Conclusion de chapitre

Submergée par le redéploiement lyonnais, par l’exurbanisation des populations et des activités, l’armature urbaine n’a donc pas été détruite, ni dissoute. Elle a plutôt été englobée pour reprendre l’image séduisante de S. Bordreuil245 au sein d’une ville globale à la fois dense et diffuse et ceci semble manifestement avoir des conséquence jusque dans sa structuration d’ensemble.

Intégrés fonctionnellement au système socio-spatial lyonnais, à défaut de l’être morphologiquement, les noyaux urbains périphériques tout comme le coeur de la métropole semblent désormais participer à un ensemble complexe, non plus formé d’une seule et simple ville agglomérée, mais de plusieurs agglomérations urbaines ainsi que de franges périurbaines, auxquelles des fonctions différentes et complémentaires ont été assignées. Les unes et les autres semblent ainsi composer une hyper-ville 246 principalement organisée sur le principe de la mobilité, tel que J. Rémy et L. Voyé247 ont pu brillamment en faire la proposition.

Mais cette hyper-ville n'est pas une suburbia dénuée de structure et de centralité autre que les voies de communication et les quelques maigres polarités que dégagent les multiples zones d’activités productives ou commerciales qui fleurissent sur les marges métropolitaines.

Elle est également structurée par l’hyper-centralité de la métropole : le coeur de cette métapole chère à F. Ascher248, ainsi que par des centralités secondaires, c’est-à-dire par une armature de villes toujours et encore agglomérées, toujours et encore multi-fonctionnelles.

Tout comme de la ville médiévale est née l’agglomération industrielle, de cette dernière tend à émerger aujourd’hui une nouvelle forme de ville, que nous nommons pour notre part région urbaine ou métapole. De même tout comme la cité médiévale n’a pas disparu mais s’est fondue dans l’agglomération pour en devenir le centre historique, nos agglomérations tendent actuellement à s’insérer dans cet ensemble encore plus vaste pour en constituer elles-aussi le centre ; les centres devrions-nous dire. Ce rappel historique nous invite à tempérer fortement certaines appréhensions quant à une hypothétique fin de la Ville, à moins bien sûr de réduire la Ville à une de ses formes historiques.

N’est-ce pas d’ailleurs ce que font nombre de ces analyses, qui voudraient ne voir dans les évolutions actuelles que rupture, désorganisation et chaos ? Ces angoisses quasi-millénaristes ne se fondent-elles pas trop souvent sur des analyses qui posent, généralement de manière implicite, un modèle de villes passé (la cité médiévale ou l’agglomération industrielle) non seulement comme point de départ chronologique pour traiter de l’évolution urbaine, mais surtout comme repère à l’aulne duquel seront mesurées et jugées les évolutions ultérieures ? Cette référence au passé qui est bien plus qu’une conséquence obligée de l’approche diachronique, peut-elle permettre d’appréhender les évolutions ultérieures autrement que comme une altération du modèle initial, une déconstruction de cette ville passée ?

Certes, nous pouvons discerner dans l’histoire quelques grands types de villes, au nombre desquels reviennent bien sûr la cité antique, la ville médiévale et l’agglomération industrielle. Mais cette typologie n’induit pas pour autant qu’il s’agit là d’une succession de formes urbaines plus ou moins antithétiques. Elle n’implique pas que nous ayons obligatoirement une suite de phases dans laquelle l’avènement d’une forme donnée doive nécessairement être interprété comme une destruction de la précédente, voire comme une désorganisation ou un régrès. Ces différents modèles de ville ne font que pointer quelques étapes dans une seule et même histoire urbaine. Ils nous montrent une évolution constante au cours de laquelle les villes se sont transformées parfois lentement, parfois plus rapidement.

Si nous voulons bien adopter cette lecture dynamique, la cité antique, la ville médiévale, l’agglomération industrielle, tout comme cette métapole qui semble se dessiner aujourd’hui à l’horizon des mutations urbaines, perdent évidemment leur statut d’archétypes plus ou moins antithétiques. Elles redeviennent ce qu’elles sont, du moins est-ce notre sentiment, c’est-à-dire des formes contingentes, historiquement datées, géographiquement localisées et, par nature, en constante transformation. Dès lors, la question de la fin de la Ville a-t-elle encore un sens ? La seule véritable question n’est-elle pas de comprendre à l’invite de P.H. Chombard de Lauwe249, la signification des évolutions actuelles, afin de cerner la nouvelle organisation sociale que cela révèle et ainsi de saisir les nouveaux défis et les nouveaux enjeux que cela soulève ?

Notes
245.

Bordreuil S., 1995.

246.

Corboz A., 1994.

247.

Rémy J. et Voyé L., 1992.

248.

Ascher F., 1995-a.

249.

Chombard de Lauwe P.H., 1982, écrit, en substance, que la ville traditionnelle avait permis l’éclosion de la démocratie et que les évolutions actuelles en remettent en cause le fonctionnement classique. La seule vraie question, selon lui, n’est donc pas de savoir si la fin des villes approche, mais de définir de nouvelles conditions d’un fonctionnement démocratique.