Conclusion

De l’analyse des textes polémiques publiés par Giono entre 1935 et 1939, on peut déduire un certain nombre de considérations sur le rapport de Giono aux événements de l’époque. Rapport qui se traduit selon deux axes importants. Le premier concerne le pacifisme intégral, pur, inconditionnel, sans compromis ni concession que Giono n’a cessé de proclamer jusqu’à la guerre. Il ne tient compte ni des aléas ni des différentes circonstances politiques. Le deuxième concerne la vision même que Giono a de ces événements, et qui le place un peu à l’écart des idées de ses contemporains. En effet, il n’a cessé de croire à un rôle déterminant de la paysannerie dans les événements. En plus de l’insurrection qu’il attend vainement de leur part, (pendant trois ans, de 1935 à 1938), il leur attribue un rôle pacifiste : d’une part, les paysans seront, à ses yeux capables d’empêcher la guerre, et même de l’arrêter au cas où elle viendrait à éclater. D’autre part, ils peuvent jouer un rôle civilisateur : l’instauration d’une civilisation paysanne contribuerait à libérer les hommes assujettis par la machine (celle-ci est, dans son esprit, très largement liée à l’armement). Ainsi, Giono espère, d’une part, une révolte paysanne (dans les Vraies Richesses et dans le projet de F ê tes de la mort ), ou du moins une action qui permette d’éviter ou, le cas échéant, d’arrêter la guerre ( dans Lettre aux paysans notamment); et d’autre part, il ne cesse de proposer une image de la vie paysanne, qui permettrait à l’homme de retrouver la joie et la liberté (dans Les Vraies Richesses et Lettre aux paysans). Cette image mythique qu’il donne des paysans dans ces essais n’est pas le reflet de la réalité mais elle est probablement la transposition de celle qu’on trouve dans les romans (notamment dans Que ma joie demeure ).

A travers ces essais, on s’aperçoit donc que Giono a cherché à jouer un rôle important dans les événements qui ont précédé la guerre. Il a par, ses écrits, essayé d’exercer une influence aussi bien sur le public que sur les hommes politiques. Mais même si ses idées étaient sincères, elles n’étaient pas toutes « réalistes ». Elles traduisaient davantage un élan du coeur qu’une véritable stratégie politique. C’est pourquoi elles n’ont pas eu l’effet qu’il avait espéré. Le désespoir perceptible dans le dernier essai, dans l’évocation de l’image du pacifiste devant le poteau d’exécution, est loin de l’enthousiasme initial qui marquait Les Vraies Richesses par exemple. Vers 1939, Giono semble déçu par les paysans qui ne répondent pas à son appel.

On peut donc dire que cet échec a été, en fait, déterminé par la vision même que Giono avait du déroulement des événements historiques. Vision qui, on l’a vu, était trop subjective pour être juste. Dans l’évaluation qu’il faisait des événements, il lui manquait un certain pragmatisme qui caractérise le politicien et une certaine objectivité qui est propre à l’historien.

Dans ses tentatives pour jouer un rôle sur la scène politique, lors même qu’il agit ou qu’il écrit, il reste un romancier et un poète. Il a la vision du poète et la manière d’écrire (l’histoire) du romancier. C’est pourquoi ses essais pacifistes ne sont pas seulement des essais, on y trouve également une dimension poétique et romanesque importante. C’est ce que nous essayerons de voir dans le chapitre suivant.