Dans les années qui suivirent, le processus de périphisation de l’industrie continua mais changea partiellement de forme. On assista à un report partiel de cette activité beaucoup plus loin en périphérie, dans des pôles non contigus à l’agglomération-mère.
Comme le montre la carte ci-dessus, à l’échelle de l’agglomération les nouvelles zones industrielles furent essentiellement produites dans la seconde couronne Est. Si nous avions cartographié la consommation réelle d’espaces industriels durant cette même période, que cela soit en zones industrielles ou hors zones industrielles, l’image n’aurait pas été sensiblement différente. Ce furent, en effet, les communes de l’est lyonnais, et dans une moindre mesure du quart sud-ouest, qui en vendirent le plus129. Nous avions donc toujours, du moins à cette échelle, un processus de desserrement industriel relativement similaire à la période précédente.
Si nous élargissons le cadre d’observation, il s’avère cependant que de vastes espaces furent également équipés beaucoup plus loin en périphérie. Comme le montre la carte ci-dessus, pas moins de 276 hectares de zones industrielles furent créés, durant cette même période, sur la plaine de l’Ain et surtout 608,22 hectares dans le secteur de l’Isle-d’Abeau130. Le mouvement d’équipement fut donc plus important dans cette très grande périphérie lyonnaise que dans l’agglomération-mère. De fait, ces deux grands secteurs peuvent être considérés comme les symboles-mêmes de cette nouvelle tendance à la relocalisation des activités productives nettement en dehors de la ville agglomérée. Les zones d’activité de l’Isle-d’Abeau et de la Plaine de l’Ain se situent, en effet, non seulement à une distance importante de l’agglomération lyonnaise, mais également à l’écart de tout autre tissu urbain.
Il est vrai cependant que le développement de nouvelles zones industrielles ne reflète pas obligatoirement le redéploiement réel de l’appareil productif. Si nous observons les surfaces effectivement consommées durant cette même période (1968-75), nous pouvons constater que le report industriel fut bien moindre que ne l’aurait laissé présager la carte précédente. Comme le montre la carte ci-dessus, ce fut encore et toujours l’agglomération lyonnaise qui connut la consommation d’espaces la plus conséquente de la RUL et de loin. En 1968, la métropole lyonnaise possédait d’importantes réserves en zones industrielles (581,91 hectares) auxquelles se sont ajoutées les nouvelles zones équipées (339 hectares). Elle put ainsi vendre 679,77 hectares de zones industrielles entre 1968 et 1975, auxquelles nous nous devons d’ajouter 654,81 hectares hors zones industrielles131.
Si l’équipement de ces zones d’activité de la très grande périphérie ne reflète pas de façon pure et parfaite le redéploiement de l’appareil productif, il révèle, en revanche, une volonté clairement affirmée des pouvoirs publics et des grands organismes socio-économiques (les chambres consulaires et les groupements patronaux) d’opérer un report partiel de cette activité sur l’Isle-d’Abeau et la Plaine de l’Ain ; ainsi d’ailleurs que sur la plaine du Forez en ce qui concerne l’espace stéphanois132.
Tout ce qui avait été envisagé ne fut certes pas réalisé. Mais pouvait-il en être autrement ? La consommation d’espaces industriels fut, en l’occurrence, beaucoup plus importante que prévue au sein de l’agglomération lyonnaise et le report des activités sur les nouveaux pôles périphériques non seulement plus faible mais aussi sensiblement différent au plan qualitatif par rapport à ce qui avait été espéré.
La plaine de l’Ain, où devaient être équipées entre 3.000 et 4.000 hectares de zones industrielles133, n’en compte toujours aujourd’hui que 600 hectares134 partiellement occupés et aménagés. Au lieu de l’industrie lourde prévue à l’origine, elle accueille des activités de production sensiblement plus légères (Lever, Rhône-Poulenc, Peugeot-Citroën, Printemps-Prisunic, etc.) et surtout de nombreuses entreprises de logistique. L’évolution économique d’une part (crise de l’industrie lourde, crise du pétrole et abandon du projet d’une deuxième raffinerie) et d’autre part la concurrence des zones industrielles de l’est lyonnais pour la mécanique et du sud de la métropole pour la chimie, explique sans doute cette évolution sensiblement différente au plan quantitatif et qualitatif de ce qui avait été prévu initialement.
