2.2.1 Vingt ans de construction dans la RUL

Comme le montre le graphique ci-dessous, le nombre annuel de mises en chantier s’est brusquement ralenti à partir de 1976. Alors qu’on construisait à peu près 22.000 logements par an, on n’en bâtira plus que 14.000 en moyenne par la suite. Ce tassement est évidemment à mettre en rapport avec la baisse concomitante de la croissance démographique. De 1975 à 1990, l’essor de l’agglomération lyonnaise dans son acception la plus large (périmètre 1990) ne fut, en effet, que de + 3,40% (+ 41.470 habitants) ; celle de la Région Urbaine de Lyon de + 9,32% (+211.014 habitants).

message URL GRA016.gif
Graphique 16 : Evolution de la construction dans la RUL de 1975 à 1995.

Malgré cette baisse substantielle, le nombre de mises en chantier fut cependant, et ce contrairement à la période précédente, nettement supérieur à l’accroissement démographique. Alors que la population de la RUL augmentait de 211.014 habitants entre 1975 et 1990, le nombre de nouveaux logements fut de 249.407 sur la même période et l’excédent serait bien plus important si nous avions pris en considération les ménages et non les individus. Ce décalage n’indique pas que nous ayons là une surproduction de logements, mais plutôt que les nouvelles constructions ne furent plus uniquement ou principalement destinées à augmenter la capacité d’accueil du parc immobilier de la RUL. Durant cette période, elles servirent également à le renouveler à travers de multiples opérations de rénovation.

Contrairement encore à la période précédente, nous pouvons aussi relever toute l’importance de la construction des maisons individuelles, notamment après 1977. Compte tenu que ces dernières sont destinées à être des habitations principales et non des résidences secondaires103, compte tenu aussi de l’exurbanisation des ménages mis en lumière dans le chapitre précédent, ce type de logements peut-il être envisagé autrement que comme participant en large part à l’offre immobilière dévolue aux populations urbaines ? Dans cette perspective, l’ampleur de cette forme de construction ne constitue-t-elle pas une différence majeure avec les trente glorieuses ? En effet, alors qu’auparavant l’essentiel des logements produits à destination des ménages urbains était composé de collectif, dans cette deuxième période, il sera aussi formé à part égale de maisons individuelles. Sur les 313.449 mises en chantier enregistrées de 1975 à 1995, la moitié (50,77%) étaient en collectif, l’autre moitié (49,29%) en individuel.

Il convient de s’arrêter, même brièvement, sur les principales causes de cette transformation relativement importante et brutale de la construction. Elle découle, à notre sens du moins, de la rencontre entre une évolution sensible de la demande sociale et le développement d’une politique publique qui en a, volontairement ou non, passablement facilité la satisfaction.

Cette évolution correspond donc évidemment, en premier lieu, à une transformation importante de la demande des ménages. En effet, si, hier encore, les Grands Ensembles ont pu représenter une offre résidentielle particulièrement attractive, comparativement aux logements insalubres des vieux quartiers centraux et péri-centraux, la recherche de logements plus grands et d’une proximité plus importante d’avec la nature, ne serait-ce qu’au travers d’un petit jardin, ont manifestement conduit une part croissante de la population urbaine à s’installer ou à envisager de s’installer dans une maison individuelle. L’emménagement dans ces dernières est ainsi devenu peu à peu le symbole d’un certain mode de vie et la marque d’une certaine réussite sociale.

Cette aspiration à une maison individuelle nous renvoie, en effet, à des stratégies relativement classiques de reproduction et de promotion sociale104, par lesquelles les ménages tentent d’ajuster au mieux trajectoire résidentielle et trajectoire sociale, afin que l’une et l’autre se reflètent, voire se confortent. Cet engouement correspond également, bien souvent, à des stratégies patrimoniales valorisées économiquement mais aussi culturellement. Passant généralement par l’accession à la propriété, la maison individuelle ne représente-t-elle pas une forme de placement financier souvent considéré et encore plus souvent vanté comme étant plus sûr que d’autres ? Ne perpétue-t-elle pas non plus le vieux mythe de la demeure familiale, ce patrimoine transmissible, qui, tout à la fois, individualiserait, formaliserait et pérenniserait symboliquement la famille ?

L’évolution de la demande explique sans doute pour beaucoup le développement des maisons individuelles, mais celui-ci ne se résume pas, cependant, à cela. Il fut également facilité, indirectement mais fortement, par l’Etat. Les aides à l’accession à la propriété (prêts conventionnés105, subventionnés106 et allocations107), développées à partir des années 1950, furent progressivement élargies, ce qui permit à une portion de plus en plus importante de la population de devenir propriétaire de son logement108. Sur la France entière, le pourcentage de ménages propriétaires passa d’ailleurs de 35,5% en 1954, à 56% en 1990109.

