Conclusion

On a vu, notamment à travers l'étude des trois textes : Jean le Bleu , Virgile et Le Grand Théâtre , quelques aspects de l'écriture autobiographique chez Giono. Mais si ces trois textes ont des points communs, dans la mesure où ils évoquent, tous, le passé, ils sont, en fait, divergents parce que la représentation du moi ainsi que le récit des souvenirs se font de manières différentes dans chacun d'entre eux.

Tout en mettant en oeuvre les principes mêmes de ce type d'écriture chez Giono, notamment au plan des rapports de la réalité à la fiction, Jean le Bleu est un texte où les souvenirs sont racontés à travers une thématique, qui somme toute est classique dans une autobiographie, mais à laquelle Giono donne un caractère qui lui est bien propre : c'est l'initiation de l'enfant. Il s'agit, comme on l'a vu, d'un écart entre ce texte et les données traditionnelles de l'autobiographie.

Virgile , lui, se distingue par le va-et-vient entre le présent de l'énonciation et le passé de l'histoire. L'écriture autobiographique met, en effet, en valeur l'importance des « crises » qui, probablement, sont à la base de l'évocation du passé dans cette oeuvre. Le caractère de ce passé, marqué par des moments de bonheur mais aussi de « crises », est quelque peu déterminée par la situation de l'auteur en 1943, qui est, elle aussi, une situation de « crise ». La réciproque est aussi vraie : la façon de voir le présent et de juger l'actualité est plus ou moins déterminée chez Giono par le souvenir de la première guerre. C'est en gros l'hypothèse que nous avons proposée pour l'étude de ce texte.

Virgile pose aussi le problème du lien entre la biographie du poète latin et l'autobiographie. Derrière l'apparente rupture entre les deux vies (et les deux « parties »), il existe, en fait, un lien très fort : les deux hommes ont une sensibilité poétique analogue. A l'allure poétique qui distingue le récit de vie (plus ou moins imaginaire) de Virgile correspond le récit « poétique » des souvenirs d’enfance de Giono. De plus c'est la « poésie » que Giono propose justement comme remède aux crises vécues par les hommes qui vont à leur perte parce qu'ils attachent trop d'importance à la technologie et aux produits industriels (thème incarné par l'oeuvre de Jules Verne) et oublient la « poésie » d'une vie simple et naturelle (incarnée par Robinson Crusoé) qui peut leur procurer le vrai bonheur et les "vraies richesses".

Le Grand Théâtre semble, à première vue, s'inscrire assez mal dans le genre autobiographique (dans le sens traditionnel du terme), dans la mesure où, d'une part, il y a peu de place consacrée aux souvenirs et, d'autre part, la parole est presque monopolisée par le père. Le récit (des souvenirs) n'occupe donc qu'une place très réduite par rapport au discours (du père). C'est un texte qui se démarque donc de l'autobiographie traditionnelle par des traits qui lui sont bien particuliers. En outre, ce texte constitue un hommage que rend Giono à son père, et ce sont les rapports privilégiés (ici de maître à élève) de père à enfant qui sont, encore une fois, soulignés. Sur ce point nous avons tenté de nous interroger sur l'écart, voire l'opposition, qui existe entre la relation père/enfant dans ces textes autobiographiques et celle qu'on trouve dans certains romans, et qui se caractérise, elle, par des tensions et des conflits.

La « poésie », qui est considérée comme une façon d'appréhender le monde et de le sentir (dans Jean le Bleu ) ou comme un remède aux maux que connaissent les hommes (dans Virgile ) ou encore comme une caractéristique essentielle du discours du père en train de méditer sur la vie et la mort (dans Le Grand Théâtre ), constitue - en plus des souvenirs évoqués - le point commun le plus fort entre ces trois textes.