1.1 La périurbanisation, un élément de régulation de la métropolisation

Un lien d’évidence est communément établi entre métropolisation et concentration et il est vrai que, durant les années 1950 et 1960, ceci semblait bien rendre compte de la réalité. Le renforcement global des métropoles au détriment du reste du pays se conjuguait alors avec la croissance morphologique de ces grandes villes. A compter des années 1970, un nombre croissant de recherches158 ont cependant montré que le mouvement de concentration à l’échelle nationale ne provoquait plus obligatoirement, ni même essentiellement, l’expansion spatiale des banlieues de ces grandes agglomérations. Au niveau local, elles mirent en évidence un phénomène inverse de redéversement de populations et d’activités urbaines dans des périphéries de plus en plus lointaines (la périurbanisation159) et soulignèrent que de ces mouvements contraires, centripètes et centrifuges, naissaient des marges urbaines incertaines, les franges périurbaines, où se juxtaposent jusque dans des périphéries lointaines, lotissements pavillonnaires et zones d’activités plus ou moins morcelées.

Une discordance se faisait donc jour entre le phénomène global, toujours centripète, et les dynamiques locales, désormais centrifuges. Ce constat pour prosaïque, voire trivial qu’il paraisse de prime abord, posa néanmoins certains problèmes d’interprétation. Comment expliquer, en effet, qu’une tendance globale à la concentration puisse se traduire au niveau local en une tendance inverse à la dispersion ? Les dynamiques urbaines se décomposeraient-elles désormais en deux mouvements distincts et contraires ? Dans ce cas, quelle raison et quel sens donner à ce soudain hiatus ? Ces deux phénomènes sont-ils antithétiques ou bien se renvoient-ils l’un à l’autre, à travers un processus dont il restera alors à mettre les ressorts en lumière ? Assisterait-on aux prémices d’un mouvement de contre-urbanisation ou bien seulement à un ralentissement de la densification des marges urbaines ? Quel avenir, enfin, ces dynamiques promettent-elles à nos villes et à nos campagnes ?

Au milieu des années 1970, à une époque où la hantise majeure était encore la croissance démesurée des banlieues, où les premiers schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme reprenant en cela les prescriptions des PADOG et des OREAM de la décennie précédente160, cherchaient à endiguer la croissance des agglomérations, une des premières interprétations fortes de la périurbanisation fut de l’appréhender comme un mécanisme permettant de limiter la formation des mégalopoles.

Dans l’idée de G. Bauer et J.M. Roux161, en effet, ‘« la fonction historique de la rurbanisation162 serait de contribuer à la disparition progressive de la grande ville, et surtout de la ville millionnaire » ’ 163. Ce phénomène révélerait l’existence d’un seuil limite à la concentration urbaine qui provoquerait le report de l’excédent de croissance des grandes villes sur leurs noyaux urbains périphériques. La périurbanisation exaucerait ainsi naturellement les objectifs volontaristes définis par les PADOG, les OREAM puis les SDAU et permettrait de revivifier non pas l’ensemble du territoire national, mais au moins les campagnes et les noyaux urbains secondaires à proximité des grandes villes. Somme toute, la périurbanisation ne remettrait pas en cause le vaste mouvement de métropolisation à l’échelle nationale et internationale, mais en constituerait en quelque sorte une régulation naturelle. Le recensement de 1982 sembla confirmer cette analyse en montrant, que la croissance des grandes unités urbaines était plus ou moins stoppée, tandis que les communes rurales périurbaines164 et les petites villes connaissaient un essor important165.

Malgré ces résultats, l’interprétation de la périurbanisation se renversa au cours des années 1980. De processus plus ou moins heureux de rééquilibrage territorial relatif, on l’appréhenda de plus en plus souvent comme un phénomène nocif par lequel les villes se désagrègent. Les recherches mirent de plus en plus l’accent sur les conséquences induites par ce processus et insistèrent sur le fait que la périurbanisation engendrait la formation de territoires diffus et morcelés, qu’elle induisait une consommation abusive d’espace166, une segmentation exacerbée entre fonctions167 et entre groupes sociaux168, et une augmentation continue de la mobilité quotidienne169. Elles soulignèrent, en d’autres termes, que la périurbanisation générait des coûts sociaux, économiques et environnementaux difficilement supportables à plus ou moins longue échéance.

Du champ de la recherche scientifique à celle de l’action politique et technique sur la ville, les déclarations se multiplieront progressivement pour appeler à un retour à la ville dense170 et se cristalliseront en France, au milieu des années 1990, autour du paradigme du développement urbain durable. A travers cette idée, importée d’Amérique du Nord171, les densités urbaines et la ville agglomérée, hier encore chargées de bien des maux, seront reconsidérées sinon comme un bien, du moins comme un moindre mal, car plus à même d’autoriser ‘« un développement qui satisfasse les besoins des populations actuelles sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins »’ 172. Par-delà ce large consensus pour condamner la périurbanisation et appeler à un retour à la ville dense, les avis furent cependant bien moins unanimes, quant au sens profond du phénomène.

Notes
158.

Pour une présentation commentée des recherches sur ce sujet dans les années 1970 et 1980, le lecteur pourra se reporter à Andan O., Buisson M.A., Cusset J.M., Faivre d’Arcier B., Routhier J.L. et Vant A., 1988.

159.

Ce phénomène fut mis en lumière pour la première fois par Racine J.B., 1966.

160.

Dans le cas lyonnais, ceux-ci prévoyaient l’arrêt de la croissance de l’agglomération lyonnaise grâce à la mise en place d’une ceinture verte et le report de la croissance excédentaire sur les noyaux urbains périphériques préexistant ou à créer (les villes nouvelles).

161.

Bauer G. et Roux J.M., 1977.

162.

Néologisme qu’ils utilisent pour désigner la périurbanisation.

163.

p. 180, Bauer G. et Roux J.M., 1977.

164.

les communes rurales incluses dans une ZPIU.

165.

INSEE, 1988.

166.

Collectif, 1979 et Coulaud D., 1981.

167.

Laborie J.P. et Langumier J.F., 1982.

168.

Berger M., 1986-a ; Berger M., 1991-a ; Siran J.L., 1978.

169.

Beaucire F., 1985 ; Aubry B., 1986 ; Andan O., Brassart F., Cusset J.M., Faivre-d’Arcier B., Routhier J.L., 1989.

170.

Rapport Brundtland, 1987 ; Sommet de Rio, 1992 ; Loi Barnier du 2 février 1995 ; Loi d’aménagement du territoire du 4 février 1995 ; Sommet Habitat 2 à Istanbul, 1996.

171.

Sur la diffusion de cette notion de l’Amérique du Nord à la France voir Ministère de l’équipement, des transports et du logement, DRAST, nov. 1995.

172.

Rapport Brundtland, 1987.