1.2 Essor des franges périurbaines

Après les années 1970, la croissance urbaine n’a pas cessé. Le redéploiement des populations et des activités a continué, mais il n’a plus donné lieu, du moins principalement, à l’extension de la ville agglomérée. La croissance urbaine a brusquement changé de forme et l’expansion des franges périurbaines84 s’est progressivement substituée à celle des banlieues. Comme ces dernières, les franges périurbaines accueilleront des populations et des activités d’origine citadine. Comme ces dernières, elles participeront au fonctionnement quotidien des villes. Mais à la différence de ces dernières, il ne s’agira plus de tissus denses, continus et contigus à l’agglomération préexistante mais, comme l’ont déjà souligné un grand nombre de recherches85, d’espaces de faible densité où se juxtaposent jusque dans des périphéries lointaines, lotissements pavillonnaires et zones d’activités plus ou moins morcelées.

L’essor des ZPIU (zones de peuplement industriel et urbain) en deviendra l’image emblématique. Même si elle ne fut pas initialement conçue à cette fin86 et malgré toutes ses limites, cette définition permit de souligner avec force la profonde transformation de la croissance des villes durant cette période. Alors que la définition des unités urbaines renvoyait à la ruralité l’ensemble des communes qui n’étaient pas morphologiquement rattachées à une agglomération, celle des ZPIU prendra également en considération les espaces ruraux intégrés, non pas morphologiquement, mais fonctionnellement aux systèmes socio-spatiaux urbains. La délimitation d’une ZPIU s’effectue en partant d’une unité urbaine ou d’une commune rurale industrielle et en y rattachant par contiguïté, d’une part, des communes rurales définies par l’INSEE comme étant soit industrielles, soit dortoirs, et d’autre part d’autres unités urbaines. Les communes rurales industrielles sont celles qui comptent un ou plusieurs établissements industriels de 20 salariés au moins et dont l’effectif total de ces établissements dépasse les 100 salariés. Les communes rurales dortoirs sont celles qui comptent un faible taux d’agriculteurs et une part importante d’actifs qui travaillent hors de la commune. Cette délimitation étant révisée à chaque recensement, on a pu alors observer une très vive augmentation du nombre de communes rurales intégrées dans une ZPIU et, à travers cela, le développement de zones urbaines non-agglomérées.

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Carte 9 : Evolution spatiale de la ZPIU de Lyon de 1975 à 1990.

Ainsi, en dépit du ralentissement du mouvement de formation de nouvelles banlieues, la croissance spatiale de la métropole lyonnaise fut bien loin de faiblir après les années 1970. Comme le montre la carte ci-dessus, elle s’est poursuivie et même amplifiée mais sous une forme différente. Alors qu’en 1975, la ZPIU de Lyon87 ne comptait que 77 communes périurbaines, elle en dénombrait 207 en 1990. La population périurbaine, entendue comme étant celle qui réside dans une commune rurale intégrée dans cette ZPIU, passait dans le même temps de 60.223 à 175.357 habitants, soit de 4,16% à 10,72% du total de cette ZPIU.

Cette délimitation des ZPIU nous livre, cependant, une image quelque peu exagérée de l’expansion et, par là-même, de l’ampleur spatiale actuelle de la métropole lyonnaise. Le rôle octroyé aux migrations alternantes et au taux d’actifs non agricoles, pour différencier le rural du périurbain, dans un contexte de montée globale de la mobilité quotidienne et de baisse importante du nombre d’agriculteurs, a pour effet d’amalgamer l’extension réelle de ce système socio-spatial avec une évolution socio-économique d’ordre général, ce qui amplifie nettement la réalité spatiale de cette ville. Cette exagération se retrouve d’ailleurs à l’échelle nationale. En 1990, les trois quarts des communes et 96% de la population de la France étaient considérées comme faisant partie d’une ZPIU88. Ceci ne signifie pas évidemment que les villes se soient étendues au point de couvrir 75% du territoire national, mais que ce pays est aujourd’hui quasiment totalement urbanisé au sens sociologique et économique du terme.

