b) Commentaires relatifs aux conduites de recherche

En ce qui concerne Ferdi (6,0), Medhi (6,5) et Cécile (6,1) qui appliquent d'emblée la conduite du détour, nous pensons qu'ils possèdent les structures sensori-motrices nécessaires. A savoir les groupes de déplacements permettant la recherche d'un objet qui disparaît. A l'inverse des enfants suivants, ils savent, en ce cas, ce qu'ils ont à faire. Ainsi, il y a combinaison interne des mouvements nécessaires et c'est la représentation qui guide la recherche.

Avec Oussama (6,2), nous assistons en direct à la compréhension du problème et à l'irruption de la combinaison interne des mouvements lui permettant d'inventer la conduite adaptée à la recherche de l'objet. En effet, dès qu'il comprend, et après s'être tout de même collé face au meuble, il se rend sans hésitation au point de chute et ramène l'objet. A ce moment, il serait passé d'une conduite sans compréhension du déplacement de l'objet à une conduite du détour totalement achevée par combinaison mentale, relative au 6e stade sensori-moteur : l'enfant se trouvant dans une situation nouvelle puis comprenant soudain, agit en conséquence.

Concernant Mikrabane (7,5) et Mabrouk (6,3) nous n'observons pas de compréhension spontanée du déplacement de l'objet, mais l'élaboration de la conduite de détour par imitation de la forme du meuble. Tous deux ont compris que l'objet se trouvait au-delà du meuble après s'être cogné au meuble et tous deux construisent le déplacement du détour en avançant collés au meuble. Mabrouk, par exemple, lève la tête et suit ainsi la forme du meuble jusqu'à aller trouver l'objet. Cette conduite imitative en présence de l'objet relève de la période sensori-motrice car c'est elle qui, par intériorisation de la conduite en engendrera la représentation. Il n'y a donc pour ces enfants encore aucune représentation du déplacement du détour à effectuer, pour rechercher l'objet puisque, par tâtonnement ils imitent l'objet en présence. Ils sont bien plutôt dans une accommodation qui modifie les schèmes de déplacements en fonction de l'objet et qui se référerait au 5e stade sensori-moteur.

Ridouane (5,5) et Mustapha (7,3), après avoir assimilé le problème à une situation antérieure, découvrent, chacun à leur manière, des moyens nouveaux en organisant eux-mêmes une "expérience pour voir" :

Ridouane, après s'être rendu face au meuble, s'en éloigne, part dans une direction en courant, revient au point de lancer, s'en retourne, découvre ainsi les déplacements en plusieurs directions possibles. Il semble qu'il assimile cette situation à la précédente où avec la main, il se rendait derrière une succession d'écrans en disant : "de partout, de partout il est l'objet". En ce cas, il dit : "de partout, de partout, je cours", l'action est cette fois centrée sur le sujet et accommodée à l'espace de la salle. Il construit et comprend l'organisation générale du déplacement nécessaire à la réussite de la situation. Au deuxième lancer, il effectue la conduite de détour, trouve l'objet et spontanément nous le lance construisant ainsi la renversabilité. A noter, l'association effectuée par l'enfant entre la découverte de déplacement en tous sens et les déplacements de la mère : "partout... elle est partie ma mère104. Sachant que la localisation et les allers-retours de la mère sont les préoccupations fondamentales de l'enfant au cours des séances.

Au premier lancer, Mustapha part en sens inverse et soulève le tapis où antérieurement l'enfant a trouvé des objets puis se rend face au meuble, cherche l'objet et tout en "collant" au meuble, le contourne et découvre l'objet. Mis à part le retour à une situation antérieure où le sujet avait réussi, l'élaboration de la conduite s'apparente à celles des enfants précédents. Mais nous n'en restons pas là car stupéfaite par ce que donne à voir l'enfant, nous allons lui proposer une succession de lancers. Nous envoyons alors l'objet à gauche du premier lancer : il retourne au premier point de chute en courant puis se rend au deuxième point de chute, trouve l'objet et nous le lance après être revenu au premier point de chute. Lorsque Mustapha revient vers nous, nous lui proposons un troisième lancer, il s'écrie en indiquant les directions : "lancé là-bas. Non, ici !" Pour les lancers suivants, il ira directement aux points de chute.

Nous pensons que cet enfant non seulement a construit la conduite du détour, celui-ci reproduisant la forme du meuble, mais aussi les groupes de déplacements sensori-moteurs nécessaires lui permettant de s'éloigner de la première conduite. Il comprend, tout comme Ridouane précédemment cité, l'organisation générale du déplacement requise dans la recherche de l'objet.

Notons le retour à des positions premières dans un cas comme dans l'autre afin de construire les groupes de déplacements. A ce propos nous souhaiterions émettre quelques réflexions relativement à la position absolue. La position absolue de l'objet des premiers stades trouve son prolongement dans le retour à une position où le sujet a déjà découvert l'objet. Au fur et à mesure que nous avançons dans l'expérimentation et que, nous observons ces retours à une position antérieure, nous ne pouvons nous empêcher de considérer ce fait comme une nécessité. En effet, cette position, celle où l'enfant trouve l'objet la première fois, serait une position stable, une sorte de "point d'ancrage" 105 dans un monde en mouvement, non régi encore par les relations causales, spatiales et temporelles. Si l'enfant suivait d'emblée les trajets et les changements de positions, cela voudrait dire que les relations seraient construites a priori. Il n'en est rien et l'enfant construit les relations à partir d'un point d'origine dont il se décentrera par différenciations successives jusqu'à accéder à la multiplicité des positions, le tout s'organisant dans le vaste système d'ensemble qu'est la période sensori-motrice.

Quant à Ydrix (7,5), nous avons remarqué qu'après maints lancers et recherches, il revenait systématiquement par le même chemin. Nous avions évoqué dans la partie théorique l'achèvement sensori-moteur de la réversibilité ou renversabilité qui consistait en la coordination de trois actions : lancer une balle derrière soi par exemple et aller la chercher indifféremment par la droite ou par la gauche. Dans la situation présente nous ne sommes pas certaine qu'en ce qui concerne Ydrix et, peut-être d'autres, ils aient construit la réversibilité. Il nous aurait fallu leur demander d'aller chercher l'objet par un autre chemin.

Notes
104.

Voir en annexes pp.94-95. Situation-problème n° 8.

105.

"Psychologie" Collectif. WERNER, p.635. Les conduites de l'enfant. Encyclopédie de la Pléïade.