2.2.3 Exurbanisation et concentration des fonctions productives

Même si la carte de l’évolution de l’emploi industriel semble confirmer une tendance globale à l’exurbanisation du secteur secondaire, une analyse plus fine permet de nuancer ce phénomène. Deux études menées pour le compte de l’association Région Urbaine de Lyon nous permettent en effet d’apercevoir que mêmes les activités concourant directement à la production de biens matériels ne sont pas toutes en train de quitter l’agglomération lyonnaise.

Si nous prenons l’exemple des pôles logistiques, c’est-à-dire des principales zones de fret et de stockage (carte ci-dessous) nous pouvons effectivement constater un mouvement de déconcentration et même de re-polarisation en dehors des agglomérations. Ces activités sont encore relativement concentrées dans l’agglomération lyonnaise et notamment dans sa banlieue sud et est, mais nous pouvons toutefois observer qu’il existe des pôles périphériques non négligeables. De plus, les projets d’extension privilégient très nettement ces espaces de la grande périphérie lyonnaise. Il semblerait donc, que nous assistions ici à un glissement de plus en plus important de ce type d’activités hors de la métropole.

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Carte 29 : Les principaux pôles logistiques de la RUL en 1992.

A l’inverse de ce mouvement centrifuge, les activités de production à haute valeur ajoutée semblent esquisser un véritable retour au centre ou plus précisément encore réintégrer la proche banlieue lyonnaise. Comme l’indique la cartes ci-dessous, au début des années 1990, les parcs d’affaires hauts de gamme étaient relativement bipolarisés sur l’agglomération lyonnaise et sur la ville nouvelle de l’Isle-d’Abeau.

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Carte 30 : Les principaux parcs d'affaires haut de gamme dans la RUL en 1991.

Mais si nous regardons maintenant les principaux projets dans ce secteur (carte Erreur! Source du renvoi introuvable.), il apparaît qu’ils sont extrêmement concentrés à proximité immédiate de l’hyper-centre lyonnais, ce qui semble bien accréditer l’idée d’une tendance centripète à la reconcentration.

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Carte 31 : Les principaux projets de parcs d'affaires haut de gamme dans la RUL en 1991.

Ces deux exemples, la logistique et les parcs d’affaires, sembleraient donc nous indiquer que même en matière de production concrète, l’agglomération lyonnaise ne tend pas à perdre la totalité de ses activités, ce que l’examen des secteurs d’emploi sur-représentés dans le coeur de la métropole tend à confirmer.

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Graphique 23 : Spécialisation de Lyon et de sa proche banlieue dans le secteur secondaire en 1992.

Quatre grands secteurs sont très nettement sur-représentés dans le Grand Lyon (communauté urbaine) et il s’agit, en l’occurrence, d’activités pour le moins traditionnelles dans cette cité.

L’histoire lyonnaise, comme nous l’avons rappelée, et plus précisément encore l’importance des investissements nécessaires pour la plupart de ces activités expliquent sans doute en large part cette spécialisation du coeur de la métropole. Mais il s’avère, en outre, que nombre d’entre elles (parapharmacie, pharmacie, chimie) nécessitent l’emploi de main-d’oeuvre très qualifiée, voire de la proximité de centres de recherche, tous situés dans ces secteurs centraux : nous pouvons donc penser que cette forte concentration est non seulement héritée mais aussi, pour autre partie, reproduite aujourd’hui, comme semble d’ailleurs l’attester la tendance à la re-polarisation des parcs d’affaire.

Le centre lyonnais tend ainsi à conserver des fonctions en matière de production concrète. Il en possède également toujours en matière de services aux entreprises. Dans ce domaine (graphique ci-dessous), les sur-représentations sectorielles sont d’ailleurs encore plus fortes et encore plus révélatrices. La commune de Lyon tend manifestement à se spécialiser très nettement dans les assurances, les banques et l’immobilier, c’est-à-dire dans les services aux entreprises les plus rares ; la proche banlieue lyonnaise, pour sa part, dans des services d’un niveau déjà moins élevés : le commerce de gros (hors alimentaire) et les autres services aux entreprises. Seuls les transports (de marchandises comme de personnes) sont sous-représentés dans le centre comme dans la proche banlieue lyonnaise et donc mécaniquement sur-représentés dans le reste de la RUL, ce qui corrobore de fait nos déductions précédentes quant à l’évolution des pôles logistiques.

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Graphique 24 : Spécialisation de Lyon et de sa proche banlieue dans les activités tertiaires d'entreprise en 1992.

Sans aller plus avant dans la spécialisation de l’agglomération lyonnaise, ni aborder celles des niveaux subalternes de la hiérarchie urbaine, ce que nous ferons en détail dans le chapitre suivant, ces premiers éléments nous permettent donc d’apercevoir que l’ensemble des activités productives ne fuit pas la métropole et par-là même que cette dernière conserve un rôle dans cette sphère et même un rôle prédominant.

Elle conserve toujours, à l’évidence, certaines activités productives traditionnelles (chimie, automobile, énergie), comme nous avons déjà pu le souligner dans notre chapitre deux, et tend même à attirer à elle de nouvelles activités de haut niveau (les parcs d’affaires). Elle concentre également et plus fortement encore les services les plus rares aux entreprises et semble, en cela, maintenir, voire renforcer son pouvoir de commandement et d’organisation de la production, du moins à l’échelle régionale. Il semble donc que le mouvement d’exurbanisation de l’emploi et des activités productives que nous avons pu souligner dans les chapitres précédents, tend essentiellement à déléguer (et non pas à diffuser) au reste de la RUL des activités relativement banales, principalement d’exécution concrète de la production et des échanges (logistique).

A l’instar de la sphère de la reproduction sociale, nous pouvons nous demander si ce processus est substantiellement différent de ce à quoi nous pouvions assister lors du développement des agglomérations durant la première et la seconde révolution industrielle ? A travers le phénomène de City, que D. Pasquet avait mis en lumière dès la fin du XIX° siècle, n’assistions-nous pas tout à la fois à une périphisation des usines, c’est-à-dire de la production concrète, et à une concentration des services de hauts niveaux aux entreprises (banques et finances notamment) dans l’hyper-centre des grandes cités industrielles ? Somme toute, sous cet angle, les tendances actuelles ne semblent pas être en rupture fondamentale avec celle du passé.

En matière de production, comme de reproduction sociale, le développement de la grande périphérie lyonnaise semble, en définitive, correspondre non pas à une dynamique centrifuge univoque à même d’affaiblir l’hyper-centre lyonnais, mais plutôt à un processus complexe de concentration d’une part et de diffusion et de délégation d’autre part. Ceci ne semble-t-il pas esquisser une véritable répartition des tâches à l’échelle de la RUL ? A l’instar des évolutions socio-démographiques, ne pourrions-nous pas interpréter ce phénomène comme un mécanisme par lequel le système socio-économique lyonnais tend à déborder de son agglomération mère, pour se déployer et s’organiser à une échelle élargie et finalement s’étendre et structurer un territoire à la fois dense et diffus ?