3.2 De l’étalement urbain à la re-polarisation périphérique

Une étude en plan peut nous permettre maintenant d’observer que les migrations résidentielles ne s’effectuent pas seulement en fonction de l’hyper-centre mais qu’elles s’ordonnent également en tenant compte des noyaux urbains secondaires. Loin d’une nappe uniforme nivelant l’ensemble de la RUL à partir de la métropole, l’exurbanisation nous apparaît en cela comme un processus structuré par l’ensemble de l’armature urbaine.

Nous effectuerons cette analyse à travers la représentation cartographique des taux moyens annuels de variation du solde migratoire par commune de 1962 à 1990, d’abord globalement, puis par périodes intercensitaires. La mise en classe sera identique sur toutes les périodes, grâces aux déciles, ce qui nous donnera des cartes parfaitement comparables entre elles. Nous cartographierons les résultats en y superposant l’armature urbaine, les principaux axes routiers de la RUL et en ôtant les limites communales. Ces ajouts nuiront sans doute à une lecture détaillée mais ces cartes ont pour seule ambition de montrer comment ce phénomène s’est structuré vis-à-vis de la métropole centrale, du réseau routier et des noyaux urbains périphériques. Elles entendent donc privilégier les formes globales et non les singularités de telle ou telle commune. C’est donc en fonction de ces objectifs que nous avons opté pour ce type de présentation graphique.

La carte ci-dessous nous présente les migrations résidentielles de 1962 à 1990. Elle nous donne à voir une image très classique d’étalement urbain. Lyon, au centre, et sa première couronne de banlieue ont connu un déclin ou une stagnation démographique, tandis qu’une très large périphérie bénéficiait d’un développement conséquent. Cette couronne est fortement déversée vers l’est, en direction de la Dombes et surtout du Dauphiné, perpétuant ainsi une constante dans le développement de cette ville depuis deux siècles.

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Carte 32 : Les dynamiques migratoires dans la RUL de 1962 à 1990

La moitié ouest de la carte, pour sa part, contraste avec l’ample essor du secteur oriental. Une large bande longitudinale enregistre un déclin plus ou moins fort. Il s’agit du nord au sud, des secteurs enclavés des monts du Beaujolais et du Lyonnais, du bassin houiller de Saint-Etienne et, de nouveau, d’un secteur montagneux : le Pilat. Seule la bordure orientale de ces montagnes a été attractive, ainsi que la plaine du Forez, au sud-ouest, tout autour de Saint-Just-Saint-Rambert. Ce dernier secteur constitue la zone de déversement de Saint-Etienne. Nous pouvons enfin relever que les dynamiques migratoires forment des avancées plus lointaines le long des grands axes de communication.

L’image globale est, en somme, celle d’un étalement urbain plus ou moins concentrique. L’intensité des soldes migratoires est clairement décroissante du centre lyonnais vers la périphérie, ce qui confirme notre analyse précédente sur la structuration centre – périphérie de ce processus. L’intérêt de cette carte est, cependant, de nous montrer les distorsions induites par les grands axes routiers et, ce faisant, de nous rappeler que l’exurbanisation des ménages ne s’est pas effectuée en vertu d’une simple proximité géométrique à la métropole, mais en fonction de son accessibilité. Ces grandes voies, qui raccourcissent notablement les temps de trajet, ont manifestement permis à des périphéries encore plus reculées d’être affectées par l’exurbanisation lyonnaise. Le développement moindre de l’ouest lyonnais souligne de même, mais en creux, l’importance de cette accessibilité de la métropole dans les choix de localisation des ménages. L’enclavement de ces communes a visiblement bloqué l’étalement lyonnais et a même été un facteur de répulsivité, puisque l’on peut relever un déclin démographique quasiment généralisé dans ces secteurs.

Cette carte nous montre, en outre, que les noyaux urbains secondaires ont été englobés par les dynamiques migratoires, mais elle ne nous permet pas d’apprécier si ces derniers ont été simplement submergés par la nappe périurbaine ou si celle-ci en a tenu compte d’une manière ou d’une autre. Une décomposition par période intercensitaire s’avère donc nécessaire pour tenter d’esquisser des éléments de réponse à ce propos.

La carte 33, ci-dessous, nous montre qu’initialement (1962-68), nous avions un étalement relativement simple de l’agglomération lyonnaise. Les dynamiques migratoires formaient une couronne déversée vers l’est mais enserrant très étroitement la métropole. Au-delà, les migrations résidentielles se propageaient le long des grands axes de communication. Dans ce développement radio-concentrique, l’intensité des soldes migratoires souligne la puissance du phénomène et nous rappelle que nous assistions là, pour l’essentiel, à la formation et au renforcement des banlieues. Hormis cette couronne, nous ne relevons que quelques espaces en développement, assez localisées : des villes moyennes industrielles comme Bourgoin-Jallieu, Villefranche, Vienne et Roussillon, ou quelques petites villes. Pour le reste, la ruralité était encore synonyme de déclin.

