Le texte se compose de cinq chapitres qui portent respectivement les sous-titres Les Vraies Richesses , I, Les Vraies Richesses, II, etc. Mais si le contenu est varié, il ne présente pas, cependant, de continuité narrative. En voici un bref aperçu.
Dans le premier chapitre qui est composé de quatre sections (appelons section chaque passage séparé d’un autre par un blanc typographique et par un astérisque), l’auteur raconte d’abord (sections 1 et 2), un séjour à Paris (VII, 163-176). Il décrit les rues, les gens qu’il rencontre et qui manquent de naturel. Il parle surtout des ouvriers qui sont en « captivité » (VII, 168) et de leur travail. Il parle de ses conversations avec certains d’entre eux et du discours qu’il a tenu à leur intention et auquel ils n’étaient pas habitués (VII, 174-175). Dans la troisième section (VII,176-179), l’auteur décrit un tableau de Giovanni di Paolo : Saint Jean-Baptiste s’en va dans le désert. La quatrième section (VII, 179-182) est consacrée encore à Paris : l’auteur parle de l’« esclavage » des ouvriers (VII, 180), de leur vie sans « joie » et sans liberté. Ceux-ci ne connaissent la liberté que dans le sommeil et dans le rêve (VII, 181).
Le chapitre II (VII, 182-191) est composé de deux sections. Dans la première (VII, 182-183), l’auteur s’adresse probablement à un paysan - ou à l’homme en général ou simplement à lui-même - pour l’exhorter à goûter à la joie et à la vie et l’inviter à se mêler au monde et à la nature. La deuxième section (VII, 183-191) constitue un passage un peu abstrait et dont la tonalité est un peu différente. Il s’agit d’une scène qui met face à face Antigone, incarnation de l’intelligence : ‘« L’intelligence est une Antigone misérable et majestueuse » ’(VII, 183) et Oedipe, appelé ici « l’homme » (VII, 183). Celui-ci vient de se crever les yeux et il est tout couvert du sang. Le passage est un dialogue entre ces deux personnages.
Le chapitre III (VII, 192-209) est composé de quatre sections. Au début, le narrateur raconte comment la petite bonne, Césarine, est venue lui parler du pain que leur voisine, Mme Bertrand, vient de faire chez elle. Il lui demande d’aller lui en chercher un morceau. C’est à partir de cette scène « vécue » (précisions sur le roman Que ma joie demeure qu’il était en train d’écrire (VII, 193), évocation de ses deux filles (VII, 193 et 194) ), que se déclenchent les événements de l’épisode du pain ressuscité dans le village. Cette action constitue un retour aux sources car elle ouvre aux villageois des richesses inouïes, ‘« ils découvrent les vraies richesses »’ (VII, 205). En retrouvant ‘« leur condition première »’ (VII, 204), c’est surtout la « joie » qu’ils retrouvent.
Ce chapitre contient des considérations sur la faim dans le monde, causée par ceux qui transforment le blé en argent ou par ceux qui le « dénaturent » (VII, 202-204).
L’auteur reprend ensuite un thème proche de celui qu’on retrouve dans Que ma joie d e meure : on ne doit avoir que la quantité de blé dont on a besoin, le reste il faut le donner (VII, 205). La « générosité » est une chose que la société a oubliée.
Le chapitre se termine par l’évocation de l’attachement du narrateur à cette terre, à ces paysans et à cette région : ‘« partout c’est mon pays »’ (VII, 208), et s’adressant aux paysans, il leur dit : ‘« mon pays c’est partout où vous êtes »’ (VII, 208).
Le chapitre IV (VII, 209-247) comprend trois sections. Au début, l’auteur évoque encore une fois le moment où il terminait d’écrire Que ma joie demeure et qui correspondait au moment où se passaient les événements qu’il raconte dans Les Vraies Richesses . Il se compare à Bobi, héros de ce roman (VII, 209‘), « qui pour[lui] n’était pas mort »’ (VII, 210). Il raconte ensuite l’histoire des villageois qui préparent en commun leur pain en commençant par la construction du four. Il évoque alors le goût artistique des paysans et l’accueil qu’ils réservent au « chanteur », ‘à « celui qui joue d’un instrument de musique »’ et au « poète » (VII, 216). Après l’évocation des joies et des peines des paysans, on retrouve un passage consacré aux artisans qui habitent le « bourg » et qui sont des « créateurs » (VII, 217). Ils sont très proches des paysans : des liens d’amitié et de camaraderie les attachent les uns aux autres (VII, 218). Le seul qui ne doit pas trouver de place dans ce bourg c’est le « courtier », car il ‘est « comme ceux qui dénaturent », « produit de cette société dans laquelle l’argent est tout » ’(VII, 218) et qui décident de la valeur du blé en fonction du marché alors que le blé vaut ‘« son poids de farine et son poids de pain »’ (VII, 218-219).
