Deuxième partie
La diffusion des services aux ménages dans les noyaux urbains secondaires
L’exemple des modes de garde pour la petite enfance dans le département du Rhône

Si la concentration des services de haut niveau aux entreprises et aux personnes participe au renforcement fonctionnel du coeur de la métropole lyonnaise, la diffusion de la reproduction sociale simple contribue pour sa part à la pérennisation des noyaux urbains secondaires. Certes, ces derniers arrivent à maintenir, avec plus ou moins de bonheur, leurs fonctions productives, ce qui indique qu’ils sont susceptibles de conserver un rôle dans le processus de production. Toutefois, l’évolution la plus remarquable que nous puissions relever à leur sujet est bien le développement généralisé de services basiques aux ménages au fur et à mesure de l’installation de populations périurbaines dans leur périphérie immédiate. L’intégration dans le système socio-spatial lyonnais ne semble donc pas leur ôter tout rôle et tout avenir. Le fonctionnement quotidien de la métropole semble au contrainte les reconnaître et les renforcer au moins comme centre de services de proximité à usage des populations. Nous pouvons, en définitive, émettre l’hypothèse, qu’ils se rapprochent en cela de ce que sont devenus les anciens villages, bourgs et petites villes morphologiquement englobés dans l’agglomération lyonnaise par la croissance des banlieues, c’est-à-dire qu’ils tendent à se transformer en centre de quartier, même si le quartier est dans ce cas périurbain.

Les rapides monographies présentées dans le chapitre précédent nous ont permis d’apercevoir que trois grands types de services participent plus particulièrement à ce renforcement fonctionnel des noyaux urbains secondaires. Il s’agit des services liés à l’habitat (assurances, agences immobilières, pose et entretien de matériels électroménagers, etc.), des soins aux personnes (médecins, infirmières, laboratoires d’analyses médicales, etc.) et des services à l’enfance (modes de garde pour la petite enfance, écoles, collèges, lycées et activités périscolaires). L’examen de leurs conditions et de leurs modalités de diffusion dans les noyaux urbains secondaires pourrait nous permettre d’aborder la question des processus socio-économiques qui sous-tendent cette évolution et des acteurs qui la portent. Loin d’être superfétatoire, cette étude pourrait nous permettre d’affiner notre compréhension du fonctionnement de la métropole lyonnaise et du rôle que tendent à y occuper les centres périphériques, ainsi que les services aux ménages et les acteurs qui les produisent.

Les études que nous avons présentées jusqu’à présent se sont en effet essentiellement attachées à souligner la structuration géographique ou territoriale de la métropole lyonnaise, et son évolution au cours de ces trente dernières années. La diffusion des services simples aux ménages a pu révéler, en l’espèce, que les noyaux urbains secondaires renforcent certaines de leurs fonctions et à travers cela qu’ils conservent un rôle d’encadrement socio-territorial de base. Cependant l’étude précise de la diffusion de ces activités pourrait nous permettre d’aller au-delà pour envisager la manière dont ces services et ces centres secondaires s’insèrent dans le fonctionnement socio-spatial quotidien de la métropole, et le rôle que les acteurs qui les produisent tendent à jouer par rapport à ce fonctionnement socio-spatial quotidien. Nous pourrions ainsi passer d’une analyse en terme de place ou de position dans une structure territoriale donnée, à une autre plus centrée sur le rôle joué par les uns et par les autres dans un système socio-spatial donné.

Nous ne pouvons pas raisonnablement effectuer ce travail sur l’ensemble des services concernés, car les acteurs en présence, les contraintes et les principes de fonctionnement et d’organisation de chacune de ces activités sont extrêmement différents selon les cas. Certaines d’entre elles sont des services publics (les services présents dans les maisons du département, ...), d’autres des services marchands (médecins libéraux, ...). Certaines sont produites pour l’essentiel par un seul acteur (l’Education Nationale ou encore le Conseil Général). D’autres résultent de systèmes d’acteurs très complexes (les modes de garde notamment) où interviennent des acteurs privés, publics et parapublics. Pour les raisons exposées dans l’introduction générale, nous avons donc choisi de n’étudier qu’un seul exemple, celui des modes de garde destinés aux enfants de 3 mois à 3 ans sur le département du Rhône : assistantes maternelles, crèches, haltes-garderies, etc.

Cet exemple est par nature singulier. Toutefois, il nous semble être un reflet relativement fidèle du rôle joué par l’ensemble de la sphère de la reproduction sociale simple dans le fonctionnement métapolitain. Il nous permettra aussi de percevoir comment une partie de ces activités (et non la totalité) s'est adaptée à la métapolisation. Il nous donnera enfin à voir, et il s’agit là d’une spécificité, une nouvelle forme de régulation du fonctionnement urbain ; sur un champ très limité, nous en convenons. Cette régulation a néanmoins ceci d’intéressant qu’elle n’est pas exercée par la seule puissance publique, mais par un système partenarial original associant collectivités locales et organismes sociaux. Elle marque de fait l’irruption d’un nouvel acteur dans la régulation urbaine : la Caisse d’Allocations Familiales.

