I. Entre le roman et l’essai, l’exemple des Vraies Richesses

Chacun des essais pacifistes est un texte composite. On a vu que Refus d’Obéissance se compose de deux textes indépendants mais qui sont thématiquement liés. L’un, « Je ne peux pas oublier », est un essai; l’autre, « Chapitres inédits du Grand Troupeau  », est un récit. Comme si le « message » ne pouvait tenir par lui-même et qu’il fallût lui adjoindre un autre texte romanesque. Giono cherche une sorte d’équilibre : d’une part l’expression directe de son engagement pacifiste et d’autre part, l’explication, indirecte, par le biais du récit, de ce pacifisme. La fiction permet à l’auteur de se libérer des contraintes de l’essai, tout en produisant sur le lecteur un effet peut-être plus important.

Pour deux de ses essais, Giono renvoie explicitement à deux romans. Pour Refus d’Obéissance, il renvoie au Grand Troupeau , pour Les Vraies Richesses , il renvoie à Que ma joie demeure . C’est dire combien, dans son esprit, le rapport de l’essai au roman est important. Le premier est conçu comme le complément et le prolongement de l’autre. Il n’y a pas de cloison étanche entre les deux. L’articulation entre l’idéologique (propre à l’essai) et l’esthétique (propre notamment au romanesque) est un ainsi voulue par Giono lui-même.

Dans Lettre aux paysans, qui est un « Message », certains passages, qui mettent en valeur l’image du paysan par exemple, sont écrits sur le mode lyrique. Il n’est pas jusqu’à Précisions , essai pamphlétaire par excellence, qui ne contienne certains passages où le souci esthétique l’emporte sur celui du polémique. Dans Recherche de la pureté , l’évocation des souvenirs de la guerre de 14 et les deux récits relatifs à certains événements de cette époque, ainsi que la dimension lyrique qu’on peut noter dans la récurrence de l’image du pacifiste face au poteau d’exécution, montrent l’importance du caractère esthétique dans cet essai.

Les deux textes que nous nous proposons d’analyser, Les Vraies Richesses et Le Poids du ciel , sont différents l’un de l’autre, aussi bien du point de vue de la forme que du celui du contenu. Mais dans les deux, on peut noter une part importante de cette écriture qui n’appartient pas tout à fait au genre de l’essai. L’épisode du « pain ressuscité » et celui de la « marche sur Paris » confèrent au premier texte une dimension à la fois romanesque, lyrique, et fantastique. Dans le deuxième, l’« idéologique » est présenté sur le mode lyrique et épique. La variété des discours et le style très souvent riche d’images donnent à ce texte une portée plus large que celle de l’essai qui est censé exprimer essentiellement le pacifisme de l’auteur.