1.1 Les assistantes maternelles

Ces personnes, lointaines descendantes des gardeuses du siècle précédent, aujourd’hui communément appelées nourrices, gardent les enfants chez elles. Elles doivent être théoriquement, déclarées aux organismes sociaux, comme tout salarié, et agréées par le service de Protection Maternelle et Infantile ou par les services analogues du Conseil Général. Cet agrément les autorise à garder de 1 à 3 enfants337, mais des dérogations peuvent être accordées par le président du Conseil Général, après avis du service compétent.

Depuis la loi de 1977338, elles sont désignées sous le terme d’assistantes maternelles. Ce texte leur a octroyé pour la première fois un statut professionnel, ainsi qu’une rémunération minimum : 2h ¼ de SMIC pour dix heures de garde. Ce salaire plancher est rarement dépassé. Comme le note Mme Baron, présidente de la principale association d’assistantes maternelles du département, l’ADAMAR339, ‘« c’est la seule profession où vous pouvez travailler depuis huit jours ou depuis trente ans, vous serez toujours payée au salaire minimum, à moins d’exercer dans une crèche familiale municipale »’.

Les assistantes maternelles peuvent en effet, être employées directement par les parents ou par l’entremise d’une structure : les crèches familiales. Dans le premier cas, elles doivent directement négocier leurs salaires avec les parents, ainsi que les frais annexes (nourriture, langes, etc.), dont l’indemnisation n’est pas fixée par la loi. Dans le second cas, elles sont salariées par une crèche familiale, qui les recrute, les contrôle et les forme ; les parents réglant le coût du service à cette structure. Lorsque cette dernière est gérée par une municipalité, les assistantes maternelles sont susceptibles de bénéficier de primes d’ancienneté, ce qui est plus rare lorsqu’il s’agit d’une association.

Comme le montre le graphique ci-dessous, le nombre d’assistantes maternelles déclarées, exerçant à titre libéral ou par l’entremise d’une crèche familiale, a fortement augmenté à partir de 1992, alors qu’il déclinait légèrement auparavant. De 7.500 en 1981, le département du Rhône n’en comptait plus que 5.710 en 1991, mais en dénombrait 12.965 en 1996, soit + 72,87% par rapport à 1981 et + 127,06% par rapport à 1991.

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Graphique 56 : Nombre d'assistantes maternelles agrées dans le Rhône de 1981 à 1996.

Cet essor est en grande partie artificiel. Il rend compte, pour l’essentiel, d’un important mouvement de régularisation. Par le passé, la plupart des nourrices exerçaient en dehors de tout contrôle légal et de toute couverture sociale. Seule une petite minorité était déclarée et cette portion congrue a eu tendance à être de plus en plus réduite à compter du milieu des années 1970.

Jusqu’à cette époque, l’agrément auprès des services de Protection Maternelle et Infantile (PMI) du département et la déclaration à l’URSSAF se faisaient indépendamment. Le coût des cotisations salariales et patronales incitait parents et nourrices à ne pas déclarer cette activité aux Caisses d’Assurances Sociales, lorsque ce n’était pas à ces dernières et au service de PMI. ‘« A l’époque, même lorsqu’une nourrice demandait un agrément, ce qui n’était le cas que d’une minorité seulement, elle n’était pas pour autant déclarée à l’URSSAF. Il ne fallait pas embêter les parents avec des histoires de cotisations »’ 340.

En 1977, le nombre de nourrices accréditées par la PMI a subitement chuté. Ceci s’explique par le fait que l’URSSAF a cherché à ce qu’au moins les assistantes maternelles agréées règlent leurs cotisations sociales. Pour ce faire, ‘« l’URSSAF a demandé que les services de PMI lui communiquent la liste des assistantes maternelles agréées pour pouvoir systématiquement exiger le règlement des cotisations sociales. Même si celle du Rhône, comme de bien d’autres départements, a refusé, ceci a eu pour effet de provoquer un retour massif à la clandestinité. Nombre d’assistantes maternelles ont tout simplement rendu leur carnet de nourrice tout en continuant à exercer »’ 341.

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Graphique 57 : Evolution du nombre d'assistantes maternelles agréées en France de 1965 à 1993.

Par la suite, (graphique ci-dessus) le nombre d’agréments ne fit que décliner et la loi de 1977342 ne put y remédier. Le volume des assistantes maternelles agréées passa au niveau national de 614.822 en 1977 à 324.618 en 1991, soit une baisse de près de moitié (-47,20%).

