2.1.1 Sélectivité socio-démographique des flux migratoires

Les populations qui quittent les agglomérations pour s’installer dans les franges périurbaines sont ‘« en majorité de jeunes adultes qui arrivent ici en famille avec un ou plusieurs enfants »’ 207. Une recherche menée par le laboratoire d’économie des transports de Lyon208 (LET) sur la région lyonnaise précise, en outre, qu’au moment de leur exurbanisation, ces familles sont généralement en cours de constitution. Parmi les populations enquêtées par le LET, les parents étaient plus des trois quarts à avoir entre 30 et 40 ans et au moins déjà un enfant lorsqu’ils se sont établis dans ces espaces périphériques d’urbanisation diffuse.

A Lyon comme ailleurs, l’exurbanisation n’affecte donc pas, ou du moins pas dans les mêmes proportions, l’ensemble de la population. Les individus plus jeunes (20-29 ans) et plus âgés (plus de 50 ans) ne participent que plus marginalement à ce mouvement de périurbanisation.

Si l’exurbanisation n’est pas un phénomène général, il apparaît par ailleurs qu’elle ne représente pas non plus la totalité des mouvements migratoires. Si certaines catégories de population ont tendance à quitter l’agglomération-mère, d’autres à l’inverse ont une inclination tout aussi forte à s’établir dans l’hyper-centre.

L’enquête du LET souligne, à ce propos, que les enfants des périurbains (ménages ayant quitté l’agglomération lyonnaise pour s’établir dans une commune rurale à proximité), ont tendance une fois arrivés à l’âge adulte à s’installer dans ou non loin du centre lyonnais et, en d’autres termes, à associer décohabitation familiale et retour à l’hyper-centre. Ce phénomène est également souligné par Pascale Bessy209 dans une recherche menée sur l’ensemble de la France.

En analysant l’enquête nationale sur le logement de 1992, cette dernière a pu montrer que les jeunes, qui ont décohabité d’avec leurs parents entre 1988 et 1992, ont eu très fortement tendance à emménager dans le centre d’une grande ville et cela quel que soit le secteur où ils résidaient auparavant. Cette propension concerne aussi bien les jeunes qui poursuivent des études supérieures, que ceux qui rentrent dans la vie active, autant les célibataires, que ceux qui s’installent en couple.

Seules deux catégories bien particulières de jeunes ne s’inscrivent pas dans cette tendance générale. Il s’agit, d’une part, des jeunes des classes populaires, sans grands moyens financiers. Pour leur première accession à un logement indépendant, ces derniers ont généralement recours au parc locatif à loyer modéré, secteur où ils logeaient déjà auparavant avec leurs parents et, de par la géographie du parc H.L.M., ils continuent à habiter dans les banlieues ouvrières où ils avaient grandi. Il s’agit, d’autre part, de jeunes actifs qui habitaient avec leurs parents en dehors d’une agglomération et qui y sont restés par la suite. Il apparaît, dans ce cas, que ces jeunes ‘« ne travaillent pas très loin de leur lieu de résidence »’ 210.

Hormis ces deux cas, où pour des raisons de précarité économique ou de proximité domicile - travail, les jeunes ont tendance à rester dans des secteurs similaires à ceux habités par leurs parents, la décohabitation inter-générationelle conduit donc le plus souvent à l’installation des 20-29 ans dans le coeur même des agglomérations.

Le recensement de 1990 nous permet de prendre pleinement la mesure de ce mouvement centripète. Comme le montre le tableau ci-dessous, les jeunes sont nettement sur-représentés dans les centres des grandes villes et cela d’autant plus si la personne de référence du ménage est étudiante. La géographie de l’enseignement supérieur n’est évidemment pas étrangère à la chose.

Tableau 12 : Répartition des ménages par âges, types et localisation géographique en France et en 1990
Types de communes Ensemble des ménages Ménages de moins de 25 ans Ménages de 25-29 ans Ménages Etudiants
Centre d’une agglomération de plus de 200.000 habitants 16,8 % 33,3 % 21,8 % 59,3 %
Banlieue d’une ville de plus de 200.000 habitants 22,5 % 19,0 % 24,9 % 15,6 %
Reste du territoire 60,7 % 47,6 % 53,3 % 23 %
Source : INSEE RGP 1990

En l’état des informations dont nous disposons, nous ne pouvons pas déterminer si d’autres catégories de population tendent, elles-aussi, à converger vers les centres-villes. La question, notamment, du devenir des périurbains, une fois les enfants partis, reste posée, du moins en ce qui nous concerne. Nous pouvons nous demander si ces ménages vont rester et vieillir sur place, ce qui pourrait, à terme, engendrer la formation de franges périurbaines vieillissantes, avec tous les problèmes que pourrait poser la mise en place de services médicaux et sociaux dans des espaces d’humanisation diffuse.

Mais à l’inverse, nous pouvons également imaginer que l’âge venant et les problèmes de santé se faisant plus aiguës, ces ménages auront tendance à repartir, eux-aussi, vers des centres urbains, plus équipés et plus à même de répondre à leurs besoins spécifiques. Plusieurs maisons de retraite, médicalisées ou non, se sont d’ailleurs ouvertes ces dernières années un peu partout dans l’hyper-centre lyonnais et les grands pôles hospitaliers, notamment ceux spécialisés en gérontologie, sont également fortement concentrés dans ou autour du coeur de cette métropole. Nous pourrions, en conséquence, former l’hypothèse que la géographique des services au troisième et surtout au quatrième âge sera peut-être à même d’induire un retour des populations âgées vers le centre, à l’instar de la géographie de l’enseignement supérieure vis-à-vis des étudiants. Il convient, toutefois, de rester prudent, car ces différentes possibilités ne sont, en l’état de nos connaissances que des spéculations.

Notes
207.

p. Boyer J.-C., 1992.

208.

Andan O., Brassart F., Cusset J-M., Faivre d’Arcier B., Raux C. et Routhier J.L., 1989.

209.

Bessy P., 1998.

210.

p. 89, Bessy P., 1998.