IV. B. La paratextualité

Nous pouvons noter que beaucoup de textes sont entourés d’une multitude d’autres textes ou d’articles qui leur servent de « préfaces », de « postfaces » (voir bibliographie). Nous avons déjà (dans la première partie) parlé du rôle de certaines de ces « préfaces » et de leur rôle. Ajoutons que ces textes seconds, qui sont censés apporter un éclaircissement sur le texte premier (ou sur un texte qui n’est pas de Giono), c’est-à-dire sur l’oeuvre, deviennent eux-mêmes des textes indépendants, voire des oeuvres littéraires à part entière ( comme Virgile qui, au départ est censé être une « Préface aux Pages immortelles de Virgile »)691. Les « postfaces », par exemple, qui quelquefois sont écrites des années plus tard, sont coupées du contexte dans lequel l’oeuvre a été écrite. Elles sont alors davantage l’expression d’une nouvelle vue sur cette oeuvre (liée à la situation de la rédaction) qu’une véritable présentation de celle-ci. Giono, lui-même, souligne cette idée dans sa « Postface à l’édition des Cent Bibliophiles (1947) » de Regain :

‘Honnêtement je n’ai rien à dire en préface à un livre qui a paru il y a vingt ans. Il y a bien longtemps qu’il ne me préoccupe plus. [...] C’était pour moi assez difficile parce que j’en ai parlé très souvent, que je veux chaque fois dire quelque chose de nouveau, que la fable est très loin de moi, que les temps ont changé...  (I, 1373-1374) ’

C’est, en effet, ce regard neuf qu’il porte sur des textes passés, que nous retrouvons dans ces « postfaces ».

Les exemples sont nombreux. Contentons-nous ici d’un seul. Dans la « Postface » qu’il écrit, en 1958, au Moulin de Pologne (V, 1250-1253), c’est-à-dire six ans après l’achèvement du roman, l’auteur raconte une autre histoire du destin de la famille T. qu’il donne comme le fait divers dont il s’est inspiré pour son roman. Mais cette histoire qui est censée s’être passée entre 1913 et 1920, est, elle-même, composée de plusieurs faits divers692 que Giono combine pour en faire un seul récit.

Ainsi, en voulant présenter ou expliquer une oeuvre, l’auteur est à chaque fois amené, dans ses « préfaces » ou « postfaces », à inventer d’autres récits. Le Giono lecteur de son oeuvre est un Giono créateur. Chaque lecture est une nouvelle création. Mais cette lecture qu’il fait de ses oeuvres est en même temps une suggestion, voire une orientation qu’il « impose » à son lecteur, ôtant ainsi à ce dernier la liberté de lire et de comprendre l’oeuvre à sa manière. D’ailleurs même les entretiens, les interviews et les différentes déclarations fonctionnent de la même façon. Le lecteur est placé, malgré lui, sur une piste, et une seule, que l’auteur lui-même choisit pour lui. Il est ainsi orienté et guidé. Mais la piste que propose l’auteur n’est pas toujours de nature à éclairer le lecteur, elle peut même l’embrouiller. Car au lieu de l’éclaircissement attendu, celui-ci se trouve devant un texte nouveau qui, quelquefois, n’a pas de grands rapports avec le premier.

Notes
691.

Voir également dans De Homère à Machiavel , d’autres préfaces, notamment les deux préfaces à L’Iliade, et la « Préface à une édition illustér des Géorgiques) et « Monsieur Machiavel ou le coeur humain dévoilé », texte qui a servi, en 1955, de préface à Toutes les Lettres de Machiavel, Ed. Gallimard.

692.

Voir Janine et Lucien MIALLET, « Notice » sur Le Moulin de Pologne , Op. cit., V, 1212-1213.