Conclusion

Les «crises», celles qui sont déclarées et (re)connues publiquement ou bien celles sur lesquelles l'auteur est demeuré discret, jalonnent la vie de celui-ci et constituent, d'une certaines manière, des motivations qui ont sûrement marqué les différents textes autobiographiques. Leurs traces y sont plus ou moins lisibles.

Ces «crises» ont d'autre part contribué à varier les «modes» d'écriture de ces textes. Par exemple, et malgré les «redites», Virgile n'est pas donné à lire de la même façon que Jean le Bleu . Si ces oeuvres sont si différentes entre elles et si semblables à la fois c'est parce que les «crises» vécues par l'auteur (notamment celles qui sont rattachées à la guerre) ont donné naissance à des sentiments analogues à des moments particuliers de sa vie. Il y a entre différents textes des rapports de reflets et d'échos parce que les motivations qui ont déterminé leur rédaction sont presque les mêmes.

La question de la «conversion», elle, est liée chez Giono à un certain nombre de problèmes. Les plus importants peuvent se résumer dans les points suivants :

1- La conversion est liée aux différents «crises» vécues par l'auteur.

2- Elle est liée au «dit» et au «non-dit» du passé, c'est-à-dire à ce qui est particulièrement souligné ( repris, mis en exergue...) ou à ce qui est, au contraire, passé sous silence dans le processus de la transformation de la biographie en autobiographie et de l'autobiographie en fiction autobiographique.

3- Elle est liée au type du discours, changeant et diversifié à la fois, que tient le sujet sur lui-même.

4- Elle est liée aussi aux changements que subit tout l'univers passé et en particulier le «moi» d'autrefois, vus et racontés par le narrateur actuel qui a certes pour souci de se rappeler ce passé et de le raconter mais aussi de rechercher la manière de le raconter (par exemple le style adopté, la forme donnée à ces souvenirs, leur intégration ou non à un récit fictif...).

5- Elle est liée également à la situation de l'énonciation : les circonstances dans lesquelles vit l'auteur au moment où il écrit, le projet initial pour la rédaction de tel ou tel texte autobiographique ( par exemple, en ce qui concerne Virgile : l'idée de départ était d'écrire une préface aux oeuvres du poète Virgile qu'on venait de lui commander) sont autant de facteurs qui semblent, en grande partie, déterminer la manière dont ces souvenirs sont racontés.

6- Nous avons noté enfin que le processus autobiographique met souvent en jeu une structure dialectique. L'écriture est constamment soumise à des tensions entre deux pôles opposés : voilement/dévoilement, unité/dispersion du «moi», constance/ changement de certains contenus, etc. Cette structure n'est d'ailleurs pas seulement propre à ce type d'écriture, elle constitue l'une des caractéristiques principales de l'écriture gionienne en général.

Mais la question qu'on peut se poser est de savoir comment concilier l'idée de «conversion» avec la réapparition dans des textes autobiographiques, pourtant écrits à des dates éloignées les unes des autres, des mêmes thèmes, sujets ou personnages. Nous avons à cet égard relevé la ressemblance, voire l'analogie des contenus des textes comme celui de Soliloque du beau ténébreux et de Virgile où l'on trouve par exemple le récit de la première lecture faite par l'enfant dans les collines. Le même personnage peut être présenté différemment dans les différents textes. L'image du père, par exemple, qu'on retrouve dans Jean le Bleu n'est pas tout à fait analogue à celle qui est évoquée dans Virgile, dans «Son dernier visage» ou dans Le Grand Théâtre . Peut-on, dans ce cas, parler du même processus de conversion ou de processus différents? La conversion est-elle liée aux différentes transformations du souvenir ou est-elle liée aux changements de la situation du sujet de l'énonciation?

Tous ces points, rattachés ou non au phénomène de la «conversion», sont ici évoqués de façon plus ou moins théorique et constituent un peu notre hypothèse de travail. Ils seront amplement développés par la suite.