Conclusion

Entre 1935 et 1939, à l’exception de Batailles dans la montagne , Giono ne terminera aucun roman. La préparation de Deux Cavaliers de l’orage , qui commence en 1938, se poursuivra de façon intermittente jusque en 1964. Le projet de Fêtes de la Mort est abandonné. D’ailleurs, après 1937, et pendant dix ans, il ne publiera aucun roman. Pendant cette période, Giono se consacre uniquement aux « Essais pacifistes ». Pourquoi ce changement? Est-ce un tarissement de l’inspiration romanesque? Ou est-ce un choix délibéré? A notre avis, il s’agit d’un choix. La situation politique de l’époque l’oblige à exprimer ses positions dans l’essai parce que c’est la forme qu’il juge la plus appropriée. Ces essais sont en quelque sorte « les enfants du devoir et non pas, comme ses romans, du désir », remarque P. Citron442. Mais le problème n’est pas particulier à Giono. A cet époque, probablement sous l’influence des idées de gauche, la plupart des écrivains et des critiques sont pour la nécessité d’une littérature et d’un art qui tiennent compte de la réalité, et refusent l’abstraction formelle ou esthétique443.

Or, tout en respectant cette « éthique » générale et en restant, le plus possible, attaché à l’actualité, faisant même de ces essais une forme d’action, Giono semble, dans certains de ces textes, s’écarter de cette tendance générale, en montrant un intérêt aussi important à l’esthétique qu’à l’éthique. Il y a donc de sa part un certain écart par rapport à ce « consensus » général444.

Ainsi, les « Essais pacifistes » sont pour Giono l’expression de son action engagée dans la lutte pacifiste et anti-fasciste. Mais ce sont des textes très hétérogènes. Chacun a, à la limite, ses propres caractéristiques, aussi bien au plan de la forme que du contenu. Chacun présente, de manière presque différente, les rapport entre l’éthique et l’esthétique. On a constaté, à travers l’examen de ces textes, que dans certains, l’esthétique l’emporte sur l’éthique. On a pu s’apercevoir, par exemple, comment le souffle épique et lyrique caractérise Le Poids du ciel et comment le mythologique (mythologie grecque ou biblique) imprègne la majeure partie des Vraies Richesses .

Le problème pour Giono est de savoir comment concilier et articuler les deux aspects dans ces essais. Un problème qui, à première vue, semble constituer un dilemme (que l’auteur exprime, on l’a vu, dans son Journal en date du 28 février 1938), qui relève des rapports, entre le « devoir » de l’homme engagé et le « désir » de l’artiste. Mais Giono semble trouver une conciliation (il est vrai non sans difficulté ou contradiction parfois), car pour lui, la position esthétique est en soi une position éthique.

Notes
442.

P. CITRON, « Notice » sur Lettre aux paysans , Op. cit., VII, 1166.

443.

Jean-Marie GLEIZE et Anne ROCHE notent que « tous ces écrivains, sans exception, subordonnent la préoccupation formelle à l’exigence éthique », dans « "Roman", "poésie", "peuple" : situation du lexique gionien dans les années trente », Op. cit., p. 12.

444.

Dans leur article, J-M. GLEIZE et A. ROCHE analysent, sur le plan lexical, la conformité ainsi que l’écart de Giono par rapport à ce « consensus ». Op.cit.