Dans la section suivante, il y a retour à l’histoire du pain préparé par les villageois. Un long passage (VII, 219-238) est consacré à cet événement et à la fête célébrée à cette occasion; fête du vin en l’honneur de Dionysos (VII, 225-236) et fête du pain en l’honneur de « Déméter » (VII, 234).
Vient ensuite un passage (VII, 238-247) sur le soulèvement des paysans, marqué par l’image épique de la marche de la forêt sur Paris. Ce passage commence ainsi :
‘Maintenant, les champs se lèvent pour le combat du peuple de la vie, contre la société des faiseurs de mort. Nous sommes une immense forêt en marche. (VII, 238)’C’est l’histoire d’un combat livré contre les « monstres » (VII, 239-240), les « fausses richesses » (VII, 242, 244)) et la « froide intelligence » (VII, 244).
Le dernier chapitre (VII, 247-255) est formé d’une seule section. Le narrateur parle de quitter « ses amis de la montagne » et de revenir chez lui pour « écrire » ce témoignage (VII, 247). Il parle ensuite de ses livres qui trouvent leur place dans les maisons des paysans et qui sont ‘« de simples histoires d’espérance »’ (VII, 248).
Puis, il s’adresse aux paysans, leur donne des conseils pour les différents travaux avant l’hiver (VII, 248-249). Il dit qu’il les a bien compris, lui, et qu’il a hâte de parler d’eux, de leur joie et de leur « genre de vie » qui est « le seul raisonnable » et qui ‘« peut sauver du désespoir tous ces hommes d’à présent, jeunes ou vieux, noircis de n’être rien, certains de n’être jamais rien »’ (VII, 249).
Le narrateur raconte ensuite comment des étudiants sont venus le voir. Ils étaient au désespoir parce qu’ils ne trouvaient pas ‘« les places auxquelles [leurs] diplômes donn[ai]ent droit »’ (VII, 252). Ils ne connaissaient pas la joie à laquelle leur corps les disposait. Il s’adresse à l’un d’eux (emploi de « tu », ) pour lui donner des conseils. Pour le narrateur, ce que le jeune doit rechercher c’est la « joie » et non l’argent (VII, 253). Le métier artisanal et agricole, qui est le seul susceptible d’apporter cette joie, ne doit pas être ressenti comme dévalorisant par ces jeunes diplômés :
‘Ne fais pas métier de la science; elle est seulement une noblesse intérieure. Ne crois pas que, la possédant, tu te déconsidères en travaillant les champs ou la matière. (VII, 254)’Le narrateur dit avoir connu ‘« aux Carrières du col de Lus [un] étudiant en philosophie qui travaillait avec les ouvriers » ’(Ibid.). Cet étudiant était tout heureux. Dans le bref portrait qu’il en fait, le narrateur en parle comme d’un « héros » qui incarne la perfection à la fois physique et morale :
‘On ne pouvait rien lui souhaiter. Il avait une poitrine de héros; une force joyeuse le portait avec élégance. (Ibid.)’Il ressemble même à un « dieu » :
‘il avait en effet sur le visage une sagesse équilibrée qui lui faisait des lèvres calmes et apaisait tout autour de lui. (Ibid.)’Mais avant d’atteindre le bonheur, il faudrait pour ce jeune passer par une étape ‘: «cette société bâtie sur l’argent, il te faut la détruire avant d’être heureux. »’ (Ibid.).
S’adressant toujours à cet étudiant le narrateur insiste sur l’idée qu’il ne faut jamais accepter de se sacrifier pour les générations futures334 :
‘Je ne te dis pas de te sacrifier pour les générations futures; ce sont des mots qu’on emploie pour tromper les générations présentes, je te dis : fais ta propre joie. (VII, 255)’Le texte se continue sur un propos (toujours adressé à ce jeune) sur les vraies et les fausses richesses et sur la vraie et la fausse patrie:
‘Ce dont on te prive, c’est de vents, de pluies, de neiges, de soleils, de montagnes, de fleuves et de forêts, les vraies richesses, ta patrie. On t’a donné à la place une patrie économique, un monstre qui exige périodiquement le sacrifice de jeunes hommes. (Ibid.)’Et c’est sur l’idée du rejet du sacrifice pour le pays (pendant les guerres) - que le narrateur considère comme inutile - que se clôt le texte335.
Cette idée chère à Giono, qu’on a évoquée plus haut, se retrouvera par exemple dans le texte introducteur de Refus d’obeissance (VII, 259).
Idée qui a été déjà exprimée dans l’épisode consacré à Louis David de Jean le Bleu .