2.3.1 L’imposition d’une organisation intra-urbaine à une armature interurbaine

Si nous reprenons les enseignements tirés de nos deux premières sections, nous pouvons dire en substance que nous avons assisté à une importante métropolisation, c’est-à-dire à un renforcement conséquent de l’agglomération lyonnaise au plan démographique et fonctionnel. Malgré tout, les bourgs et les petites villes ont connu dans l’ensemble un essor démographique certain et nous avons même assisté à la formation de nouveaux noyaux urbains, ce qui marque une consolidation et une dilatation de ce niveau de base de l’armature urbaine. Au plan fonctionnel, ces petits noyaux urbains se sont vus également confirmer leur fonction traditionnelle de centres de production et de services de base à la population. Les villes moyennes, de leur côté, sortent aussi confortées, voire renforcées de trente ans de dynamiques urbaines, au plan démographique comme au niveau fonctionnel. La périurbanisation n’a donc pas impliqué le dépérissement des villes agglomérées et la montée en puissance de la métropole ne semble pas non plus conduire au déclin des autres niveaux de la hiérarchie urbaine.

Somme toute, la ville agglomérée maille, aujourd’hui comme jamais, l’espace de la RUL.

Cependant, cela ne signifie pas qu’en toute chose rien ne change. Les dynamiques en cours ont bel et bien généré une évolution, même si cette dernière n’est pas en rupture totale avec le passé. Si nous nous référons à l’organisation classique des armatures urbaines, conceptualisée notamment dans le modèle des places centrales de W. Christaller, le développement de ces villes aurait dû être proportionnel à leur taille initiale, ainsi qu’à la distance qui les sépare de la métropole. Lyon aurait donc dû avoir l’essor le plus important et, pour le reste, les croissances les plus conséquentes auraient dû être repoussées à la périphérie de la RUL. Or, ce n’est pas véritablement ce à quoi nous avons assisté.

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Schéma 2 : Modèle des places centrales
  • Les villes moyennes se situent effectivement en règle générale dans la grande périphérie de Lyon238, mais leur croissance ainsi que celle de quelques petites villes semble bien plus provenir de leur proximité aux grands pôles d’activité de la périphérie de la RUL et pas véritablement de leur éloignement vis-à-vis de la métropole.

  • L’évolution de la plupart des petites villes et des bourgs semble, quant à elle, liée à leur population initiale et à une double proximité à l’autoroute et à la métropole mais ce dernier facteur joue à l’inverse de ce à quoi nous pouvions nous attendre.

Cette importance de la proximité à l’hyper-centre et des grands pôles d’emploi introduit, en somme, une dissonance vis-à-vis du modèle classique des lieux centraux et nous suggère que les dynamiques en cours sont en train de modifier la structuration de cette armature urbaine, en lui faisant progressivement adopter deux grands principes autrefois essentiellement attachés à l’organisation interne des villes : la proximité des grandes zones d’emplois et le rapport centre - périphérie.