Considérant à juste titre que le poids des charges sociales constituait le principal motif de travail clandestin, la Caisse nationale d’Allocations Familiales (CNAF) décida, en 1980343, de créer une Prestation de Service Assistante Maternelle (PSAM). Il s’agissait d’une compensation forfaitaire des cotisations salariales et patronales supportées par les familles, mais elle ne concernait pas l’ensemble des parents. Seuls, ceux qui étaient rattachés au régime général de la CAF, pouvaient en bénéficier. En outre, ils devaient toujours faire l’avance des charges à l’URSSAF et n’étaient remboursés qu’ensuite par la CAF. Cette allocation était donc relativement restrictive. Elle était aussi assez peu connue. Une recherche menée en 1986 par le LERS/IRTS de Rouen montra que seul un cinquième des familles, qui employaient une assistante maternelle agréée, avait connaissance de la PSAM344. Cette première mesure s’avéra, de fait, largement insuffisante pour encourager les parents à déclarer les nourrices qu’ils employaient.

En 1990, la CNAF tenta de renforcer cette incitation. La PSAM fut remplacée par l’AFEAMA : l’Aide à la Famille pour l’Emploi d’une Assistante Maternelle Agréée345. Cette nouvelle mesure était similaire sur le fond à la précédente, mais ouverte à toutes les familles employant une nourrice dûment agréée et déclarée. Malgré cela, le nombre d’agréments n’augmenta pas sensiblement. Il fallut attendre deux ans de plus pour qu’une fraction substantielle des assistantes maternelles soit enfin régularisée.

En 1992346, le système du tiers-payant fut instauré. Les parents n’eurent plus d’avance à faire ; la CAF versant désormais directement les cotisations sociales à l’URSSAF. La CNAF décida en outre, de majorer l’AFEAMA. Une allocation supplémentaire fut octroyée aux familles pour chacun de leurs enfants gardés par une assistante maternelle agréée347. Pour les parents, il devint alors beaucoup plus intéressant financièrement d’employer une personne dûment déclarée, qu’une nourrice non agréée.

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Graphique 58 : Evolution du nombre de familles bénéficiaires de l'AFEAMA en France (1991-96).

Tous les témoignages que nous avons pu recueillir, tant ceux émanant des Caisses d’Allocations Familiales et du service Santé - Prévention, que des associations d’assistantes maternelles et des municipalités concordent pour considérer ce texte comme étant à l’origine d’un important mouvement de régularisation.

Les enquêtes menées par l’APER348 et l’Education Nationale349 confirment ce phénomène. D’après leurs estimations, il n’y aurait plus que 2.696 enfants de 3 mois à 3 ans gardés clandestinement dans le Rhône en 1995, soit 13,63% du total des enfants gardés, alors que les nourrices non agréées formaient hier l’essentiel de l’offre, tous types d’accueil confondus.

Du fait de son ampleur, ce mouvement de régularisation rend délicat toute estimation quant à l’essor réel du nombre d’assistantes maternelles, qu’elles soient ou non déclarées. Pour le service Santé – Prévention du Conseil Général cette croissance n’aurait été que légère350.

Le développement récent du nombre d’assistantes maternelles privées d’emploi (graphique ci-dessous) pourrait néanmoins accréditer l’idée d’un essor beaucoup plus conséquent. Alors que par le passé, la demande d’agrément supposait dans la quasi-totalité des cas, que la nourrice avait déjà un enfant à garder ou qu’elle en trouverait un dans des délais très brefs, en 1996, 2.624 assistantes maternelles agréées étaient sans ouvrage. Le taux de chômage de la profession s’élevait à 20,24%, ce qui est largement au-dessus du taux de chômage global dans le département. Cette montée du chômage parmi les assistantes maternelle n’est du reste pas une spécificité locale. Une recherche récente a relevé le même phénomène sur la région parisienne351.

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Graphique 59 : Part des assistantes maternelles sans emploi dans le Rhône de 1994 à 1996.

Si nous pouvons penser que l’évolution de la demande, tant au plan quantitatif (nombre d’enfants susceptibles d’être gardés), qualitatif (familles intéressées par ce type de garde) que spatial (décalage entre secteurs de résidence des parents et de l’assistante maternelle) est en mesure d’expliquer en partie cette carence d’emploi, pour la présidente de l’ADAMAR352, cela résulterait également d’une croissance réelle du nombre de personnes disposées à garder des enfants à leur domicile.

