Conclusion

A travers l’analyse de quatre textes, éloignés les uns des autres dans le temps, nous avons essayé de voir comment se manifeste la figure de l’artiste créateur. Tous ces textes mettent en effet en valeur, de façon différente à chaque fois, cette problématique essentielle chez Giono qu’est la création littéraire. C’est sur quoi nous avons en tout cas insisté. Dans Naissance de L’Odyssée, le premier roman achevé de Giono, cette question apparaît surtout à travers le « mensonge créateur » qui place d’emblée Giono à une certaine distance du problème du « réel». Son oeuvre ne doit pas exprimer le réel, elle est pure expression de lui-même et d’un monde imaginaire. C’est ce qui lui donne sa beauté et sa force, comme le récit imaginaire d’Ulysse, et répondrait déjà à toute la critique qui voyait en lui un auteur qui se contentait de décrire sa Provence. Dans Pour saluer Melville , l’auteur montre que pour le poète, le monde est une création, rendue possible grâce à l’imagination, à la sensibilité et au langage. Le poète est celui qui voit l’invisible et qui est capable de le communiquer à autrui. Dans Les Grands Chemins , c’est le rapport de la création avec le jeu et la tricherie qui est évoqué. L’artiste est un joueur virtuose qui joue sur les images et le langage. Il triche quelque part sans que le lecteur s’en aperçoive. Noé est l’oeuvre centrale qui contient en elle la plupart des problèmes du créateur en rapport étroit avec sa création. Mais les textes qui viennent après, comme Les Grands Chemins, et qui développent, dans une certaine mesure, certains des points contenus dans Noé, mettent également en valeur, et de manières différentes, d’autres aspects de la problématique de la création et de l’écriture.

En effet, ces quatre oeuvres ne sont pas bien sûr les seules à traiter de cette question. Tous les autres textes la développent avec plus ou moins de détails et plus ou moins directement.

Ce qui caractérise la plupart des textes c’est la parole. Car l’artiste est avant tout un parleur. Dans ces textes, la parole prend des formes diverses. Elle est poétique, panique, prophétique, mythique, lyrique, etc. Mais si dans les premiers textes elle exprime un jaillissement et une force semblables au monde naturel qu’elle exprime et des rapports de l’homme avec ce monde, dans les Chroniques, en revanche, elle est pleine de silence. Elle traduit désormais l’hésitation et l’incertitude des personnages et un peu leur rupture avec la monde naturel. Mais ce qui distingue cette parole, aussi bien dans les premiers textes que dans les Chroniques c’est sa nature orale. Nous avons vu que cela relève du fait que Giono porte en lui ce caractère du conteur oral. L’écriture est une « tricherie » qui lui permet de parler en écrivant; Giono « utilise » l’écrit, le code de l’écriture, à contre-temps, à contre-sens délibérément. Le lecteur lit, en lisant le texte de Giono, la tension qui anime le texte, entre ce qu’il dit (comme écrit) et ce Giono veut qu’il dise (comme oral) et ne peut dire qu’en se reniant, en se détruisant lui-même.