L’Isle-d’Abeau, où il était envisagé l’installation d’établissements publics et privés de gestion et de décision de haut niveau, a vu se développer d’importantes zones industrielles dans lesquelles se sont installées de nombreuses entreprises de transport et des plates-formes de distribution. Dans ce cas précis, nous pouvons penser que l’aménagement de la Part-Dieu à Lyon n’est pas totalement étranger à ce changement d’orientation. En effet, à la même époque où l’OREAM prévoyait le développement d’un « centre régional de décision » dans la ville nouvelle, la municipalité de Lyon, puis la communauté urbaine de Lyon, s’engageait dans la réalisation d’un centre similaire dans l’hyper-centre de la métropole. Sur 56 hectares de la rive gauche du Rhône, furent bâtis une cité administrative d’Etat (90.000 m²), l’hôtel de la communauté urbaine (25.000 m²), le centre régional EDF-GDF, une maison de la radio et de la télévision, un centre commercial (110.000 m²), une bibliothèque municipale (28.000 m²), un auditorium (15.000 m²), de nombreux immeubles de bureaux (200.000 m²), une gare SNCF (gare TGV depuis 1982) et enfin un échangeur pour les transports en commun, desservi par le métro135. Somme toute, y avait-il une certaine redondance entre les projets de la ville nouvelle et de la Part-Dieu ; ce dernier ayant manifestement bien plus d’atouts pour réussir.
Même si tout ce qui avait été prévu ne fut pas réalisé, une partie de l’appareil productif lyonnais s’est néanmoins reportée sur ces pôles périphériques. En 1993, 151 établissements de plus de dix salariés étaient implantés à l’Isle-d’Abeau, 298 dans la plaine de l’Ain. Si les résultats restent encore modestes, ces deux secteurs furent malgré tous ceux qui connurent le développement le plus important ces dernières années. Entre 1987 et 1993, l’Isle-d’Abeau et la Plaine de l’Ain ont connu une augmentation du nombre de leurs établissements de plus de dix salariés respectivement de 62,4% et 69,3%, contre 29,0% en moyenne sur la RUL136.
Somme toute, aujourd’hui, l’appareil productif reste encore très largement regroupé au sein des agglomérations ou dans leurs abords immédiats, à commencer par Lyon. Les dynamiques actuelles ne semblent pas indiquer que ces activités tendent à les déserter. A la différence, cependant, des périodes antérieures une partie de la production s’est re-polarisée beaucoup plus loin en périphérie dans des espaces nettement séparés morphologiquement des agglomérations. La plaine de l’Ain, l’Isle-d’Abeau, la plaine du Forez ou plus loin encore Salaise-sur-Sanne près de Roussillon représentent aujourd’hui des pôles d’activité non-négligeable à l’échelle de la RUL137. De fait, si la périphisation de l’industrie concourrait naguère à la formation de nouvelles banlieues et donc à l’extension des agglomérations, elle semble désormais contribuer, mais en partie seulement, à la formation de pôles nettement dissociés des agglomérations urbaines. Elle semble introduire en cela une certaine discontinuité physique dans la ville en tant qu’espace productif.
Centre régional Rhône-Alpes d’accueil et d’information des industriels, 1977.
Centre régional Rhône-Alpes d’accueil et d’information des industriels, 1977.
Centre régional Rhône-Alpes d’accueil et d’information des industriels, 1977.
Nous ne retracerons pas ici l’histoire passionnante de ce choix stratégique et du jeu d’acteurs qui le porta, ainsi que les difficultés rencontrées, ces obstacles qui expliquent évidemment, que les réalisations ne furent pas toujours à hauteur des ambitions initiales, car ceci déborderait pour le moins du cadre de cette thèse.
p. 126, OREAM, 1971.
RUL, 1992-b.
p. 480, Latreille A., (Dir.), 1975 et Bayard F. et Cayez P., 1990.
Pothier Y, 1994.
p. 38, SEPAL, 1988.