La montée globale du chômage, qui touche encore plus durement la population féminine, pousserait un certain nombre de femmes à prendre un agrément d’assistantes maternelles dans l’attente d’un autre emploi. ‘« Par le passé, les nourrices étaient soit des femmes qui exerçaient auparavant une autre profession, mais qui l’ont arrêtée lorsqu’elles ont eu leur deuxième enfant, soit des mères de familles nombreuses. Dans les deux cas, cette activité leur permettait de compléter le budget familial, tout en restant à la maison pour s’occuper des enfants. Aujourd’hui, le chômage pousse beaucoup de femmes, parfois très jeunes, à prendre un agrément, en attendant de trouver ou de retrouver un emploi. L’ANPE, d’ailleurs, les incite bien souvent à faire ainsi et cela d’autant plus lorsqu’elles sont sans qualification »’ 353.

Le développement du chômage parmi les assistantes maternelles pourrait donc accréditer l’idée d’une augmentation relativement importante de l’offre de garde individuelle. Mais nous pourrions aussi faire l’hypothèse que cette détérioration de l’emploi découle, au moins en partie, de la croissance des places en structures collectives, ou encore de la mise en place de congés parentaux indemnisés, qui permettent aux parents de suspendre leur activité professionnelle pour garder eux-mêmes leur enfant, ou, enfin, plus marginalement, de l’instauration de l’Allocation pour Garde d’Enfants au Domicile des parents (AGED) par une aide maternelle. Nous pourrions considérer en somme, que c’est plutôt la multiplication des formules de garde qui est responsable de la montée du chômage chez les assistantes maternelles, car toutes les concurrencent et réduisent d’autant leurs possibilités de travail354.

Il nous est en définitive, impossible de déterminer non pas la réalité de la croissance de l’offre de garde individuelle durant ces dernières années, car la plupart des personnes rencontrées rejoignent la présidente de l’ADAMAR sur cette question, mais sa vigueur réelle. Nous pouvons toutefois estimer son ampleur actuelle.

En 1995, la capacité d’accueil355 des assistantes maternelles agréées en activité s’élevait à 17.924 places d’accueil à temps complet (toute la journée) et à 9.903 places à temps partiel (une partie seulement de la journée ou de la semaine). Selon que les assistantes maternelles au chômage aient été agréées pour un, deux ou trois enfants, il nous faut encore ajouter entre 2.008 et 6.024 places pour cette même année, ce qui fait une capacité d’accueil totale comprise entre 29.835 et 33.851 places à temps partiel et à temps complet pour ce seul mode de garde.

Certes ces places ne sont pas uniquement destinées aux enfants de moins de 3 ans. Les assistantes maternelles sont susceptibles d’accueillir des mineurs de tous âges. Cependant, l’essentiel de leur clientèle est composé d’enfants en bas âge, car ils sont quasiment tous scolarisés dès 3 ans. En 1990-91, les trois ans étaient scolarisés à 99% et les quatre ans à 100%356. Dès qu’ils entrent à l’école maternelle, les enfants n’ont plus besoin que d’une garde temporaire avant ou après la classe, voire à midi en l’absence de cantine. Dans les années qui suivent, ce besoin s’amenuise rapidement, car les enfants grandissent et sont de plus en plus capables de se passer de surveillance jusqu’à l’arrivée de leurs parents. De plus, dès la primaire, les activités périscolaires se multiplient et, de facto, prennent en charge les enfants en lieu et place des modes de garde.

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Graphique 60 : Evolution de la capacité d'accueil des assistantes maternelles agréées en activité dans le Rhône (1991-95).

Somme toute, l’essor des places à temps partiel retranscrit partiellement ce besoin de prise en charge sur une partie seulement de la journée et de la semaine (le mercredi) des enfants scolarisés en maternelle (graphique ci-dessus). Mais cela retranscrit également un effort d’adaptation de ce mode de garde aux nouveaux besoins des parents d’enfant de moins de 3 ans. Le développement du travail à temps partiel a, en effet, provoqué l’émergence de demande de garde temporaire et un certain nombre d’assistantes maternelles y répondent désormais357. Que cela soit pour garder des enfants en complément de l’école maternelle ou pour des parents travaillant à temps partiel, le nombre de places temporaires a évolué, en définitive, plus rapidement que celles à temps complet. Ces dernières années, la capacité d’accueil en garde permanente, service traditionnellement proposé par les nourrices, a augmenté de 147,71% ; celle en garde intermittente de 185,64%. La proportion de ces dernières par rapport aux premières est passée de 47,91% à 55,25%.

