III-IV DISCUSSION DES HYPOTHESES

Nous avions fait l'hypothèse qu'en raison de l'inachèvement d'aspects structuro-fonctionnels de la période sensori-motrice, plus précisément de l'invariant de permanence, et/ou de sa non reconstruction au niveau de la représentation, les sujets concernés n'entraient pas dans les apprentissages requis par l'école.

Dans cette recherche, nous nous sommes consacrée à débusquer lesdits aspects, avec le risque permanent de plonger dans une confusion, due à la difficulté de différenciation de ce qui revient à l'action et à la représentation de l'action sensori-motrices, et de ce qui revient à la représentation de niveau supérieur, chez des enfants dont on peut dire avec Gérard Greppo qu'il y a eu "télescopage" entre les diverses périodes, au cours du processus constant de développement 128.

Pour les besoins de notre travail, et aussi parce que nous pensions les choses ainsi, nous avions effectué la dissociation entre construction sensori-motrice et construction de celle-ci au niveau représentatif, et avons gardé de façon constante cette dichotomie présente à notre esprit, tout au long de nos analyses.

Néanmoins au terme de cette recherche, ce que nous avons observé nous porte à reconsidérer la formulation de nos hypothèses.

En effet, nous envisagions qu'il pouvait y avoir non reconstruction ou reconstruction inadéquate au niveau représentatif d'un capital sensori-moteur disons, en équilibre. En conséquence, certains de nos sujets pouvaient avoir construit des représentations non inscrites dans le réel, tout en ayant dans le même temps une organisation sensori-motrice suffisante.

Il nous apparaît à présent que, si l'activité est inorganisée du point de vue représentatif, elle l'est également du point de vue sensori-moteur. Autrement dit, si le système représentatif est déconnecté du réel, c'est qu'il n'est en aucune façon sous-tendu par une expérience suffisamment riche et différenciée. Celle-là même qui permet à l'enfant de se distinguer comme centre autonome parmi d'autres centres autonomes et des objets, constitués comme permanents dans un espace et un temps régis par la causalité physique.

En effet, qu'avons-nous observé ? Des enfants qui, tous, à un moment ou à un autre, selon les situations proposées, ne possédaient pas de combinaison interne de mouvements et de relations, ou de représentation leur permettant de répondre adéquatement au problème posé. Ils y répondaient néanmoins par la construction en direct des structures nécessaires et manquantes au niveau sensori-moteur, et par le retour au sixième stade :

Ainsi nos sujets, suivant ce qu'ils avaient ou ce qu'ils n'avaient pas à leur actif, des aspects constituant l'invariant de permanence, retournaient ou pas au niveau sensori-moteur. En conséquence chacun d'eux, en raison d'un système sensori-moteur partiel, oscillant et, de fait, non fermé, possédait un système représentatif constitué de représentations partielles, non organisé à son tour dans un système d'ensemble.

Ainsi nous n'adhérons plus au point de vue qui nous faisait envisager la dissociation entre l'expérience sensori-motrice et la construction représentative ; mais nous adhérons bien plutôt à la possibilité d'une construction sensori-motrice partielle, par non coordination ou coordination partielle des sous-systèmes entre eux, se retransposant de fait partiellement au niveau représentatif.

Venons-en à présent à notre troisième hypothèse que nous avions énoncé comme suit : les enfants n'achèvent pas la permanence de l'objet "faute d'interrelations suffisamment sollicitantes entre l'enfant et ses parents, aboutissant de fait à un fonctionnement pauvre de l'enfant".

Par interrelations suffisamment sollicitantes, nous entendons l'existence de relations et de communications entre tous les sujets constituant le noyau familial ; ainsi que le respect des prises en charge spécifiques par chacun des parents en vue du développement de leur enfant.

Ainsi, dans tous nos cas, nous avons en premier lieu constaté le primat de la "dyade", avec prédominance de la fusion entre un des parents et l'enfant, sans que le deuxième parent, s'il existait, puisse intervenir. En deuxième lieu, nous avons constaté la pauvreté des communications et des sollicitations propices à une expérience riche et différenciée de leur enfant.

Qui plus est, les mères ou le père, dans le cas de Mustapha, développaient, suite au déracinement d'avec le pays d'origine et à la distanciation d'avec les liens familiaux fondamentaux, vécue comme une rupture, une douleur et une dépression chroniques qui ne favorisaient pas l'adaptation habituelle d'un parent à son enfant. Au cours des entretiens et dans les tentatives captatives réciproques : de l'adulte en direction de l'enfant, ou bien de l'enfant en direction du parent, nous ne savions plus, qui de l'enfant ou du parent était le prolongement de l'autre. Et il nous apparaissait que l'enfant, à sa manière, avait pris en charge la dépression parentale sans que l'autre parent ait pu s'interposer.

Ainsi le fonctionnement pauvre de nos sujets s'ancre non seulement dans l'absence d'interrelations suffisamment sollicitantes, avec le surdéveloppement de la relation à un parent, mais aussi dans la dépression massive de ce parent privilégié.

Notes
128.

"Analyse des résistances rencontrées chez le sujet dans le diagnostic et la remédiation opératoire en relation avec l'expérience de son milieu"., G. GREPPO., Thèse de doctorat, Lyon II, 1997.