1.3 Incidence du solde naturel et du solde migratoire sur l’évolution démographique des communes

Il se peut, cependant, que cette relative pérennité de l’ordonnancement démographique traditionnel soit le fruit, justement, de sa structuration préexistante. Ne faudrait-il pas en effet plus de quelques décennies pour remettre en cause le poids démographique des centres urbains et, plus précisément, leur propension à continuer à se développer, ne serait-ce que par leur capacité propre à générer un excédent naturel important, du moins en valeur brute ? Les soldes migratoires ne nous donneraient-ils pas à lire un redéploiement des populations bien plus important ?

Afin de vérifier cette hypothèse, nous allons maintenant réitérer cette analyse territoriale, mais en distinguant solde naturel et solde migratoire.

Au sein de la RUL, 136 communes ont connu un déficit naturel sur la période qui nous intéresse. En revanche, 537 ont bénéficié d’un excédent et, enfin, 5 ont eu un solde nul. Le solde naturel s’est globalement échelonné de – 3.141 à Albigny-sur-Saône à + 62.802 à Lyon. La moitié des communes46 n’a cependant connu qu’un excédent naturel faible compris entre + 8 et + 236 habitants. Seules 3 d’entre elles ont eu un nombre de décès supérieur aux naissances dépassant les 300 personnes : Albigny-sur-Saône (- 3.141), Saint-Just-Saint-Rambert (- 1.569) et Alix (-1.507)47. A l’inverse, seules un peu moins de 10% des communes ont bénéficié d’un excédent supérieur à 1.000 individus.

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Carte 4 : Excédent naturel des communes de la Rul entre 1962 et 1990.

Parmi les 136 communes qui ont subi un excédent naturel négatif, la plupart (124 d’entre elles) sont rurales. La Carte , ci-dessus, nous montre qu’elles se situent globalement dans la grande périphérie lyonnaise. Seules 12 communes urbaines, dans le sens INSEE du terme, ont été déficitaires. Il s’agit pour l’essentiel (8 d’entre elles) de bourgs ou de petites villes, le plus souvent fort éloignés de la métropole. Les communes excédentaires, à l’inverse, sont essentiellement urbaines. Certes, sur ces 537 communes, 307 sont situées en dehors d’une agglomération, dans le sens INSEE. Toutefois, leur gain cumulé ne s’élève qu’à 24.053 habitants, alors que celui des 230 autres, toutes situées dans une agglomération, se monte à 410.325.

Contrairement à l’évolution démographique globale, la carte des excédents naturels montre ainsi une image très classique de concentration. L’excédent naturel est d’autant plus important que la commune était peuplée et qu’elle se situait au coeur d’une grande agglomération. Le secteur central de la métropole lyonnaise, Lyon et sa proche banlieue, enregistre, et de loin, les gains les plus élevés. Secondairement, il s’agit de Saint-Etienne et plus marginalement encore des villes moyennes : Villefranche-sur-Saône, Bourgoin-Jailleu et Vienne.

Le déclin démographique du coeur des grandes agglomérations, que nous avons pu observer à travers la carte de l’évolution démographique globale des communes de la RUL (page 35), ne peut donc pas être imputé à une quelconque évolution naturelle. Cette dernière, au contraire, a contribué à renforcer les centres et, en cela, a clairement participé au maintien d’une structuration spatiale de la population fortement concentrée.

Compte tenu du fait que la variation de population d’une commune est formée de son excédent naturel et de son solde migratoire, nous pouvons d’ores et déjà poser comme hypothèse que le redéploiement des ménages, mis en lumière précédemment, résulte essentiellement des migrations résidentielles ; on peut même supposer que l’évolution naturelle l’a sans doute contrebalancé ou, en d’autres termes, en a limité la portée. Un rapide calcul de régression confirme d’ailleurs cette déduction : l’excédent naturel a bien été globalement inversement proportionnel au solde migratoire. En règle générale, plus le solde migratoire a été important, plus le solde naturel a été faible, et inversement bien sûr. Sur les 678 communes que compte la RUL, la droite de régression entre ces deux termes est égale à :

Excédent naturel = - 0,327 Solde migratoire + 688,924

Le coefficient de corrélation est, pour sa part, de – 0,73, ce qui indique, d’ores et déjà, un lien statistique certain. Dans la plupart des communes, il est même encore plus important, car l’observation des résidus montre que seules dix communes s’écartent nettement de la droite de régression et font ainsi fortement baisser le coefficient de corrélation. Il s’agit de communes de la banlieue est de Lyon (Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Villeurbanne, Saint-Priest, Rillieux-la-Pape, Bron, Caluire-et-Cuire, Décines, Meyzieu) et de la ville de Saint-Etienne. Dans ces secteurs, l’importance de l’excédent naturel l’a disputé à celle du solde migratoire. L’un et l’autre se sont ici cumulés pour engendrer, in fine, une importante croissance démographique au cours de cette période. Sans épuiser aucunement le sujet des causes possibles à ce comportement démographique exceptionnel, signalons cependant qu’il s’agit pour l’essentiel de communes où furent construit les grands ensembles des années 1960 et 1970 ; ceci peut sans doute expliquer l’importance du solde migratoire sur la période considérée ainsi que celle de l’excédent naturel, étant donné le profil sociologique des ménages qui résident généralement dans ces logements.

Si nous faisons abstraction de cette dizaine de communes, le coefficient de corrélation entre l’excédent naturel et le solde migratoire atteint - 0,93. L’évolution naturelle de la population des communes de la RUL fut donc presque strictement inversement proportionnelle aux migrations résidentielles. Plus l’un des termes fut important et plus l’autre fut faible. Loin de se conjuguer, ces deux sources d’évolution démographique se sont donc bel et bien contrariées. Il s’agit là d’un changement notable, car traditionnellement l’une et l’autre allaient de pair. Les migrants n’étaient-ils pas autrefois dans la plupart des cas de jeunes célibataires qui ne fondaient une famille qu’une fois installés ? Les communes d’accueil ne cumulaient-elles pas, de ce fait, soldes migratoires positifs et excédents naturels ? A l’inverse, les communes d’origine n’enregistraient-elles pas déficit migratoire et déclin naturel ?

Aujourd’hui, il semblerait donc que les migrants soient généralement des couples ayant déjà eu tout ou partie de leur descendance. De ce fait, les communes d’accueil enregistreraient un solde migratoire positif, mais leur évolution naturelle resterait faible, voire négative. Elles ne bénéficieraient que de peu de nouvelles naissances et, en outre, si leur population préexistante est âgée, la mortalité pourra même y être très importante.

Nous pouvons alors comprendre comment un solde migratoire conséquent peut se conjuguer avec une stagnation, voire un déficit naturel.

Pour les communes de départ, la situation est évidemment approximativement à l’inverse et nous pouvons, par exemple, observer le cas suivant : une émigration de ménages avec enfants qui grève d’autant le solde migratoire, mais une population restante relativement jeune, d’où une faible mortalité, et des familles en cours de constitution, d’où une forte natalité. Ainsi, les déficits migratoires peuvent-ils de même se marier avec d’importants excédents naturels.

Notes
46.

Intervalle inter-quartile (Q3 - Q1)

47.

La présence d’importantes maisons de retraite dans ces trois communes explique leur nombre conséquent de décès.