Cette évolution rend compte d’une certaine adaptation des assistantes maternelles à de nouveaux types de besoin. Mais cette tendance ne résulte que très rarement d’un choix librement consenti. Les assistantes maternelles ne s’y plient généralement que contraintes et forcées358, lorsqu’elles sont trop nombreuses par rapport à la demande dans un espace donné. Rémunérées à l’heure, l’accueil d’un enfant à temps partiel leur offre mécaniquement un revenu inférieur à celui tiré d’une garde à temps complet et, de plus, cela compte pour une place entière dans leur agrément. La loi de 1992 a posé, en effet, un maximum de 3 enfants par assistante maternelle sans prendre en compte le temps de garde. En conséquence, ‘« quand on garde un enfant deux heures par jour pour rendre service à sa mère ou parce qu’il est scolarisé, cela compte pour une place »’ 359.

Le service Santé – Prévention a récemment pris conscience de ce problème360 et accepte désormais de délivrer des dérogations lorsque le nombre d’enfants gardés simultanément n’est pas supérieur à 3 et si le temps de garde cumulé ne dépasse pas non plus 3 pleins temps. Sur le département, 20% des assistantes maternelles ont pu ainsi bénéficier d’une dérogation en 1995, contre 16% en 1994361. Malgré ces aménagements, la question de la garde à temps partiel reste cependant bien souvent problématique car nombre d’assistantes maternelles jugent insuffisant les assouplissements apportés.

Lorsqu’elles en ont la possibilité, elles privilégient toujours les gardes à temps complet et peuvent même parfois refuser de continuer à garder des enfants lorsqu’ils entrent à l’école maternelle. L’histoire d’un père de famille habitant près de Grigny (Rhône), dans une commune où la demande est nettement supérieure à l’offre de garde, est à cet égard particulièrement emblématique des problèmes qui peuvent subvenir lorsqu’un enfant entre à l’école maternelle. ‘« Lorsque mon dernier a eu trois ans, il est rentré à l’école maternelle. Mes horaires de travail et ceux de ma femme font que nous avions toujours besoin qu’il soit gardé le soir après la classe. Or il n’y avait pas de garderie périscolaire. Nous avons demandé à sa nourrice si elle voulait bien continuer à s’en occuper le soir, mais elle a refusé, rentabilité oblige. (...) Nous avons posé une annonce à l’école et nous avons réussi à trouver une nourrice non agréée. Nous l’avons obligée à se déclarer pour continuer à toucher l’AFEAMA, mais, du coup, elle s’est professionnalisée et, de nouveau rendement oblige, a préféré garder des enfants à plein temps. Nous avons eu alors recours à une aide maternelle. C’est beaucoup plus cher, mais c’est la seule qui ait accepté de garder le petit pour 18 heures par semaine seulement »’ 362.

Notes
337.

Loi n°92-642 du 12 juillet 1992 du code de la famille.

338.

Loi n°77-505 du 17 mai 1977 du code de la famille.

339.

Association départementale des assistantes maternelles agréées du Rhône fondée en 1983.

340.

Mme Baron, présidente de l’ADAMAR, assistante maternelle depuis 1974.

341.

Dr Dubouchet service santé – prévention du conseil général du Rhône, responsable de l’agrément et du contrôle des assistantes maternelles.

342.

Loi n°77-505 du 17 mai 1977 du code de la famille.

343.

Décision du conseil d’administration de la CNAF du 10 juin 1980.

344.

Cité p. 6, Math A. et Renaudat E., 1997.

345.

Plan famille 1990.

346.

Loi n°92-642 du 12 juillet 1992 du code de la famille.

347.

840 Fr. par mois pour les enfants de 0 à 3 ans et 520 Fr. pour les enfants de 3 à 6 ans en 1997.

348.

Atelier Petite Enfance du Rhône.

349.

APER, 1994, 1995-a et 1997-a.

350.

Dr Dubouchet, service santé – prévention du Rhône.

351.

Mozère L., 1999.

352.

Mme Baron, ADAMAR.

353.

Mme Baron, ADAMAR.

354.

avis de Mme Rosnoblet, responsable du département petite enfance à la caisse d’allocations familiales de Lyon.

355.

Conformément à la loi, l’agrément délivré par le service santé – prévention donne droit à garder de 1 à 3 enfants par assistante maternelle, voire plus en cas de dérogation. L’évaluation de leur capacité d’accueil est effectuée par les services du conseil général en cumulant le nombre d’enfants qu’elles sont autorisées à garder. Les assistantes maternelles inactives ne sont toutefois pas prises en compte.

356.

P. 86, INSEE, 1992.

357.

Dr Honegger, Service Santé – Prévention du Rhône.

358.

Mme Baron, ADAMAR.

359.

Mme Baron, ADAMAR.

360.

Dr Dubouchet, Service Santé – Prévention du Rhône.

361.

Source : service santé – prévention du conseil général du Rhône.

362.

M. Bonato, responsable du développement social à la mairie de Grigny.