I. Contexte historique

I. A. Evénements politiques

Pour mieux comprendre les « Essais  pacifistes », il est bon de rappeler le contexte historique dans lequel ils s’inscrivent. Nous donnerons un bref aperçu des principaux événements qui ont marqué la France et l’Europe entre 1934 et 1939.

Durant ces années, l’Europe passe par une situation de crise. Il y a une tension internationale qui est due aux ambitions d’Hitler. La paix est menacée. Mais la passivité des démocraties européennes, le neutralisme des Américains et l’ambiguïté de l’attitude soviétique laissent également le champ libre à Hitler et à son allié Mussolini. En plus, les conflits locaux, en Ethiopie, en Espagne, en Chine, font peser sur le monde la perspective d’une guerre générale.

En France, le danger allemand ne provoque pas d’élan national comme à la veille de la première guerre mondiale. En 1936, d’autres préoccupations absorbent le pays : alors que les partis de gauche sont hostiles à la guerre, certains Français craignent les communistes plus que le péril extérieur. La confrontation des idéologies divise l’opinion française comme à propos de la guerre d’Espagne. Mais en général, la France demeure profondément pacifiste. Redoutant l’isolement, la politique française ne se dissocie pas de la politique britannique d’apaisement. La France ne fait rien contre l’annexion de l’Ethiopie par l’Italie.

En 1936, l’Allemagne réoccupe la Rhénanie démilitarisée. La remilitarisation de la Rhénanie modifie l’équilibre européen au profit de l’Allemagne. La guerre d’Espagne qui oppose « fascistes » et « antifascistes » met en jeu l’équilibre de l’Europe. Pour des raisons politiques et économiques, l’Italie et l’Allemagne ne cachent pas leur sympathie pour Franco. De leur côté, les Anglais craignent pour Gibraltar. Les Français pour le Maroc. Le déchirement de l’opinion empêche tout engagement officiel de la France du Front populaire aux côtés des Républicains. Mais cela n’empêche pas des volontaires étrangers de créer les « Brigades internationales » dans lesquelles s’engage Malraux notamment. L’Espoir est le récit romanesque de cet engagement. Pendant ce temps, l’Allemagne et l’Italie continuent à apporter leur soutien aux franquistes, en hommes et en matériel. Pendant trois ans, l’Espagne sera un champ où l’Allemagne expérimente ses armes. La division de l’Europe en blocs se précise.

En France, ce qui caractérise cette période c’est l’accès au pouvoir, en 1936, du Front populaire. C’est une coalition regroupant les socialistes, les communistes et les radicaux. Le succès de la gauche répond à une prise de conscience de la menace des fascistes à l’intérieur comme à l’extérieur et aux difficultés économiques que la France traverse depuis 1930. Mais en raison de différents problèmes, le gouvernement Blum démissionne une première fois en juin 1937. L’échec de son deuxième cabinet en mars 1938 amène le gouvernement Daladier et la dislocation du Front.

Nous trouvons, chez Giono un écho de la manifestation du Front populaire organisée le 14 juillet 1935. Il écrit le 15 juillet dans son Journal :

‘Lu les nouvelles manifestations de Paris pour le 14 juillet. Nous avons l’air d’avoir gagné. Le journal dit 100 000 front commun et 25 000 croix de feu. C’est le moment d’aller plus profond dans ce qu’on doit exiger des gauches... (VIII, 31)’

La première étape de la marche vers la guerre, c’est l’annonce par Hitler de réunir au Reich les minorités allemandes d’Europe. Ses troupes occupent l’Autriche le 12 mars 1938: l’Anschluss est proclamé. L’Europe ne réagit pas. La France en pleine crise ministérielle ne prend pas position.

La deuxième étape est liée à la question tchécoslovaque et au problème des Sudètes. En effet, Hitler pense qu’en cas de conflit, la Tchécoslovaquie, alliée de la France, représente un danger. D’autre part, la minorité allemande des Sudètes réclame son autonome, encouragée en cela par l’Allemagne. La France et l’U.R.S.S. se déclarent prêtes à tenir leurs engagements vis-à-vis de la Tchécoslovaquie, mais la Pologne et la Roumanie s’opposent à la traversée par l’armée soviétique de leurs territoires. Les revendications des Allemands des Sudètes, présentées comme droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, trouvent un écho favorable dans la presse britannique. La France et l’Angleterre invitent les Tchèques à renoncer aux régions où la proportion des Allemands dépasse 50 %. Mais Hitler exige la totalité des Sudètes. La conférence de Munich le 29 et 30 septembre 1938 réunit alors Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier. L’U.R.S.S. et la Tchécoslovaquie n’y sont pas invitées. Hitler obtient tous les territoires revendiqués. La France et la Grande Bretagne donnent leur garantie aux nouvelles frontières. On croit, ainsi, que la paix peut être sauvée. C’est à la suite de cet accord, par exemple, que Giono adresse un télégramme à Daladier, le 30 septembre 1938 (Précisions , VII, 631), où il lui demande de ‘prendre « l’initiative d’un désarmement universel »’. Il croit lui aussi à cette paix en écrivant :

C’est la paix!
Je n’ai honte d’aucune paix.
J’ai honte de toutes les guerres.
(VII, 631)

Mais l’opinion est partagée sur cet accord. Les « munichois » et les « antimunichois » s’affrontent en de vives controverses.

De son côté, malgré sa déclaration du 26 septembre 1938 sur l’inexistence pour l’Allemagne, de problèmes territoriaux, Hitler continue ses coups de force. Des violations de l’accord de Munich sont vite apparues. La France et l’Angleterre sont alors résolues à s’opposer au danger de l’expansion allemande. La Pologne est menacée. Elle sera le premier pays à en être victime. De nouveau, l’Europe est sous la menace de la guerre.

L’Allemagne conclut avec l’Italie, le 22 mai 1939, le Pacte d’acier. Engagé dans l’expansion méditerranéenne, Mussolini veut l’appui d’Hitler. La même Allemagne signe également un pacte de non-agression, le 23 août avec l’U.R.S.S. Hitler ne fait que différer son projet de détruire le bolchevisme. Staline cherche, lui, à obtenir un répit pour parfaire sa puissance militaire.

Les différents « Essais pacifistes » font écho à ces différents événements qui ont marqué la France et l’Europe pendant cette période. Mais c’est dans le Journal de 1935-1939 qu’on peut mieux déceler les différentes réactions de Giono face à cette actualité.