I. C. Les points essentiels du changement

I. C. 1. Les « Chroniques romanesques » et le « Cycle du Hussard »

Les deux projets des « Chroniques » romanesques et du « Cycle du Hussard » naissent presque en même temps chez Giono. Il écrit Angelo en 1945 et en 1946 il termine Mort d’un personnage , où nous découvrons Pauline vieille vivant avec Angelo II, son petit fils. Il commencera à écrire Le Hussard sur le toit en 1946 et il ne l’achèvera qu’en 1951. Il écrira Le Bonheur fou , le dernier du cycle entre 1953 et 1957. Mais en 1946, il va décrocher du « Cycle » en écrivant un roman d’une autre nature, Un Roi sans divertissement , qui sera le premier des « Chroniques romanesques ».

L’ensemble des textes qui forment le « Cycle du Hussard » est distinct de celui des « Chroniques ». Giono, lui-même, souligne la différence entre les deux. C’est au niveau du style qu’il situe cette différence. A propos du Bonheur fou , il dit à R. Ricatte en 1966 ‘: « Voyez-vous, dans Le Bonheur fou, j’ai essayé de faire que chaque phrase raconte, que chaque phrase soit en elle-même un récit complet et qu’il y ait chaque fois des possibilités de s’arrêter sur cette phrase et de voir ses prolongements romanesques aussi bien dans une direction que dans l’autre ».’ Alors que les « Chroniques » doivent avoir ‘« dans le style plus de sécheresse » et « donner par leur style une façon de rédaction beaucoup plus nette, beaucoup plus sèche que les rédactions précédentes - moins d’images, moins d’adjectifs -, à l’aide d’un flux plus rapide : tout cela v[eut] être une chronique plus linéaire’ »639. Giono fait ici non seulement la différence entre les « Chroniques » et le « Cycle » mais également entre les textes de « l’ancienne » et ceux de la « nouvelle manière » comme il les appelle lui-même. En outre, contrairement à la circularité du « Cycle » où les mêmes personnages réapparaissent, les « Chroniques » sont des récits indépendants les uns des autres, à l’exception du héros des Récits de la demi-brigade dont Giono raconte la mort à la fin d’Un Roi sans divertissement 640.

Cependant on peut noter certaines convergences entre les deux ensembles, comme le note R. Ricatte641. Par exemple, on voit apparaître dans l’une des nouvelles qui composent Les Récits de la demi-brigade, texte qui fait partie des « Chroniques », les deux personnages d’Angelo et du Hussard sur le toit : Pauline et Laurent de Théus. Dans Mort d’un pe r sonnage , le « climat psychologique » fait penser plus à celui qu’on trouve dans les « Chroniques » qu’à celui du « Cycle ». En plus, on peut trouver un lien entre Le Hussard sur le toit et certaines « Chroniques », grâce au thème de l’apocalypse, non pas au niveau extérieur que présente l’épidémie, mais au niveau du mal intérieur qui ronge les hommes. Comme les cholériques du Hussard, certains personnages des « Chroniques » sont victimes du mal incurable, l’ennui.

Le terme « Chronique » apparaît dans le « Carnets » de Giono en 1946642. Dans son entretien avec R. Ricatte en 1966, il s’explique en ces termes ‘: « C’est que le personnage intervenant dans le roman donnait à ce roman une sorte de valeur historique; [...] il y avait dans ces romans une sorte d’histoire du siècle dans lequel les drames se passaient. C’était par conséquent une sorte de chronique de ces moments-là. »’ 643

L’appellation « Opéra bouffe » est aussi utilisée par Giono pour désigner la « Chronique ». C’est pour souligner le côté allègre ou ironique qu’on trouve dans certains textes644.

Notes
639.

Rapporté par R. RICATTE dans sa « Notice » sur le « Genre de la chronique », Op. cit., III, 1289-1290.

640.

Nous pouvons parler aussi , mais avec moins de certitude, du personnage du « Procureur » que consulte le narrateur du Moulin de Pologne et qui serait le même procureur, « amateur d’âmes » que celui d’Un Roi sans diverti s sement .

641.

R. RICATTE, Op. Cit., III, 1288.

642.

R. RICATTE, Op. cit., III, 1281.

643.

Rapporté par R. RICATTE, Op. cit., III, 1290.

644.

Sur cette question, voir R. RICATTE, Op. cit., III, 1284-1286.