Afin de mesurer plus précisément la réalité des grandes villes, l’INSEE a défini en 1996 un nouveau type de zonage : les aires urbaines89. Alors qu’avec les unités urbaines, la ville était définie sur des critères morphologiques et démographiques (l’agglomération), avec les aires urbaines seules les agglomérations (appelées pôle urbain) comportant plus de 5.000 emplois sont prises en considération. Alors que dans la définition des ZPIU, l’espace périurbain était défini à travers l’importance des migrations domicile – travail et de l’emploi non-agricole, avec les aires urbaines, la couronne périurbaine sera définie uniquement en fonction des relations de laboro-dépendance et à partir d’un seuil de migrations alternantes plus important (40% des actifs d’une commune allant travailler dans les autres communes de l’aire urbaine). Cette nouvelle définition caractérise donc l’espace urbain en deux grandes catégories : les pôles et leurs couronnes périurbaines. Les communes dont plus de 40% des actifs partent travailler non pas dans une mais dans plusieurs aires urbaines sont également prises en considération et forment une troisième catégorie : celles des communes périurbaines multipolarisées.

Cette nouvelle délimitation ne concerne que les villes d’une certaine importance (5.000 emplois, soit environs 10.000 habitants minimums) et les appréhende, à travers l’emploi, comme des espaces essentiellement économiques. Elle est sans doute quelque peu restrictive, du moins plus que la précédente, mais peut cependant nous permettre de cerner plus précisément l’ampleur spatiale actuelle de la métropole lyonnaise.

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Carte 10 : Les Aires Urbaines de la RUL en 1990.

Si nous nous fions à cette nouvelle délimitation, la métropole lyonnaise se déploierait aujourd’hui jusqu’à 39,2 km de Lyon (Optevoz dans l’Isère) pour couvrir 2.532,93 Km². S’étendant de manière relativement concentrique autour de son coeur historique (carte ci-dessus), les franges périurbaines formeraient une couronne externe relativement profonde et plus ou moins circulaire. Nous pouvons enfin relever que l’essentiel des communes périurbaines de la RUL sont intégrées à l’aire lyonnaise, ce qui souligne bien le lien étroit associant métropolisation et périurbanisation.

Même si elle n’est pas aussi spectaculaire que celle de la ZPIU, l’image de l’ampleur actuelle de la métropole lyonnaise que nous propose la définition des Aires Urbaines reste impressionnante. Alors qu’au début des années 1970, Lyon restait presque entièrement concentrée dans son agglomération, elle en déborderait aujourd’hui sur pas moins de 155 communes périurbaines.

Tableau 2 : L’aire urbaine de Lyon en 1990
Nombre de communes Population Emploi Rapport
Nombre % Nombre % emploi/habitant
Centre 1 415.487 27,56% 260.045 38,98% 0,63
Banlieue 83 846.736 56,17% 340.771 51,08% 0,40
Périurbain 155 245.133 16,26% 66.286 9,94% 0,27
Totaux 239 1.507.356 667.102 0,44

Par-delà son étendue, le tableau ci-dessus nous montre malgré tout que l’essentiel de la population lyonnaise habite toujours la ville agglomérée, ce qui relativise l’importance réelle de la périurbanisation des ménages. Le rapport emploi/habitant nous montre de même la très forte dépendance de la périphérie par rapport au centre au niveau de l’emploi, ce qui relativise également l’ampleur de l’exurbanisation des activités. Somme toute, si la métropole lyonnaise s’est étendue comme jamais auparavant, si les formes de cette croissance sont manifestement bien plus diffuses que par le passé, le poids démographique et économique de la ville agglomérée et notamment de l’hyper-centre reste toujours largement prédominant.

Notes
84.

Phénomène mis en lumière par Racine J.B., 1966.

85.

Pour une présentation commentée des recherches sur ce sujet dans les années 1970 et 1980, le lecteur pourra se reporter à Andan O., Buisson M.A., Cusset J.M., Faivre d’Arcier B., Routhier J.L. et Vant A., 1988.

86.

La définition des ZPIU date de 1962, soit quatre ans avant que J.B. Racine ne mette en lumière pour la première fois le phénomène de périurbanisation.

87.

Nous n’observerons ici que l’évolution de la ZPIU de Lyon.

88.

INSEE, 1992, Composition communale des ZPIU : population et délimitation.

89.

Le Jeannic T., 1996.