1.1.3 Crémieu : une intégration métapolitaine tardive et volontariste226

Crémieu est un bourg de 3.000 habitants dans un canton qui en compte 22.000227. A 35 kilomètres à l’est de la métropole, ce bourg-centre est situé dans la zone d’extension principale de Lyon. A mi-distance des nouvelles plates-formes d’activités périphériques (plaine de l’Ain et ville nouvelle) et au centre du dispositif autoroutier de l’est lyonnais, ce petit noyau urbain secondaire est aujourd’hui très fortement inséré dans le système socio-spatial de la métropole.

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Carte 39 : Localisation de Crémieu.

Mais cette intégration métapolitaine est relativement récente. Cité médiévale du XII° siècle, Crémieu a en effet entamé un long déclin après la chute de l’Ancien Régime. Tout au long du XIX° siècle et de la première moitié du XX°, les nouvelles activités industrielles (textile et métallurgie) ont eu plutôt tendance à se développer dans le bourg voisin de Pont-de-Cheruy. Il faudra attendre 1950 pour qu’un établissement industriel d’une certaine importance (l’Unité Thermique) ne s’installe sur cette commune.

Traditionnellement à l’écart du système industriel lyonnais, Crémieu le fut aussi longtemps par rapport au redéversement périurbain. Dès 1968, la plupart des communes de ce secteur commencèrent à accueillir des ménages d’origine lyonnaise. Saint-Romain-de-Jalionas, par exemple, verra sa population multiplier par 2 de 1968 à 1975 ; Villemoirieu par 2,5 et Moras par 2 de 1975 à 1982. Cependant, le manque de terrains disponibles pour la construction de nouveaux logements et l’insalubrité du parc immobilier préexistant ne permirent guère à la vieille cité médiévale d’accueillir sa part de migrants.

Il faudra attendre les années 1980, pour que Crémieu s’intègre enfin aux dynamiques métropolitaines. Son environnement immédiat avait déjà été pour le moins transformé par le redéploiement socio-économique lyonnais. Le développement de la plaine de l’Ain (PIPA) et de la ville nouvelle, l’essor des connexions autoroutières et la création de l’aéroport de Satolas avait non seulement modifié le cadre physique et la réalité économique du secteur, mais aussi provoqué de profondes transformations sociologiques. Même si le bourg médiéval n’avait que très peu accueilli de nouvelles populations, cette évolution a malgré tout fini par s’y faire sentir.

Une nouvelle équipe accéda aux responsabilités municipales et s’attacha à re-dynamiser la commune, ce qui accéléra les mutations en cours. A partir de 1985, 270 logements furent réhabilités dans le cadre d’O.P.A.H. ; la restauration des remparts fut entreprise à compter des années 1990, les rues médiévales furent progressivement réaménagées et les bâtiments publics les plus remarquables restaurés. Jouant tout à la fois sur sa proximité à la métropole, son accessibilité via le réseau autoroutier et sur un patrimoine historique fort, les nouveaux édiles lanceront plusieurs campagnes de promotion sur la région lyonnaise, afin, tout à la fois, d’attirer de nouveaux ménages et de développer le tourisme urbain dans leur commune.

Les effets de cette politique volontariste ne se firent pas attendre. Lors de la dernière période intercensitaire (1982-90), Crémieu bénéficia d’un essor démographique conséquent (+ 20%). Emménageant dans les logements réhabilités, les nouveaux arrivants sont essentiellement des familles d’origine lyonnaise, cadres moyens et professions intermédiaires, ce qui contraste d’avec la population préexistante. Cette dernière est, en effet, composée en large part de familles ouvrières, souvent immigrées ; des ménages qui, en outre, ont eu bien souvent à subir la crise qui a durement affecté les anciens centres industriels du voisinage, comme celui de Pont-de-Cheruy.

Ainsi la redynamisation de ce bourg médiéval donne-t-il lieu à une transformation sociologique profonde de la commune, ce qui ne va pas du reste sans générer des tensions. Croissance démographique et essor du vote Front National sont, ici, étroitement corrélés. Ce nouvel élan a également provoqué une profonde mutation dans l’économie locale. Si le commerce traditionnel (alimentaire et non-alimentaire) poursuit son déclin, du fait que les populations anciennes et nouvelles de Crémieu ont de plus en plus recours à la grande distribution, un nouveau type de tertiaire domestique s’est toutefois développé.

En quelques années, nous pouvons relever l’ouverture d’un troisième fleuriste, d’un restaurant turc, ... mais aussi et surtout, comme à Belleville-sur-Saône et Mornant de nombreux services médicaux et paramédicaux : un deuxième laboratoire d’analyse médical, un deuxième cabinet d’infirmières, un deuxième cabinet de kinésithérapeutes, l’installation de quelques médecins spécialistes (ophtalmologue, homéopathe, ...) ou encore l’ouverture d’un magasin de diététique.

Les nouvelles populations étant souvent chargées de famille, la municipalité s’est également engagée comme à Mornant, dans un important effort en matière de services à l’enfance : municipalisation de la halte-garderie (ce qui est l’inverse de la tendance générale à la délégation de ce type de services à des associations), projet de municipalisation de la bibliothèque (encore), création d’un service central de restauration scolaire, ouverture d’une école de sport et d’une école de musique (alors qu’une école de musique privée s’est ouverte peu avant dans la commune) et nous pourrions encore rajouter l’ouverture d’une seconde école maternelle, même si cela est du ressort de l’inspection académique.

Somme toute, l’intégration métapolitaine de Crémieu, certes relativement tardive, a des conséquences similaires à ce que nous avions pu déjà observer dans les autres centres urbains secondaires : étroite incorporation de ce bourg dans le fonctionnement quotidien de la métropole (laboro-dépendance accrue, recours aux grandes plates-formes commerciales de la RUL, essor de la mobilité quotidienne, etc.) ; mais aussi développement des fonctions en matière de reproduction sociale simple, notamment en deux domaines : les soins aux personnes et les services à l’enfance.

L’intérêt de cet exemple, cependant, est de souligner un troisième type de processus d’intégration - tertiairisation, nettement plus volontariste que les deux précédents et qui aboutit pourtant à une situation relativement comparable. Dans le cas présent, la politique des édiles, sans être le facteur unique ou même déterminant, a néanmoins clairement accéléré le processus.

Notes
226.

Monographie réalisée à partir des entretiens effectués par M. Vanier auprès du secrétaire de cabinet du maire, M. Mourier, et du responsable du chantier d’insertion, M. Harel. Ces entretiens ont été effectués dans le cadre d’une recherche de l’équipe Ville, Espace, Société (Institut d’Urbanisme de Lyon) sur l’étalement urbain et les mutations de l’emploi dans la RUL. Vanier M. et al., 1998.

227.

Source : INSEE – RGP 1990.