Conclusion

Nous avons tenté de donner un aperçu sur l’engagement pacifiste de Giono. Cet engagement s’inscrit dans un mouvement assez vaste mené par les intellectuels durant les années qui précèdent la guerre. Giono partage avec eux certaines positions comme la lutte contre le fascisme. Ses essais se font parfois l’écho de certaines de leurs idées. Mais l’intransigeance de sa position pacifiste, et peut-être la part d’utopie qui alimente ses idées et qu’il exprime dans certains de ses textes, particulièrement dans ce qu ’il appelle les « Messages  », accentue progressivement sans doute, la divergence des vues et l’éloigne de certains d’entre eux. D’autre part son engagement pacifiste se manifeste à la fois par l’action proprement dite et par l’écriture. L’écriture, elle-même est action, puisqu’il s’agit de manifestes, de messages, d’actes, de déclarations, etc.

Dès Refus d’obéissance , il fixe les principes de son engagement, qu’il ne cessera de rappeler dans tous les autres essais. Il s’agit de lutter par tous les moyens contre la guerre, même en désobéissant à l’ordre de la mobilisation. Mais cet engagement dépasse le cadre d’un comportement individuel et prend la forme d’un message universel. Il s’agit pour Giono de faire partager ses positions par les autres, mêmes si celles-ci vont à l’encontre de certaines valeurs établies, telles que celle de l’héroïsme, celle du sacrifice, etc. C’est au nom d’une valeur plus grande ( la lutte pour la vie) que Giono mène son combat.

En outre, Giono tente d’élaborer une éthique sur laquelle repose son engagement. Il se fixe des principes qu’il tente de suivre, sans peut-être vraiment tenir compte des aléas de la politique et des changements qui interviennent (compromis, volte-face, calculs, etc.). L’arrivée inéluctable de la guerre ne le surprend pas mais vient lui rappeler la difficulté de concilier la théorie à la pratique. L’action, qui n’est pas chez lui séparée de l’écriture, revêt quelquefois un caractère qui n’a pas beaucoup de rapport avec la réalité.

Les « Essais pacifistes » posent donc le problème essentiel du rapport de l’écriture avec la réalité. Cette écriture, qui se veut action, se trouve prise dans ses propres contradictions. La tentative de faire coïncider l’acte et la parole est une tentative vaine, parce que la parole va souvent au-delà de l’acte lui-même.

Par ailleurs, malgré l’importance de son action qui, on l’a vu, touche beaucoup de personnes, son engagement reste, à notre avis, un engagement très personnel. Le fait de se rendre, au lendemain de la mobilisation, à la caserne de Digne pour être mobilisé, geste qui a paru pour ses amis inexplicable, voir indigne pour quelqu’un qui a toujours appelé à la désobéissance, va bien dans le sens de la responsabilité individuelle. En effet, ce geste, dont il ne parlera pas d’ailleurs, s’inscrit, à notre avis, dans cette idée que ses actions n’engagent que lui. Rappelons encore cette expression qui lui est chère et qui dit qu’il faut que chacun « fasse ses comptes». Chacun est responsable de ce qu’il fait. Giono ne veut pas assurer le rôle de guide. Il se comporte, dans une large mesure, conformément à son éthique.