Chapitre 3
L’émergence d’une ville - région
La réorganisation d’une ville à l’échelle régionale

Les tendances que nous avons tenté de mettre à jour, semblent donc éminemment complexes et même partiellement contradictoires. Comment expliquer, en effet, cette double pérennité des agglomérations et des franges périurbaines, de la centralité et de la polarité, dans un contexte global où le système socio-spatial lyonnais tend à s’étendre de plus en plus fortement ? Quel sens donner à cette évolution ? Derrière cette complexification de la ville n’assistons-nous pas à son éclatement ? Ne se forme-t-il pas ici deux ensembles plus ou moins distincts, l’un formé d’agglomérations toujours centrées, l’autre de franges périurbaines polarisées ? A l’inverse, ne pourrions-nous pas postuler que si ces agglomérations et ces franges périurbaines, si ces centralités et ces polarités ne se substituent pas les unes aux autres, ce n’est pas forcément pour s’exclure les unes les autres ? Ne pourrions-nous pas enfin former l’hypothèse qu’elles puissent procéder et participer en retour à un seul et même système socio-spatial ?

Répondre à toutes ces questions n’est pas chose aisée et nous voudrions, tout d’abord, ré-interroger les dynamiques urbaines, en l’occurrence le couple métropolisation – périurbanisation, à la lumière des recherches qui ont pu être menées sur ce sujet en France tout au long de ces dernières décennies (section 1). Ceci nous permettra de pointer les différentes interprétations qui ont pu être données à ces processus et à leur impact sur la ville. Nous pourrons ainsi apercevoir que ces phénomènes peuvent être considérés autrement que comme des processus univoques et impératifs conduisant inévitablement soit à une fin de la ville, soit à on ne sait quelle schizophrénie urbaine. Nous verrons, plus précisément encore, que l’on peut également les saisir comme des phénomènes plurivoques, d’échanges et de tri des populations et des emplois et que cette acception nous permet alors de comprendre, et non plus seulement de constater, comment ces processus peuvent concrètement conforter tout à la fois les agglomérations et les franges périurbaines, les centralités et les polarités.

Nous essaierons ensuite de relire sous cet angle les dynamiques qui ont travaillé la RUL au cours de ces dernières décennies. Nous pourrons apercevoir l’ample mouvement d’échanges et de tri qui s’est effectué ces dernières années entre le centre et la périphérie lyonnaise, entre la ville agglomérée et ses franges périurbaines (section 2). Nous verrons en cela que s’esquisse un véritable processus de ré-allocation spatiale différenciée des populations et des fonctions, c’est-à-dire un processus structuré mais également structurant, qui peut s’apparenter à bien des égards à un partage des tâches156 à l’échelle de la région urbaine.

Loin d’être antithétiques, la ville dense et la ville diffuse semblent donc se répondre au travers de ces flux sélectifs. Si l’on veut bien tenir compte également (section 3) de la manière dont les franges périurbaines épousent l’armature urbaine, c’est-à-dire se disposent dans l’espace en fonction des agglomérations, ne se confirme-t-il pas alors que l’une et l’autre, loin de s’exclure, s’accordent en fait pour former conjointement une ville globale, une ville région, une métapole, tout à la fois dense et diffuse, agglomérée et périurbaine ? Car la périurbanisation a certes généré l’émergence de polarités périphériques, mais il apparaît cependant, que ces franges périurbaines restent et sont fondamentalement structurées par les centres urbains et en premier lieu par l’hyper-centre lyonnais.

Ces échanges de populations et d’activités, ces centralités aussi qui manifestement structurent les agglomérations comme les franges périurbaines nous conduisent à ne parler ni d’un dépérissement de la ville dense, ni d’un éclatement urbain. Ils nous feraient plutôt envisager l’émergence d’une nouvelle forme de ville, non plus circonscrite à une seule et simple agglomération, mais recouvrant un ensemble plus vaste, une ville tout autant sinon plus ségrégée et segmentée que pouvait l’être l’agglomération industrielle, mais pourtant une seul et même ville qui fonctionne au quotidien comme un seul et même système.

Notes
156.

Tout comme F. Ascher (1995-a) et pour des raisons similaires, nous préférons le terme de partage des tâches à celui de division spatiale du travail, trop spécifiquement économique.