II. Action et « Messages »

II. A. Action

Nous nous proposons tout d’abord de voir en quoi consiste l’action de Giono. Nous nous contentons de quelques exemples qui illustrent son engagement251. D’après P. Citron, l’action de Giono remonte à 1920252. Mais tout en ayant des « sympathies » avec la gauche, il s’éloigne progressivement des communistes et de tous ceux qui ont un rapport avec le nationalisme et le patriotisme. Il devient de plus en plus attaché au pacifisme. Par exemple, lorsqu’en 1934, il adhère à l’ « Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires », il rattache cette adhésion au pacifisme 253. Il ne soupçonne pas d’ailleurs que cette association est d’obédience communiste. Il signe également le manifeste « Pour un art révolutionnaire indépendant » qui apparaîtra dans Les Humbles, en octobre 1938, en ignorant que le texte a été écrit par Trotski. Ce texte est lancé par André Breton et le peintre mexicain Diégo Rivera. Il aboutira à la création de la « Fédération internationale des artistes révolutionnaires indépendants », dont le Comité national comprend Giono. Son organe Clé publie en janvier 1939, un fragment de Précisions . L’adhésion de Giono à ce mouvement animé par Trotski déchaîne contre lui la presse communiste, à travers des articles violents de Paul Nizan et de Georges Sadoul254. Mais, dès qu’il se rend compte que ce groupe accepte l’idée de la guerre, il rompt avec lui. Son action touche aussi à la situation en Europe. Par exemple, le 6 juillet 1934, il publie dans Monde une lettre en faveur de Thaelmann, secrétaire général du parti communiste allemand emprisonné par le gouvernement nazi. Il accepte d’aller, en délégation, en Allemagne pour le voir en prison. L’annulation du procès amène Giono à renoncer à ce voyage255. Le 28 avril 1935, il est sollicité pour intervenir auprès des autorités allemandes en faveur de communistes menacés d ’exécution et il écrira le 1er mai dans son Journal ‘: « Il me faut composer une protestation contre l’assassinat des pacifistes allemands fusillés sans jugement par Hitler. Essayer de sauver les autres. Sans mes embêtements de pied et d’angine je serais allé moi-même en Allemagne pour protester.» ’(VIII, 10)256. Le 16 octobre 1935, ‘« à la demande d’Aragon et de Gide, il signe le manifeste antifasciste qui répond à celui des intellectuels de droite, favorables à l’agression italienne qui vient d’être déclenchée contre l’Ethiopie »’ 257. Mais, dès 1935, après la signature en mai du « pacte d’assistance franco-soviétique », par lequel Staline apporte son soutien à la politique de la défense de la France, il exprime sa totale désapprobation et s’éloigne des communistes qui abandonnent le pacifisme, car, en acceptant l’idée de défense nationale, ils ne refusent plus l’idée de la guerre258. Au contraire, ils sont pour le réarmement. Pour exprimer sa position, Giono participe à une protestation publiée le 10 juin 1935 par Poulaille dans la revue syndicale La Révolution prolétarienne. Ce texte, intitulé « Trahison », est contre l’accord Laval-Staline. Dans le même temps, il prend la défense de Victor Serge, déporté puis expulsé d’U.R.S.S. pour antimilitarisme. Cette prise de position contribue à son éloignement des communistes. Eloignement qui va s’accentuer jusqu’à la rupture totale. Il écrira, par exemple, le 21 mars 1936 dans son Journal :

‘ « En ce moment je déteste les communistes et je crois que ça va être bientôt la rupture totale entre eux et moi. Je ne me connais aucune patrie, ni la France ni la Russie et je ne veux rien défendre, même pas la dictature du prolétariat. Ni elle, ni rien ne vaut la vie d’un seul homme. Je déserte de l’Armée rouge comme je déserte de l’armée française. Je déserte de toutes les armées. » (VIII, 110). ’

Son opposition à l’intervention en Espagne finit par le couper de la gauche intellectuelle. Nous verrons que Giono assimilera, quelquefois, les communistes aux fascistes et aux nazis. Mais, malgré cette rupture, son action en faveur de la paix va continuer tout au long de ces années qui précède la guerre. Même si sa solitude est réelle, puisqu’il voit ses amis renoncer les uns après les autres au pacifisme intégral et inconditionnel, elle est relative, puisqu’en contrepartie, il continue à recevoir des lettres d’appui et de soutien à ses idées. Il persiste obstinément dans la voie qu’il a choisie. A propos de cette obstination, il écrit le 6 décembre 1937 dans son Journal :

Ma plus grande arme, c’est de savoir que quand je tiens quelque chose - que je veux garder - rien ne peut me le faire lâcher.
L’autre c’est que je peux m’obstiner vers un but pendant toute ma vie. L’autre : je suis aussi patient que Dieu. (VIII, 228)

 

P. Citron décrit ainsi cette situation :

‘ « Cette obstination a sans doute été exacerbée par le revirement d’un bon nombre de critiques, qui l’avaient soutenu avec enthousiasme durant des années, et qui, à partir de Refus d’Obéissance, avaient accumulé les réserves et les attaques à son égard : Giono s’est raidi contre cette volte-face. De plus, son prestige ayant joué pour rallier à ses idées un grand nombre d’hommes et de femmes, ils l’ont à leur tour encouragé de leurs lettres, de leurs interventions, lui ont fait croire que son influence avait un poids énorme, décisif même, capable de faire basculer l’opinion et de renverser la situation politique »259.’
Notes
251.

A propos des détails de cette action que Giono mène à cette époque, aussi bien au niveau national que local, aux côtés de des écrivains comme Aragon, Gide, Barbusse, Malraux, voir par exemple, Pierre CITRON, Giono 1895-1970, Op. cit. p.238 et suiv, ainsi que l’article de Jean-Paul ESPITALLIER « L’apolitisme engagé » dans Magazine litt é raire n° 329, Op. cit., p. 46-48.

252.

P. CITRON, « Notice » sur Refus d’Obéissance, VII, p.1029.

253.

Voir sa lettre à Aragon où il explique les raisons de cette adhésion à l’A.E.A.R., VII, p.1044-1046.

254.

Voir P. CITRON, Giono 1895-1970, Op. cit., p. 295.

255.

Voir P. CITRON, « Notice » sur Refus d’Obéissance, Op. cit., p.1031.

256.

Cité par P. CITRON , Op. cit., p.1031.

257.

P. CITRON, Op. cit., p.1035.

258.

Op. cit., p.1032. Sur les rapports de Giono avec les communistes, voir aussi P. CITRON Giono 1895-1970, Op. cit., p.238-240.

259.

P. CITRON, « Préface » aux « Récits et essais », t. VII, p. XVI.