Ces limites étant posées, nous pouvons maintenant esquisser à grands traits la manière dont cette armature urbaine, intra-urbaine donc, si nous suivons notre proposition, tend à structurer la Région Urbaine de Lyon.
Au plan productif, l’hyper-centre lyonnais semble concentrer chaque jour davantage les fonctions de commandement et d’organisation de la production et des échanges afférents. L’exécution concrète de cette production et de ces échanges est cependant déléguée, comme nous l’avons vu à la banlieue métropolitaine et à l’ensemble des noyaux urbains secondaires (ainsi, bien sûr, qu’aux nouveaux pôles de production périphériques).
Cette évolution pourrait laisser envisager que nous allons insensiblement vers un modèle plus ou moins proche de celui décrit par F. Ascher241 notamment, c’est-à-dire vers un système urbain en « Hubs and Spockes242 ». Les dynamiques en cours tendraient à raccourcir la hiérarchie urbaine au plan fonctionnel à deux niveaux ou trois dans notre cas. Si cette tendance devait se poursuivre, nous aboutirions à terme à la formation d’une galaxie de noyaux urbains plus ou moins indifférenciés, occupant des fonctions plus ou moins similaires et relevant tous directement de la métropole.
Les évolutions précédemment soulignées dans la sphère de la production semblent, il est vrai, globalement accréditer cette hypothèse. Cependant, en ce qui concerne la reproduction sociale, il apparaît que nous devons la nuancer fortement. Si nous assistons effectivement à un très net renforcement des services aux ménages de haut niveau dans la métropole, il s’avère que l’agglomération stéphanoise bénéficie, à son échelle bien sûr, d’un phénomène analogue. Si l’on en croît ce que donne à voir l’évolution de l’emploi, il semblerait alors que Saint-Etienne ne soit pas reléguée, sur ce plan, au rang de simple ville moyenne, ce qui ne signifie pas, à l’inverse, qu’elle soit en mesure de concurrencer la métropole en ce domaine. La profondeur de la hiérarchie urbaine semble, en somme, rester intacte dans ces niveaux supérieurs. En outre, elle ne semble s’être que légèrement réduite en ces niveaux inférieurs.
Si nous avons assisté à un important développement des emplois de reproduction sociale simple dans l’ensemble des agglomérations de la RUL, cela n’induit pas que nous tendions vers une relative homogénéisation, vers une certaine indifférenciation fonctionnelle entre les niveaux intermédiaires et de base de cette armature urbaine. Certes, les bourgs et les petites villes semblent avoir eu en la matière une évolution similaire, mais les villes moyennes ont bénéficié d’un avantage significatif avec un important développement de services privés aux ménages. Somme toute, si les uns et les autres tendent effectivement à ne délivrer que des services relativement basiques, nous pouvons penser cependant que les villes moyennes développent une gamme plus étendue que celle proposée par les bourgs et les petites villes. Ceci est évidemment à même de constituer un critère de discrimination très nette entre les niveaux intermédiaires et de base de la hiérarchie urbaine.
Nous sommes donc très loin d’une indifférenciation totale entre les différents niveaux de la hiérarchie urbaine et si la profondeur de celle-ci s’est réduite en ce qui concerne les services aux ménages, l’analyse de l’emploi suggère que c’est seulement pour passer de cinq à quatre niveaux. Cette hypothèse d’une petite réduction de la profondeur de la hiérarchie urbaine semble du reste se confirmer lorsque l’on observe la capacité spécifique de ces différents types d’agglomérations à polariser l’espace. C’est du moins ce qu’indique le dernier inventaire communal de 1998.
En observant l’attractivité de trois bourgs, deux petites villes et deux villes moyennes à travers leur bassin de vie243 ainsi que sur quelques services privés (dentistes, masseurs-kinésithérapeutes, salons de coiffure, garages automobiles), nous pouvons relever, d’une part, des similitudes très fortes quant à l’étendue des aires d’influence et à l’importance des populations desservies entre les bourgs et les petites villes et, d’autre part, des différences très nettes entre ces derniers et les villes moyennes.
Nom de l’unité urbaine | Type d’unité urbaine | Nombre de communes attirées selon les services | Nombre de communes du bassin de vie | Superficie du bassin de vie (km²) | Population du bassin de vie en 1990 |
Crémieu | Bourg | 8 à 17 | 17 | 176,02 | 13.407 |
St-Jean-de-Bournay | Bourg | 7 à 14 | 14 | 205,22 | 14.186 |
Mornant | Bourg | 3 à 9 | 9 | 90,25 | 11.866 |
La-Tour-du-Pin | Petite ville | 7 à 13 | 13 | 130,06 | 22.060 |
Belleville-sur-Saône | Petite ville | 5 à 13 | 13 | 115,37 | 15.559 |
Bourgoin-Jallieu | Ville moyenne | 12 à 27 | 27 | 289,66 | 49.095 |
Villefranche-sur-Saône | Ville moyenne | 14 à 35 | 35 | 305,20 | 73.095 |
Source : INSEE inventaire communal 1998 et RGP 1990 |
Ces quelques cartes et le tableau ci-dessus nous montrent une très nette différence entre l’attraction exercée par les villes moyennes, tant en terme de superficie couverte, que de population desservie, et celle des bourgs et petites villes. Ces deux dernières catégories développent en revanche des aires d’influence relativement similaires. Cette différence d’une part entre les niveaux intermédiaires et de base de la hiérarchie urbaine et d’autre part cette similitude entre les bourgs et les petites villes se vérifie même à service identique.