Nous débuterons cette étude (chapitre 5) par un exposé des liens unissant la garde des enfants par des tiers et l’urbanisation. Ceci sera l’occasion d’effectuer un rappel sur l’histoire très particulière de ces services ; ce regard en arrière pourrait paraître superflu, mais il nous a semblé nécessaire, car ce que furent les modes de gardes dans les siècles passés, notamment au XIX° siècle, imprègnent toujours très fortement la manière dont ils sont conçus, produits et encadrés aujourd’hui. Les préoccupations médicales toujours très prégnantes ne peuvent être comprises, par exemple, sans référence à l’hécatombe des enfants placés en nourrice au XVIII° et XIX° siècle. Cet ample cadre historique nous permettra également de saisir que la diversité des dispositifs actuels ne renvoie pas seulement à une volonté moderne d’offrir une possibilité de choix aux mères (garder soi-même son enfant, le confier à une structure ou encore à une nourrice, etc.). Elle résulte aussi d’une sédimentation de mesures parfois contradictoires qui renvoient, en dernière analyse, aux différentes conceptions qui se sont affrontées et qui s’affrontent encore quant à la place et au rôle des femmes dans la société.

Ce chapitre nous permettra enfin de souligner la transformation récente de la demande en matière de modes de garde : sa croissance, sa diversification et sa dispersion. Ceci nous amènera alors à envisager en quoi les mutations urbaines actuelles ont induit en tant que telles un développement des besoins en modes de garde et plus globalement encore en services de base aux ménages.

Nous poursuivrons cette étude (chapitre 6) en observant la manière dont l’offre de services a répondu aux transformations de la demande. Nous verrons à ce propos qu’une nouvelle adéquation entre ces deux termes a réussi à s’effectuer ces dernières années. Même s’il peut subsister des décalages importants dans certaines localités, les modes de garde ont réussi globalement à se développer quantitativement, à se diversifier qualitativement et à se diffuser spatialement. Cette diffusion toutefois n’est pas une simple reproduction à l’identique d’un même service sur des territoires élargis. Si la diversification des modes de garde a clairement permis d’augmenter le nombre de places proposées, c’est elle aussi qui a autorisé leur diffusion. En définitive, un même service (garder les enfants pendant que les parents travaillent) peut être rendu aujourd’hui selon les lieux par des offres très différentes.

Nous pourrons dire alors que la diffusion des modes de garde renvoie à un processus complexe de transposition par lequel un service est transformé pour être adapté au plus près des besoins et des possibilités (politiques, économiques et techniques) d’un lieu. Dans son principe et ses modalités, ce phénomène ne semble pas propre aux modes de garde. D’autres services250 ont subi des transformations similaires pour s’implanter dans la grande périphérie lyonnaise. En cela, l’exemple des modes garde nous semble donc refléter une partie (mais pas la totalité) de l’évolution de la sphère de la reproduction sociale simple parallèlement au redéploiement urbain.

Cette diversification et cette diffusion des modes de garde auraient pu conduire à l’éclatement de l’ensemble de ce champ. Ce n’est pourtant pas ce qui s’est produit (chapitre 7). Parallèlement à l’évolution des services en tant que tels, des systèmes d’acteurs fortement territorialisés mais tout aussi fortement coordonnés se sont formés. Ce sont eux qui ont promu l’essor quantitatif, la diversification qualitative et la diffusion géographique des modes de garde. Ce sont eux qui ont permis leur adaptation au plus près des besoins locaux et qui ont dans le même temps renforcé leur cohérence d’ensemble, c’est-à-dire leurs normes de production, leur encadrement, leur qualité, etc.

Dans ce système de promotion et d’encadrement, la Caisse nationale d’Allocations Familiales et ses Caisses locales de Lyon et Villefranche jouent un rôle primordial. Nous pourrions alors penser que ces organismes sociaux tendent à s’instituer comme autorité de tutelle, sinon légale du moins de fait, de l’ensemble du champ de la petite enfance. Si leur rôle est d’importance, ce n’est pourtant pas tout à fait ce qui se produit. Nous assistons bien plus, à notre sens, à la formation d’un système partenarial entre les collectivités locales et les Caisses et ce système d’acteurs va au-delà de la simple promotion, du simple encadrement et de la simple gestion des modes de garde. Il tend à se muer en véritable système de régulation, visant notamment à anticiper sur les évolutions de la demande et à favoriser l’adaptation constante de l’offre par rapport à cette dernière. Sous cet angle, les modes de garde nous livrent une expérience singulière, mais qui nous semble d’autant plus intéressante : celle d’un système de régulation d’une facette du fonctionnement urbain non pas exercée par la seule puissance publique ou par un partenariat désormais classique entre puissance publique et groupes privés, mais par une entente associant collectivités locales et organismes sociaux.

Notes
250.

Voir chapitre 4.