, à partir des coordinations d’actions, de mouvements et de déplacements. Des enfants qui dans un premier temps recherchent l’objet dans une position antérieure dénotent la pauvreté des relations construites. Dans nos questions cherchant à mettre en évidence un raisonnement : "comment savais-tu que l’objet était là ?", nous obtenons  

Oussama (6,2) : "j’ai fait ça", il montre et soulève le coussin où il a trouvé ;

Mabrouk (6,3) : "je sais, je l’ai trouvé" ;

Ridouane (5,5) ne répond pas ;

Mikrabane (7,5) : "je sais pas".

Ces réponses consistent à donner l’action qui a permis de trouver l’objet et en cela, différent peu des réponses à la question "comment as-tu fait ?" Ils ne différencient pas de périodes distinctes, celle où ils nous auraient vu cacher l'objet et celle où ils auraient cherché l’objet : avant, après coordonnés à ici et là, par la causalité. Du point de vue de l’action, ils soulèvent des écrans et trouvent l’objet mais, dans l’énonciation de leur activité qui caractérise la perception et la représentation qu'ils en ont, ils réduisent celle-ci à un seul schème. Rappelons-nous l'enfant qui pour expliquer dit : "j'ai montré avec le doigt". Il évoque une transformation centrée sur son corps. Nous observons donc, en plus de leurs difficultés sensori-motrices un décalage entre leurs actions et la perception de leurs actions. Si ces enfants ont peu ou prou la perception de l’organisation de leur activité dans le réel, que peuvent-ils ou qu'ont-ils retransposé de leur activité au niveau de la représentation ?

En ce qui concerne la causalité, dans l’explication réduite à un seul schème et centrée sur le sujet, nous pouvons reconnaître la causalité des débuts : celle que l’enfant inscrit dans l’aboutissement d’une action. "Comment savais-tu que l’objet était là ? J’ai fait ça", l’enfant soulève. Toute la perception de l’activité est contenue dans l’évocation d’un schème ramenée dans l’ici et maintenant par l’action.

Deux autres enfants ne retournent pas directement chercher l’objet à la position antérieure mais soit alternent, soit éprouvent le besoin de différencier la position actuelle de la position précédente. Dans ces deux cas, Ydrix et Cécile prennent en compte la position antérieure puis se positionnent sur celle occupée par l’objet.

Ne pourrait-on envisager à la suite de ces observations relatives au retour à une position antérieure que l’enfant, afin de construire les déplacements de l’objet constitués par les positions diverses et successives qu’il peut prendre, ait besoin de se rendre à une position, en l’occurrence celle où il aura réussi afin de la différencier d’avec les suivantes ?

La différenciation des positions caractérise les premières activités de mise en relation, en cela elle constitue un coordinateur propre à la période sensori-motrice. Par notre question "pourquoi n’as-tu pas cherché sous ce coussin ?" quatre enfants vont différencier la position proposée de la position de l’objet :

-Ferdi (6,0) : "Parce qu’il était pas” et il désigne la position où il l'a trouvé ;

-Ydrix (7,5) : il désigne le bon coussin puis en désignant les autres : "il était pas" ;

- Cécile (6,1) : "non, l’a caché ici" ;

-Mabrouk (6,3) : Ce n’est qu’après un long questionnement que Mabrouk en arrive à différencier. Après avoir soulevé le coussin sous lequel il avait trouvé l’objet précédemment, nous lui demandons si l’objet pouvait se trouver là. Il nous répond qu’il n’y est pas parce qu’il ne le trouve pas puis parce qu’il n’était pas sûr qu’il n’était pas là et enfin : "je sais, je l'ai trouvé. Tout à l’heure je l’ai pas trouvé là".

Dans le déroulement de la situation, il semble que la différenciation des positions consistent en des accommodations, qu'il s'agit nécessairement d'effectuer afin d'identifier l’objet, en tant qu’élément distinct.