C’est la réforme de 1977, qui accentua plus particulièrement la diffusion de cette propriété privée. En assouplissant, d’une part, les conditions d’attribution des prêts subventionnés110, en augmentant, d’autre part, leur montant111, et en ouvrant, enfin, les aides personnalisées au logement aux bénéficiaires de ces différents types de prêt112, elle permit à des ménages aux revenus moyens, voire modestes, d’accéder eux-aussi à la propriété de leur logement113.

Or, 60% des postulants à la propriété envisagent l’achat d’une maison individuelle114. Et l’on aperçoit ici l’incidence peut-être indirecte, mais néanmoins forte qu’ont pu avoir les politiques publiques d’aide à l’accession à la propriété sur le développement des maisons individuelles. Valorisé socialement et culturellement, facilité par les aides publiques, cet essor semble alors résulter de la rencontre entre une aspiration sociale et une politique publique particulièrement compréhensive.

La construction a ainsi profondément évolué par rapport à la période antérieure. Si hier, il s’agissait essentiellement d’accroître la capacité d’accueil du parc immobilier, aujourd’hui, il s’agit également de le renouveler. Tandis qu’hier encore, on construisait avant tout et surtout du logement collectif, désormais, on construit également des maisons individuelles. Ces premiers constats pourraient éventuellement nous faire imaginer que cette évolution est susceptible d’engendrer à terme une transformation radicale du parc immobilier dévolu aux populations urbaines et, à travers cela, de la ville, en tant qu’espace résidentiel.

N’assisterions-nous pas à un mouvement de substitution plus ou moins progressif, plus ou moins insidieux des logements collectifs, par les maisons individuelles ?

message URL GRA017.gif
Graphique 17 : Structure de la construction dans la RUL de 1975 à 1995.

Il convient de relativiser la nature et la portée de cette évolution. Si les dynamiques actuelles semblent induire une certaine transformation qualitative de l’offre résidentielle urbaine, il s’agit essentiellement, du moins pour l’heure, d’un processus de diversification. Le développement des maisons individuelles, dans un contexte où les nouvelles constructions sont destinées, en partie, à en remplacer d’anciennes, ne signifie aucunement que nous assistions là à un mouvement de substitution d’un type de logements par un autre.

Comme le montre le graphique ci-dessus, la part relative du collectif et de l’individuel a certes évolué au cours du temps. Certaines inversions sont d’ailleurs notables. Alors qu’en début de période, le collectif représentait près des deux tiers des mises en chantier, il n’en formera plus que 40% au tournant des années 1980, avant de redevenir majoritaire (58%) à la fin de cette même décennie, sans reprendre toutefois sa prédominance d’origine. Néanmoins, par-delà les évolutions conjoncturelles, nous pouvons constater qu’il n’y pas eu substitution d’une forme de construction par une autre. Le rapport entre l’une et l’autre reste toujours plus ou moins équivalent.

A l’évidence, le parc de logements collectifs se produit et se reproduit toujours et le développement des maisons individuelles semble seulement induire une diversification de l’offre résidentielle dévolue aux populations urbaines et non une transformation radicale de ce parc immobilier. Loin de s’exclure, ces deux grandes formes de logements semblent plutôt se conjuguer et ainsi provoquer le passage d’une ville essentiellement dominée par le logement collectif à une autre plus composite, formée pour partie de collectif et pour autre partie d’individuel.

Notes
103.

p. 11, Agence d’urbanisme de Lyon et CCI de Lyon, 1991.

104.

Bourdieu P., 1990, et Benoit-Guilbot O., 1982-a.

105.

Tout d’abord les prêts immobiliers conventionnés (PIC), transformés en 1977 en prêts conventionnés (PC).

106.

Initialement les prêts spéciaux immédiats (PSI) du crédit foncier et les prêts-HLM accession, qui seront remplacés en 1977, par les prêts aidés à l’accession à la propriété (PAP), transformés en 1993 en Prêts à l’accession sociale (PAS), et enfin complété en 1996 par le prêt à taux zéro mis en place par la loi Périssol.

107.

Aides personnalisées au logement (APL).

108.

Topalov Ch., 1987.

109.

Source : INSEE – RGP 1954 et 1990.

110.

abaissement des conditions de ressource pour l’obtention d’un prêt à l’accession à la propriété (PAP).

111.

Le montant des PAP fut, en moyenne, supérieur à celui des anciens prêt-HLM accession et prêts spéciaux immédiats du crédit foncier.

112.

L’obtention d’un PAP, actuel PAS, ou d’un PC ouvre droit à l’obtention d’une aide personnalisée au logement.

113.

Taffin C., 1985.

114.

Association nationale pour l’information sur le logement, 1996.