A la fin du XIX° siècle, environ 10% des enfants étaient confiées à des nourrices au niveau national, mais avec des différences très importantes selon les villes et les régions (tableau ci-dessous) ; Lyon étant l’endroit où le phénomène semble avoir été le plus important.
Villes | % d’enfants placés auprès de nourrices à emporter |
Paris | 33 |
Lyon | 47 |
Saint-Etienne | 21 |
Marseille | 17 |
Nantes | 25 |
Le Havre | 19 |
Toulouse | 13 |
Moyenne France | 10 |
Source : Rollet-Echalier C., 1990 |
Dès le tournant du siècle, le nombre de nourrices, tant à emporter que sur lieu, a rapidement baissé sur l’ensemble du pays. Durant l’entre-deux-guerres, il était devenu insignifiant. Dans le département de la Seine, par exemple, la proportion d’enfants confiés à des nourrices à emporter passa de 31% en 1901-1905, à 7% en 1935274 ; le nombre de nourrices sur lieu de 5.496 en 1891-1895, à 11 seulement en 1931-1935275. Ce déclin d’importance trouve son origine dans une double baisse de la demande et de l’offre de garde.
Au niveau de l’offre de service, la première guerre mondiale fut une véritable cassure. Les femmes des zones rurales, qui constituaient l’essentiel des nourrices, durent remplacer les hommes dans les travaux des champs, non seulement pendant la guerre, mais aussi après du fait de l’hécatombe qui s’était produite. En outre, les prix des produits agricoles eurent tendance à monter et le travail de la terre assura désormais un revenu supérieur à celui du commerce nourricier. Le nombre de femmes prêtes à devenir nourrices devint, en conséquence, beaucoup plus faible qu’auparavant.
Le nombre de femmes ayant besoin d’une nourrice devint également moins important. La proportion de femmes actives baissa, leurs conditions de travail se transforma sensiblement et le progrès scientifique fit disparaître l’obligation d’un allaitement mercenaire en substitution de la mère.
Le taux d’activité féminin passa de 42% en 1921 à 34% en 1936276, ce qui fit mécaniquement baisser le volume de la demande.
Les formes et les conditions de travail des femmes se transformèrent, ce qui rendit moins nécessaire le placement permanent des enfants. La proto-industrie s’effaça.
La domesticité déclina plus tardivement, mais régulièrement à mesure de l’avancée du siècle.
Le temps de travail dans l’industrie, enfin, fut réduit. De 16 heures par jour au milieu du XIX° siècle, il ne fut plus que 8 heures à compter de 1919277. Désormais, l’essentiel des enfants pouvait être placé à la journée seulement.
Des mesures furent prises également afin de permettre aux mères d’allaiter elles-mêmes leurs enfants.
Les sociétés de charité maternelle, qui existaient depuis l’Ancien Régime, se multiplieront au XIX° siècle. En 1874, elles étaient déjà implantées dans 76 villes du pays. Reconnues d’utilité publique dès 1810 et recevant des subventions de l’Etat, des départements et des communes, elles versaient des allocations aux femmes qui interrompaient leur travail pour allaiter leur enfant.
A la fin du second empire, des industriels institueront un système similaire pour leurs salariées.
De fait, ces initiatives privées, qui esquissaient une première forme de congé parental, ont également contribué à faire baisser la demande en matière d’allaitement mercenaire.
A la fin du XIX° siècle, des médecins mirent au point le lait stérilisé278, puis le lait maternisé279. Un nouveau-né pouvait désormais être nourri sans risque au biberon, ce qui permettait définitivement de se passer des nourrices à boire, comme l’on disait à l’époque.
Dès la fin du XIX° siècle, 63% des enfants qui n’étaient pas nourris par leur mère l’étaient au biberon. En 1925-26, ils étaient 94% dans ce cas280.
Ces évolutions de l’offre, de la demande et des techniques d’alimentation des nouveau-nés se sont, en somme, cumulées et ont provoqué la fin rapide du commerce nourricier dans sa forme traditionnelle ainsi qu’une baisse importante du nombre d’enfants gardés hors du cercle familial. Ceux qui continueront à être confiés à des tiers le seront alors à des bonnes d’enfant ou nurses dans les milieux aisés et à des nourrices de jour, plus marginalement, des crèches dans les milieux populaires.
p. 509, Rollet-Echalier C., 1990.
p. 513, Rollet-Echalier C., 1990.
p. 14, Guelaud-Léridon F, 1964.
Loi du 23-4-1919.
Technique de stérilisation du lait mis au point en 1892 par les Dr Budin et Roux.
Autour de 1900 et à travers différentes techniques et appellation (lait maternisé, humanisé ou encore prédigéré).
p. 506, Rollet-Echalier C., 1990.