2.2 Flexibilisation de l’emploi féminin et diversification de la demande

Si les besoins de garde se sont accrus ces dernières années à mesure de l’essor du taux d’activité féminin, ils se sont également diversifiés parallèlement à la transformation des systèmes d’emploi auxquels sont plus particulièrement soumis les femmes. Plus que les hommes, ces dernières sont victimes de la précarisation et de la flexibilisation du travail, ce qui a eu une incidence non négligeable sur leurs attentes vis-à-vis des modes de garde. Hier relativement homogènes, constantes et à temps complet, les demandes en la matière sont devenues progressivement plus diverses, plus imprévisibles et pour des durées beaucoup plus variés.

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Graphique 53 : L'emploi des femmes selon les secteurs d'activité en 1982 et 1993.

La féminisation de l’emploi progresse globalement (de 40,5% à 43,9% de 1982 à 1993) et dans la quasi-totalité des domaines d’activité (hormis l’industrie des biens de consommation et d’équipement), mais la proportion de femmes reste très inégale d’un secteur à l’autre. Elles sont très nettement sur-représentées dans le tertiaire (graphique ci-dessus) et généralement sous-représentées dans le primaire et le secondaire.

Cette tendance semble se renforcer puisque la féminisation s’accroît dans les services non marchands, les locations, les crédits-bails, les assurances, les organismes financiers et le commerce ; alors qu’elle baisse dans l’industrie des biens de consommation. Les femmes s’inscrivent en somme pleinement et de plus en plus fortement dans la tertiairisation de l’emploi.

Ceci peut sans doute laisser présager d’un essor encore plus important du taux d’activité féminin dans les années qui viennent, mais cela n’augure en rien que la garde de leurs enfants soit plus facile dans ce secteur que dans d’autres. Les rythmes d’activité attachés au secteur tertiaire ne permettent pas plus de concilier vie professionnelle et vie familiale que ceux en vigueur dans l’industrie. Certes le travail de nuit est moins courant, mais il existe cependant comme dans le secteur hospitalier, où les femmes sont très nombreuses. En outre, le travail le soir, le week-end et les jours fériés est quasiment généralisé à un degré ou à un autre dans le commerce et dans bien des services aux personnes ; autant de secteur où les femmes sont largement présentes. Enfin, les horaires irréguliers ne sont en rien l’apanage de l’organisation industrielle en trois-huit. Si La Poste a inventé les CDII (contrat à durée indéterminée intermittent) permettant d’appeler un salarié à tout moment, les grands magasins multiplient quant à eux les horaires flexibles où l’on travaille deux heures le matin pour revenir quatre heures le soir au gré des besoins de l’entreprise328.

L’organisation du travail dans le tertiaire ne facilite donc en rien la garde des enfants, d’autant plus que ce secteur est bien souvent en pointe dans ce qu’il est convenu d’appeler la flexibilisation du temps de travail. Cette remise en cause croissante des horaires réguliers, que cela soit dans le tertiaire ou dans l’industrie, a pour conséquence obligée l’essor de nouveaux besoins de garde pour des horaires tout aussi inhabituels et irréguliers. La satisfaction de ces nouvelles demandes ne va pas sans poser de problèmes. Les modes de garde sont loin de toujours pouvoir et de toujours vouloir accueillir des enfants dans ces conditions. Trouver un mode de garde peut être encore plus difficile lorsque les deux parents ont des horaires de travail changeant. A Bron, par exemple, ‘« il y a un certain nombre de parents dont les horaires ne sont pas fixes, soit qu’ils travaillent à Auchan ou dans un des hôpitaux de la commune. Les parents n’avaient plus accès à rien, car les crèches refusaient les gardes irrégulières et les haltes-garderies, le temps complet même pour une journée. Même les nourrices n’en voulaient pas, car quand les deux parents sont soumis à des horaires tournant, le besoin de garde est non seulement irrégulier mais aussi réduit : le temps que l’un des parents ne viennent relayer l’autre »’ 329.

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Graphique 54 : Chômage et emploi précaire selon les sexes en France.

Outre le développement d’horaires de travail hors normes, si ce mot a encore un sens aujourd’hui, la précarisation de l’emploi féminin (graphique ci-dessus) a également induit une transformation sensible des demandes en matière d’accueil des enfants. A temps partiel, elles auront besoin d’un accueil pour une partie seulement de la journée, ce qui peut s’avérer difficile à trouver. Les assistantes maternelles préfèrent, lorsqu’elles ont le choix, garder des enfants à temps complet pour des raisons évidentes de rentabilité330. Les haltes-garderies, pour leur part, sont spécialisées dans la garde à temps partiel, mais elles n’existent pas partout et, traditionnellement, n’assurent pas le repas de midi331, ce qui peut être plus que gênant si le travail de la mère est justement en milieu de journée, comme dans la restauration par exemple. En l’absence d’emploi stable, enfin, il leur faudra nécessairement et immédiatement trouver un mode de garde dès l’obtention d’un nouveau stage ou d’un nouveau contrat de travail ce qui peut signifier du jour au lendemain. D’après une étude effectuée par l’APER en 1996332, 64% des structures de garde collective du Rhône sont d’ailleurs sollicités, plus ou moins régulièrement, pour accueillir sur-le-champ un enfant dont la mère vient de trouver un nouvel emploi ou un nouveau stage.

Somme toute, la croissance de l’activité féminine a été de pair avec une transformation de leurs conditions de travail. Cette évolution des systèmes d’emploi n’affecte sans doute pas seulement les femmes mais ce sont elles qui y sont le plus fortement soumises. Si les besoins de garde se sont développés à mesure que les mères s’intégraient de plus en plus massivement au monde du travail, ils se sont aussi diversifiés à mesure de la précarisation et de la flexibilisation de l’emploi féminin. Les demandes de garde sont donc non seulement plus nombreuses qu’hier mais aussi plus diverses. Les femmes actives n’ont plus uniquement besoin de garde régulière et à temps plein, mais aussi de gardes d’urgence, irrégulières et à temps variable.

Notes
328.

Vanier M. et al., 1998.

329.

Entretien Mme Chatelain, coordinatrice petite enfance à Bron.

330.

Entretien Dr Honegger, service santé prévention du Conseil Général du Rhône.

331.

Entretien Mme Rat-Patron, déléguée de la Fédération des Centres Sociaux.

332.

APER, 1997-b.