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Carte 33 : Les dynamiques migratoires dans la RUL de 1962 à 1968.

Entre 1968 et 1975 (carte ci-dessous), les migrations résidentielles se sont disposées de façon relativement similaire à la période précédente. La zone centrale en déclin s’est considérablement élargie. La couronne attractive est plus lointaine et aussi plus profonde que par le passé, mais l’exurbanisation forme toujours une auréole centrée sur la métropole.

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Carte 34 : Les dynamiques migratoires dans la RUL de 1968 à 1975

Nous pouvons cependant relever, soit en bordure de cette auréole, soit au-delà, la formation d’amas de communes attractives comme autour de Vienne, de Bourgoin-Jallieu, de Meximieux et de Lagnieu, de Villefranche et de Belleville. L’importance de ces développements ponctuels, ainsi que leur proximité avec l’aire de déversement principal de la métropole semblent suggérer qu’ils ne procèdent pas seulement de l’étalement des agglomérations secondaires. Il semble que ces grappes de communes attractives se sont nourries en partie d’un redéversement de populations des villes voisines, mais en partie aussi de ménages provenant de la métropole. Cela signifierait alors que dans cette grande périphérie, l’exurbanisation lyonnaise s’effectue non seulement en fonction de l’hyper-centre, mais aussi par rapport aux noyaux urbains secondaires.

Dès la période suivante (carte ci-dessous, 1975-82), ce qui n’étaient encore que les prémisses d’une re-polarisation périphérique semble se confirmer, voire se renforcer. Certes, la structuration radiale est très nette, ce qui rappelle l’importance de l’accessibilité à l’hyper-centre dans les relocalisations des ménages.

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Carte 35 : Les dynamiques migratoires dans la RUL de 1975 à 1982.

Cependant, la quasi-totalité des agglomérations secondaires de la moitié est de la RUL ont polarisé un espace attractif plus ou moins important : Vienne, Chaponnay, la ville nouvelle, Charvieu-Chavagnieu, Meximieux, Saint-André-de-Corcy, Villefranche et Belleville. L’ouest lyonnais, pour sa part, est toujours nettement en retrait. La plupart de ces secteurs enclavés sont restés répulsifs, même si quelques pôles se dessinent ici aussi comme autour de Mornant, de L’Arbresle ou de Tarare.

Au cours de cette troisième période, la grande couronne lyonnaise en développement, encore très visible dans la carte précédente, s’est quelque peu étiolée pour laisser place à une marqueterie plus ou moins discontinue de territoires attractifs. Les dynamiques migratoires semblent ainsi être passées d’une structuration globalement monocentrique à une autre nettement plus polynucléaire. L’importance des radiales nous indique toutefois que ces différents pôles sont très loin d’être autonomes. Leur développement particulier reste à l’évidence intimement lié à l’hyper-centre lyonnais.

Sans que cela remette en cause le poids déterminant de la métropole, il semble malgré tout que les migrations résidentielles tiennent également compte de la proximité de ces noyaux urbains secondaires du moins dans cette grande périphérie lyonnaise. Le fait que certains axes transversaux, comme entre Vienne et Bourgoin-Jallieu, Morestel et la Tour-du-Pin, ou encore Saint-André-de-Corcy et Villefranche, aient aussi servi d’axes de fixation aux migrants, ne conforte-t-il pas d’ailleurs cette impression ?

Durant la dernière période intercensitaire (carte 1982-90 ci-dessous), les dynamiques migratoires semblent prolonger et confirmer les tendances de la période précédente. Nous pouvons observer des polarisations très nettes autour de Meximieux, Jonage, Saint-Laurent-de-Mure, Morestel, et dans une moindre mesure Roussillon ou encore Villefranche. En outre, les transversales servent, une fois encore, d’axe de fixation aux migrations résidentielles, comme entre Jonage, Saint-Laurent-de-Mure et Vienne ou encore Villefranche et Saint-André-de-Corcy.

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Carte 36 : les dynamiques migratoires dans la RUL de 1982 à 1990.

Ces quelques cartes semblent en définitive nous indiquer l’importance première de l’accessibilité à l’hyper-centre sur la structuration spatiale des migrations résidentielles, ce qui confirme notre analyse centre – périphérie précédente. Mais elles nous montrent également qu’à une certaine distance de l’agglomération lyonnaise, les dynamiques migratoires semblent aussi s’effectuer en fonction des noyaux urbains secondaires.

Alors que nombre d’entre eux déclinaient ou stagnaient naguère à l’ombre de la métropole, les migrations résidentielles ne semblent-elles pas aujourd’hui non seulement les revivifier, mais aussi les reconnaître comme élément de structuration à part entière ? L’importance des transversales ne témoignent-elles pas elles aussi d’un intérêt certain à pouvoir y accéder rapidement à partir de son domicile, du moins dans les confins de la RUL ?