Chapitre 3
Idéologie et esthétique dans les « Essais pacifistes »

Introduction

Après avoir dénoncé la guerre dans Le Grand Troupeau (1931) et dans un épisode de Jean le Bleu (1932), Giono revient, à partir de 1934, sur cette position contre la guerre, mais cette fois, dans des essais. En choisissant le genre de l’essai, Giono a voulu probablement exprimer plus directement ses idées. Ce genre est certes plus approprié que le roman pour montrer ses positions et ses idées. Cependant Giono n’abandonne pas totalement le roman pendant cette période, puisqu’il publie Batailles dans la montagne en 1937, projette d’écrire Fêtes de la mort et commence à écrire Deux cavaliers de l’Orage. En outre, ce qui est important c’est que ces essais ne sont pas dépourvus eux-mêmes d’une dimension romanesque importante. En effet, tout en voulant être essayiste, Giono ne peut s’empêcher d’être romancier387, comme s’il se sentait gêné par la restriction qu’impose le genre de l’essai. Il y a chez lui presque toujours débordement de ce cadre restreint. La dimension romanesque est essentielle dans ces essais. Mais elle n’est pas la seule. On peut noter d’autres dimensions qui sont aussi importantes : l’autobiographique, l’épique, le fantastique même, mais aussi le lyrique qui donne à certains passages de ces essais une véritable tonalité poétique.

Pourquoi l’articulation de tous ces genres? Quelle est la fonction que peuvent avoir ces différents registres? Comment, en définitive, s’articulent l’idéologique et l’esthétique dans ces essais? C’est ce que nous essayerons de voir à travers l’analyse de quelques uns de ces essais, notamment Les Vraies Richesses et Le Poids du ciel .

Mais d’abord une précision. Nous entendons par « idéologique » tout ce qui est en rapport avec l’expression des positions de l’auteur, sans tenir compte de la véritable idéologie à laquelle ces positions peuvent renvoyer. D’ailleurs, il n’y en a pas. Car on sait qu’en dehors du pacifisme, Giono ne se réclame d’aucune idéologie et d’aucun parti et qu’il refuse d’être le porte parole d’une quelconque doctrine. Nous serons amené aussi à utiliser le terme « esthétique » qui est peut-être plus approprié à désigner cet aspect de l’écriture chez Giono. Par « esthétique », nous entendons tout ce qui a trait au romanesque, au poétique, etc.

Notes
387.

Des critiques ont déjà noté cet aspect. Nous pensons notamment à P. CITRON, particulièrement à son article « Pacifisme, révolte paysanne, romanesque. Sur Giono de 1934 à 1939 », Op. cit.