A un niveau plus géographique, aspect qui nous intéresse plus précisément, les grandes surfaces (plus de 400 m²) se sont développées en majeure partie en périphérie d’agglomérations. Malgré quelques implantations à l’intérieur des centres urbains, soit par insertion dans le tissu préexistant (comme sur la Presqu’île à Lyon), soit par création ex nihilo de centres commerciaux (comme celui de la Part-Dieu à Lyon ou de Centre II à Saint-Etienne), elles se situent à plus de 85%146 hors des centres urbains traditionnels, c’est-à-dire dans les banlieues, mais aussi parfois beaucoup plus loin dans les franges périurbaines147.
Sur ces marges, les établissements commerciaux (carte ci-dessus) ne se sont pas obligatoirement dispersés. Ils se sont au contraire plutôt regroupés pour former tantôt des boulevards commerciaux juxtaposant des moyennes surfaces non-alimentaires sur plusieurs kilomètres, tantôt de véritables plates-formes agglomérant autour d’un hypermarché moteur des petits magasins ainsi que quelques moyennes surfaces.
Pour ne citer que quelques exemples particulièrement significatifs, autour de Carrefour Ecully s’est développé une vaste galerie marchande, regroupant 85 petits magasins (surface inférieure à 400 m²) franchisés ou non, alimentaires ou non alimentaires. Cinq moyennes surfaces (Botanic, Décathlon,...) se sont également installées dans ou à proximité immédiate de ce grand centre commercial.
Autour d’Auchan Saint-Priest, outre une galerie marchande similaire à celle de Carrefour (56 magasins), un nombre plus important de grandes ou moyennes surfaces comme Boulanger, Décathlon, Ikéa ou encore Toys’r us, se sont regroupées et l’ensemble forme maintenant la plate-forme commerciale la plus importante de la périphérie lyonnaise.
Dernier exemple et dernier type de polarisation périphérique, enfin, celui qui s’est constitué le long de la RN6 est. Après l’installation de Conforama en 1967, soixante grandes et moyennes surfaces (plus de 400 m²) spécialisées dans l’équipement de la maison et de la personne se sont installées ici pour former un linéaire tout à fait caractéristique des entrées de ville.
Ces nouveaux espaces commerciaux périphériques concurrencent aujourd’hui fortement les centres urbains traditionnels et l’évolution des achats dans l’agglomération lyonnaise de 1991 à 1996 par grandes zones géographiques est ici sans ambiguïté (graphique ci-dessous).
Les centres urbains secondaires traditionnels (Saint-Fons, Neuville-sur-Saône, Tarare, Givors, Vaise, Tassin-la-demi-lune, Villeurbanne-Gratte-Ciel, Oullins, Croix-Rousse) n’occupent plus qu’une position mineure sur le marché du commerce de détail. Entre 1991 et 1996, ils ont quasiment tous régressé ou au mieux stagné. Seul Tassin a accru quelque peu son chiffre d’affaire.
L’hyper-centre de la métropole représente toujours une part importante du commerce de détail. Son évolution est toutefois contrastée. Le centre commercial de la Part-Dieu a nettement conforté sa position pour devenir ainsi le deuxième pôle commercial de ce périmètre. La Presqu’île, c’est-à-dire le centre historique de la métropole lyonnaise a, en revanche, stagné et est passé de la première à la troisième place dans la hiérarchie des pôles commerciaux.
Les plates-formes commerciales périphériques (RN6 est et nord, Givors- les 2 Vallées, Le Perollier, Portes des Alpes) se classent désormais dans les toutes premières places. Elles ont même renforcé leur position ces dernières années. La plate-forme de Portes des Alpes a devancé l’hyper-centre lyonnais et est ainsi devenue le premier pôle commercial de ce périmètre.
Ainsi la montée en puissance de la grande distribution s’est accompagnée de la formation de plates-formes commerciales périphériques qui concurrencent aujourd’hui les centres urbains dans une de leurs fonctions les plus anciennes : le commerce, mais également les services aux ménages, car nous pouvons assister depuis ces dernières années au développement de services marchands (billetterie de spectacles, assurance, voire quelques services bancaires...) surtout dans les plates-formes commerciales les plus importantes, comme celle d’Auchan-Porte des Alpes ou encore de Carrefour-Ecully.
Ces nouveaux pôles périphériques s’établissent sur ces marges dans des territoires relativement spécifiques, ce qui tend à fragmenter l’espace urbain, à remettre en cause, comme pour les activités productives, l’unité morphologique de la ville et, derrière les formes physiques, à renforcer la segmentation spatio-fonctionnelle. En cela ne tendent-ils pas plus fondamentalement à introduire la polarité comme nouveau principe de structuration intra-urbaine ? De par l’emploi qu’ils représentent et surtout de par la masse des consommateurs qu’ils attirent, ne sont-ils pas devenus, en effet, des éléments à part entière de structuration des villes ?
Cela ne signifie pas, cependant, que le commerce soit en train de fuir totalement les centres-villes et donc que les centres urbains soient menacés de disparition. Comme nous l’avons vu, l’hyper-centre métropolitain conserve un poids commercial non négligeable et si la Presqu’île a stagné ces dernières années, la Part-Dieu pour sa part s’est bel et bien développée. Nous ne pensons donc pas, en conséquence, que nous assistions là, ne serait-ce qu’en matière commerciale, à un effacement fonctionnel des centres urbains et, à travers ce phénomène, à une substitution radicale de la centralité à la polarité comme principe de structuration urbaine. Il nous semble que nous ayons plutôt ici le signe d’une relative dualisation de la géographie du commerce, à la fois centrée et multi-polarisée ; à la fois structurée par l’antique principe de centralité et par ce nouveau principe de polarité.
Moyenne sur Rhône-Alpes.
Si nous nous fions ici à l’analyse de R. Perron (1993), cette périphisation de la grande distribution nous renverrait pour l’essentiel à des stratégies économiques développées par ces grands groupes commerciaux - recherche d’une accessibilité maximale (proximité d’un noeud routier) et d’opportunités foncières à un coût minimal (prix fonciers, contraintes architecturales, possibilité d’extension, etc.) - et non à la loi Royer de 1973, malgré sa volonté affichée de protéger le petit commerce traditionnel des centres urbains.