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Schéma 3 : Modèle polynucléaire d'organisation intra-urbaine.
  • Le rôle des pôles d’emploi semble nous renvoyer à un type d’évolution relativement similaire à ce qui avait pu être observé dans le cadre de la première révolution industrielle avec l’essor de villes, ou plus modestement de cités, à proximité immédiate des gisements de minerai.
    Mais cela nous renvoie également à ce qui existait au niveau intra-urbain cette fois, notamment dans le cadre de la seconde révolution industrielle, avec l’expansion de nouvelles banlieues à proximité immédiate des grandes usines fordistes. Cette dernière configuration a d’ailleurs donné lieu à un modèle de croissance des villes et d’organisation intra-urbaine : le modèle polynucléaire décrit par Harris et Ulmann239. Selon eux, les activités similaires tendraient à se regrouper à l’intérieur des villes agglomérées ou dans leurs périphéries immédiates afin de bénéficier de certaines économies d’agglomération. Elles se partageraient, également ce territoire urbain en fonction de la rente foncière qu’elles sont capables d’octroyer et de leurs besoins spécifiques en matière de localisation. In fine, chacune de ces concentrations tendrait à constituer autant de pôles d’attraction pour les populations, de par les emplois, les échanges et/ou les services qu’ils représentent : il se formerait ainsi autant de noyaux de croissance structurant l’essor global de la ville.
    De fait, ce schéma semble relativement s’accorder à ce que nous pouvons observer aux abords des pôles d’emplois les plus importants, pôles qui se situent aujourd’hui dans la banlieue lyonnaise, mais également hors de cette agglomération et même de toute agglomération, comme nous l’avons vu dans notre chapitre 2 (Plaine de l’Ain, Isle-d’Abeau et bien sûr pour l’espace stéphanois, la plaine du Forez).
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    Schéma 4 : Gradient des densités intra-urbaines.
  • Le rôle de la proximité à l’hyper-centre semble, quant à lui, nous renvoyer à un modèle centre – périphérie tout aussi classique à l’intérieur des agglomérations. Celui-ci prévoit, en l’occurrence, que la population décroît à mesure que l’on s’éloigne du centre, l’inverse donc de l’organisation interurbaine classique. Ce principe d’organisation intra-urbaine a également donné lieu à des généralisations empiriques, notamment, celle de C. Clark240 sur la loi du gradient des densités intra-urbaines, qui veut que la relation entre les densités et la distance au centre soit de forme exponentielle négative. Or, le niveau de base de notre armature urbaine semble bien se structurer aujourd’hui en fonction de ce principe, du moins pour partie rappelons-le.

Il semblerait donc, du moins à notre sens, que les dynamiques en cours tendent non pas à dissoudre cette armature urbaine, mais à la transformer progressivement pour la façonner selon des principes de structuration relativement similaires à ce qui existait et ce qui existe toujours au sein des agglomérations. Au même titre que les communes de banlieue, ces noyaux urbains secondaires n’évoluent-ils pas aujourd’hui en fonction de leur accessibilité globale (ici la proximité de l’autoroute, qui se retrouve sous d’autres formes à l’intérieur des agglomérations), de leur distance à l’hyper-centre et de la présence ou non-présence à proximité de vastes pôles d’emplois ? Même si ce dernier facteur n’est pas spécifique à l’organisation intra-urbaine, le second l’est toutefois.

C’est déjà sous cet angle, que nous sommes conduits à proposer l’idée d’une transformation de cette armature interurbaine en armature intra-urbaine ; mais il ne s’agit pas seulement de cela. Il nous semble en effet que les évolutions en cours tendent également à rapprocher fonctionnellement les noyaux urbains périphériques des centres de banlieue ou de quartier.

L’analyse de l’emploi ne nous a-t-elle pas révélé à ce propos des similitudes troublantes en matière de production entre les fonctions dévolues à la banlieue lyonnaise et celles octroyées à ces agglomérations périphériques ? Les unes et les autres ne sont-elles pas avant tout et surtout des centres de production et au mieux de logistique dirigés par l’hyper-centre métropolitain ? N’en est-il pas de même en ce qui concerne la reproduction sociale ? Les centres de banlieues, comme les bourgs, les petites villes et les villes moyennes ne sont-ils pas tournés essentiellement vers la reproduction sociale simple ? Ne pourrions-nous pas penser, en définitive, que les noyaux urbains secondaires tendent à se confondre sous cet angle aussi avec les centres de quartiers et de banlieue de la ville agglomérée, même si le quartier dans leur cas est un quartier périurbain ?

Bien sûr, cette évolution doit être relativisée.

La plupart des ces noyaux urbains secondaires participaient depuis déjà bien longtemps au système productif lyonnais, pour la plupart d’ailleurs depuis l’époque de la Fabrique et sa proto-industrie de la soie. Leurs fonctions en matière de reproduction sociale simple n’est pas récente non plus et le développement actuel de ce secteur traduit seulement qu’ils tendent aujourd’hui non pas à perdre ces fonctions ancestrales, mais à les conserver et même à les amplifier, quitte à troquer leur antique rôle d’encadrement du monde rural pour un rôle équivalent par rapport au monde périurbain.

Notes
238.

sauf Saint-Just-Saint-Rambert qui prolonge de fait vers l’ouest la conurbation Saint-Etienne – Saint-Chamond.

239.

Harris C.S. and Ulmann E.L., 1945.

240.

Clark C., 1951.