Nom de l’unité urbaine | Nombre de communes attirées par | Total du bassin de vie | |||
Dentistes | Masseurs-kinésithérapeutes | Salons de coiffure | Garages automobiles | ||
Crémieu | 15 | 12 | 11 | 8 | 17 |
St-Jean-de-Bournay | 9 | 9 | 7 | 9 | 14 |
Mornant | 5 | 8 | 3 | 3 | 9 |
La-Tour-du-Pin | 10 | 9 | 10 | 7 | 13 |
Belleville-sur-Saône | 8 | 8 | 5 | 7 | 13 |
Bourgoin-Jallieu | 21 | 18 | 17 | 12 | 27 |
Villefranche-sur-Saône | 21 | 14 | 18 | 15 | 35 |
Source : INSEE – Inventaire communal 1998 |
Nous aurions pu pourtant imaginer, que les aires d’attraction exercées par un service particulier seraient plus ou moins similaires, sauf présence de quelques centres urbains concurrents à proximité. Or, à service identique, les villes moyennes réussissent systématiquement à polariser des territoires plus importants, ce qui suggère l’existence d’un facteur amplificateur, qui octroierait une puissance d’attraction supérieure à des services selon le lieu où ils sont placés. Les éléments que nous avons pu tirer de notre analyse de l’emploi nous conduisent naturellement à former l’hypothèse que ce coefficient démultiplicateur découle, pour partie du moins, d’un effet cumulatif. Les villes moyennes possédant une gamme plus étendue de services, les ménages s’y rendraient beaucoup plus facilement car ils pourraient ainsi grouper leurs motifs de déplacement ou, bien sûr, tout simplement profiter d’un trajet pour flâner dans un centre relativement bien achalandé.
Au niveau des services aux ménages, la réduction de la hiérarchie fonctionnelle des centres urbains semble avoir été, en définitive, moins importante que dans la sphère productive. Mais les transformations de la sphère de la reproduction sociale se réduisent-elles à ce seul aspect ? Par-delà la relative permanence de la hiérarchie urbaine en cette matière, malgré la plus ou moins grande pérennité des aires d’attraction dévolues à chaque niveau, l’organisation d’ensemble est-il assimilable à ce qui existait naguère ?
L’inventaire communal nous montrait déjà il y a vingt ans (1980), une nette tendance au raccordement direct des centres de proximité à la métropole la plus proche et ce sans passer par les agglomérations intermédiaires (intermédiaires dans la hiérarchie urbaine et au plan spatial). Une rapide enquête menée par des étudiants du laboratoire d’économie des transports de Lyon244 tend également à montrer qu’une part non négligeable de la consommation de services ne s’effectue ni dans le centre à proximité de son lieu de résidence, ni dans un centre plus important, ... mais à côté de son lieu de travail. La géographie de l’emploi et du commerce induit que ces nouveaux comportements favorisent les villes moyennes, à côté des grandes pôles productifs périphériques où beaucoup de salariés travaillent, mais aussi et surtout la métropole et les grandes plates-formes commerciales de sa périphérie immédiate.
Il se dessine ici une organisation de la reproduction sociale qui n’a que peu de chose à voir avec le système classique des recours hiérarchiques d’un centre urbain à un autre immédiatement supérieur et toujours le plus à près possible de son domicile. Loin de la théorie des places centrales, cela nous renvoie à une organisation d’ensemble relativement proche de celle décrite par F. Ascher. C’est du moins ce que laissent envisager les différents éléments en notre possession.
La montée globale de la mobilité quotidienne semble ainsi remettre en cause le système classique des recours hiérarchiques qui était structuré sur un principe de proximité. Par-delà la permanence des bassins de vie ou des aires d’attraction propres à tel ou tel service, s’esquisse une organisation globale de la reproduction sociale en deux strates différenciées.
La première tend à ne délivrer que des services de base à la population : centres des quartiers ou de banlieue, mais aussi centres urbains périphériques.
Les villes moyennes ont certes une gamme de services plus étendue mais cela ne débouche pour l’essentiel que sur une aire d’attraction plus importante, sans impliquer pour autant à coup sûr qu’elle soient de ce fait un recours obligé pour les centres subalternes situés à proximité.
La seconde, détenue essentiellement par l’hyper-centre lyonnais, mais aussi dans une large mesure par le centre stéphanois se voit octroyer l’essentiel de la reproduction sociale élargie. Ces deux grands centres tendent ainsi à se muer en unique ou du moins en recours majeur vis-à-vis des centres de base et à travers cela par rapport à l’ensemble de la métapole.
Ascher F., 1995-a.
Moyeux et rayons.
Malgré toutes les critiques que l’on puisse adresser à cette délimitation extrêmement empirique.
Beauge S, Bouvy V., Favre-Mercuret V. et Roman M., 1999.