1.3 La périurbanisation, phénomène antithétique à la ville

D’autres auteurs178 considéreront en revanche que la périurbanisation n’est pas assimilable au mouvement historique d’exurbanisation et, en conséquence, que les franges périurbaines ne sont pas des banlieues en gestation. Pour eux, il s’agirait d’un phénomène radicalement nouveau, remettant en cause les principes constitutifs et l’avenir même des villes telles que nous les connaissons traditionnellement en Europe occidentale. Au plan démographique, le phénomène actuel différerait sur le fond de l’ancienne exurbanisation dans le sens justement où il s’effectuerait en l’absence de croissance démographique d’ensemble et, qui plus est, à des distances de plus en plus importantes de l’agglomération-mère. Sous cet angle, la périurbanisation ne rendrait donc pas compte d’une croissance spatiale des agglomérations, mais d’un redéploiement de la population urbaine hors de ces dernières. Il s’agirait en cela d’un processus de dispersion des ménages, conduisant, à plus ou moins long terme, à une déconstruction de la ville agglomérée, en tant qu’accumulation de population.

Au niveau des activités, la périurbanisation ne pourrait pas non plus être assimilée à ce qui s’était produit au cours des siècles passés. Hier, le glissement des usines, pour reprendre le même exemple, reflétait l’essor de nouvelles fonctions dans la ville (les fonctions productives) et la création d’un grand nombre d’emplois. Cela renvoyait également à un mode de production (le fordisme), dans lequel il fallait aller chercher toujours plus loin en périphérie des espaces toujours plus grands, pour construire des centres de production toujours plus vastes.

Or, le phénomène actuel ne s’effectuerait pas dans un tel cadre. Ce qu’il refléterait, pour l’essentiel, ce n’est pas véritablement un essor de nouvelles fonctions, mais une transformation de fonctions préexistantes (essor de la grande distribution, éclatement des grands centres de production fordistes, ...) ; évolution qui s’accompagne d’un redéploiement de ces activités hors des agglomérations.

Certes, ce phénomène ne conduirait pas, du moins pas obligatoirement, à une dispersion aussi importante que pour les populations. Certaines formes de re-polarisation périphérique pourraient effectivement se produire, comme nous l’avons d’ailleurs vu dans notre deuxième chapitre. Cependant, même dans ce cas, les activités ne se regrouperaient pas pour former des centres dans le sens plein du terme, c’est-à-dire des concentrations multi-fonctionnelles à l’instar des agglomérations ; mais seulement des pôles relativement spécialisés : zones d’activité productive, centres logistiques ou encore plates-formes commerciales. De fait, ces nouvelles polarités périphériques, à tendance mono-fonctionnelle, concurrenceraient le pouvoir d’attraction des centres urbains et tendraient, plus fondamentalement encore, à substituer la polarité à la centralité, comme principe de structuration intra-urbaine. La périurbanisation des activités remettrait donc radicalement en cause, elle aussi, l’autre grand principe constitutif des villes occidentales : la centralité urbaine, entendue comme une accumulation de fonctions.

Somme toute, dans cette démarche téléologique, la périurbanisation représenterait un processus de déconstruction physique et organisationnelle de nos villes traditionnelles, conduisant à terme à la disparition des agglomérations urbaines179. La ville agglomérée, tenaillée entre un processus de concentration à l’échelle nationale et un mouvement de diffusion au plan local, serait destinée, à plus ou moins long terme, à se dissoudre en une suburbia 180, où se juxtaposeraient sans agglomération, ni structure autres que les voies de communication, zones d’activité et zones pavillonnaires.

Notes
178.

s’inspirant des travaux de Berry B.J.L., 1976.

179.

Sur la fin de la ville et le règne de l’urbain, le lecteur pourra se reporter par exemple à pp. 9-35 Duby G., 1980, volume 1, ou Choay F., 1994, ou encore Viard J., 1997.

180.

Pour une image frappante d’une France urbaine entièrement gagnée par la Suburbia, on peut se reporter à la carte Suburbia, du scénario prospectif de diffusion de l’urbanisation par extension des territoires périurbains, in p. VII Ascher F et Al., 1993.