III. B. Le double récit

III. B. 1. Une structure récurrente

Par ailleurs, dans les romans de la première « manière », l’unité est assurée, au plan narratif, par la présence, très souvent, d’un seul narrateur qui se charge de tout raconter du début à la fin, et, au plan diégétique, par l’existence d’un seul récit principal. Dans, la deuxième « manière », en revanche, il peut y avoir souvent des romans qui présentent une multiplicité de narrateurs et de récits. On a vu comment dans Un Roi sans divertissement , même si la vie de Langlois constitue le sujet essentiel, d’autres récits, secondaires, occupent également une place prépondérante. La présence de plusieurs narrateurs (ou récitants) qui racontent ce qu’ils savent de ce personnage, donne au texte des bifurcations multiples. Dans Le Moulin de Pologne , où il y a un seul narrateur, la multiplicité des récits vient du fait qu’il s’agit de raconter l’histoire de cinq générations de la famille des Coste, même si l’histoire qui est relative aux personnages contemporains du narrateur occupe la place la plus importante dans le roman. Le portrait de chaque personnage et son comportement face au destin peut, à chaque fois, constituer un récit en soi.

Noé reste cependant le roman qui développe le nombre le plus grand de récits. Ces récits gigognes tournent autour de multiples centres d’intérêt ou personnages qui entretiennent entre eux des rapports très variés et très complexes. On l’a vu, dans Noé, on trouve par exemple des récits en rapport avec la vie de l’auteur ou avec son travail de créateur. D’autres sont relatifs à ses livres écrits ou à écrire. D’autres encore retracent différents drames des multiples personnages fictifs et qui restent le plus souvent inachevés.

Le double récit caractérise ainsi les différentes « Chroniques ». Il peut y avoir double récit tout d’abord en raison de la présence d’une double intrigue : la première concernant le personnage principal, et la deuxième se rapportant au narrateur lui-même, comme dans Les Grands Chemins , dans Le Moulin de Pologne ou dans Les Ames fortes . En deuxième lieu, le double récit peut être produit par les différentes versions de la même histoire, comme dans Les Ames fortes. Il peut également exister en raison de la présence conjointe du récit du passé avec celui du présent du même personnage, comme c’est le cas de Tringlot dans L’Iris de Suse .

C’est ce dernier exemple que nous nous proposons d’examiner en détail.