3.1.2 Déconcentration des activités industrielles et formation de nouvelles banlieues

Au cours des années 1960, on assista à un important mouvement de périphisation, mais ce processus ne remit pas en cause la structuration préexistante de la ville. Il s’agissait pour l’essentiel d’une simple déconcentration au bénéfice des périphéries immédiates de l’agglomération préexistante et cela contribua, in fine, à la formation de nouvelles couronnes de banlieue.

Au cours de cette période (carte ci-dessous), de nombreux établissements industriels glissèrent de la commune de Lyon, voire de Villeurbanne, vers la seconde couronne de banlieue à l’est et au sud de la ville. Outre ces transferts d’établissements, les nouvelles activités industrielles eurent également tendance à s’installer dans cette très proche périphérie.

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Carte 19 : Transferts intrecommunaux d'établissements industriels dans le périmètre du schéma directeur de Lyon de 1960 à 1966.

L’exemple le plus emblématique de cet essor industriel dans le prolongement immédiat de l’agglomération préexistante est sans nul doute le développement de ce qui devait devenir le couloir de la chimie au sud de la ville. Comme nous l’avons entr’aperçu plus haut, ce secteur était déjà un des grands pôles de la chimie lyonnaise, avec Vaise au nord de Lyon. A Saint-Fons se trouvaient sept grandes usines chimiques où travaillaient pas moins de 7.000 salariés ; les deux plus importantes étant celle de Saint-Gobain (acides sulfurique, chlorhydrique et nitrique) et de L’Air Liquide. Dans le VII° arrondissement de Lyon, se trouvait également la société chimique de Gerland (Benzène, Toluène et Xylène) ; à Pierre-Bénite, la société d’électrochimie ; ou à Vénissieux encore, la société des électrodes125.

Entre 1962 et 1966, la construction de l’usine hydroélectrique de Pierre-Bénite par la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) permit de terminer la viabilisation des berges du fleuve de Gerland à Feyzin et ainsi d’ouvrir de nouveaux espaces à l’urbanisation. Sur ces derniers, pas moins de 350 hectares de zones industrielles furent créés126. A Gerland, on développa un complexe industrialo-portuaire de 83 hectares autour du port Edouard Herriot. Plus au sud, 6 hectares de zones industrielles furent équipés à Saint-Fons et surtout 261 à Feyzin127. C’est ici que fut développé le nouveau complexe pétrochimique.

En 1963, une raffinerie de pétrole fut tout d’abord construite par le groupe ELF. De 1967 à 1974, les sociétés Ugine-Kuhlmann, Solvay et Rhône-Progil, en collaboration avec ELF, installèrent également deux usines de craquage à la vapeur pour la production de propylène, de butadiène et d’éthylène. La production de matière plastique se développa aussi avec l’arrivée de la société Saint-Fons Polymères (groupe Saint-Gobain), puis l’ensemble s’étoffa encore avec l’essor de l’industrie pharmaceutique : établissements Gifrer et Barbezat (eau oxygénée), laboratoires Boiron (Homéopathie) et laboratoires Mérieux (produits vétérinaires)128.

Outre des unités de production, un certain nombre de laboratoires de recherche ou d’unités de production expérimentale toujours liés à la chimie s’établiront également dans ce secteur. A Vénissieux, ce fut le laboratoire central de Rhône-Poulenc ; à Saint-Fons, le centre des Carrières, également rattaché à Rhône-Poulenc ; à côté de la raffinerie de Feyzin, le centre de recherche de ELF-Erap et l’Institut Français du Pétrole ; enfin, à Pierre-Bénite, l’usine de production expérimentale (au 1/5°) d’Atochem.

Nous pouvons imaginer sans peine l’impact de ce complexe pétrochimique et industrialo-portuaire non seulement sur les communes concernées mais aussi, plus globalement, sur la ville. Par-delà les aspects sociaux et économiques, ceci provoqua la formation d’un tissu de bâtiments continus et contigus à l’agglomération préexistante, non loin desquels se développeront, en outre, de nombreuses zones résidentielles, celles des nouvelles banlieues ouvrières. Le développement du couloir de la chimie fut donc en cela emblématique du desserrement industriel des années 1960, qu’il participa très nettement et très fortement à l’expansion de la ville agglomérée à travers la formation de nouvelles banlieues.

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Carte 20 : Les espaces industriels en développement dans le périmètre du schéma directeur de Lyon à la fin des années 1960.

Ce que nous venons d’apercevoir n’est pas spécifique au couloir de la chimie. Si nous observons les espaces productifs en développement à la fin des années 1960 (carte ci-dessus), nous pouvons constater qu’ils se situent tous ou presque dans le prolongement direct de l’agglomération préexistante (périmètre 1954). Par la suite, l’ensemble de cette périphérie sera intégré à l’unité urbaine de Lyon, comme nous l’avons vu dans la première section de ce chapitre.

Tout au long des années 1960, le processus de périphisation de l’industrie provoqua, en définitive, une certaine désindustrialisation de l’hyper-centre de la métropole (Lyon et Villeurbanne), mais contribua dans le même temps non seulement à l’industrialisation des périphéries immédiates, mais aussi et à travers cela à la formation de nouvelles banlieues et donc l’expansion de la ville agglomérée.

Notes
125.

p. 410, Bayard F. et Cayez P., 1990.

126.

p. 480, Latreille A. (Dir.), 1975.

127.

Centre régional Rhône-Alpes d’accueil et d’information des industriels, 1977.

128.

p. 411, Bayard F. et Cayez P., 1990.