1.2 Les aides maternelles

Ces aides maternelles justement, sont les descendantes des nurses ou des bonnes d’enfant du début du siècle. Elles gardent les enfants au domicile de leurs parents. Elles doivent être – légalement – déclarées aux organismes sociaux, comme tout salarié, mais ne sont toujours soumises à aucun agrément, ni aucun contrôle des services de protection sanitaire de l’enfance. Elles sont assimilées à des employés de maison et relèvent de la convention collective en vigueur dans cette profession363. Leur salaire est – théoriquement - aligné sur cette dernière ce qui en fait, à environ 30 F de l’heure en octobre 1995 le mode de garde le plus onéreux et de loin. Un système d’aide publique permet cependant d’en alléger notablement le coût.

Depuis 1987364, une Allocation pour Garde d’Enfant à Domicile (AGED) peut être versée aux familles qui emploient une aide maternelle. Versée directement par la CAF aux Caisses d’Assurances Sociales365, l’AGED prend en charge les cotisations salariales et patronales de l’employée jusqu’à une certaine somme. Elle est octroyée à raison d’une allocation par foyer, quel que soit le nombre d’enfants gardés et à condition que l’un d’eux au minimum, ait moins de 6 ans (moins de 3 ans avant 1995). Cette première mesure a été complétée en 1992366, par une réduction fiscale. L’ensemble des particuliers employant du personnel de maison ont pu déduire de leurs impôts une partie de leurs dépenses engagées en la matière367.

Le plafond et les conditions d’attribution de ces deux aides ont varié au cours du temps. C’est en 1995, que le système a été le plus avantageux, mais pour certaines classes sociales seulement. Un an auparavant, le plafond de la réduction d’impôt avait été passé de 13.000 à 45.000 F368 et, quelques mois plus tard, le montant de l’AGED fut également augmenté. Il couvrira désormais la totalité des cotisations sociales, alors qu’il était auparavant limité à 2.000 F par mois. Le bénéficie de cette allocation fut enfin étendu, à mi-taux, aux enfants jusqu’à 6 ans369. L’ensemble de ces dispositions s’appliquaient sans aucune condition de ressource. La seule exigence était que les parents travaillent tous les deux et si l’un d’eux exerçait à temps partiel, l’AGED était simplement versé à mi-taux.

Une association, l’Enfant Do, qui se charge de recruter et d’encadrer des aides maternelles sur l’agglomération lyonnaise, nous livre sans ambages, une image précise des avantages que ce système représentait. ‘« Nous recrutons et formons des aides maternelles pour le compte des parents, mais elles restent directement salariées par ces derniers, sinon ils ne pourraient plus bénéficier de l’AGED et des réductions d’impôt. (...) La majorité des contrats de travail sont de 40 à 50 heures par semaine. De toute façon, la plupart des candidates veulent travailler à plein temps. (...) Le montant net de leur rémunération est de 5.403 F pour 50 heures hebdomadaires, quel que soit le nombre d’enfants à garder, mais à condition qu’ils soient de la même famille. (...) L’ensemble des cotisations patronales et salariales sont prises en charge par l’AGED. Pour la famille, il reste à charge environ 65.000 F par an, mais grâce à l’augmentation des réductions fiscales autorisées, elle peut encore déduire la moitié de cette somme de ses impôts. (...) Au total, l’aide maternelle ne lui sera revenue qu’à environ 2.700 F par mois, au lieu de 10.000 F, s’il n’y avait pas d’aides (...) Pour moins de 3.000 F, elle peut faire garder l’ensemble de ses enfants et pas simplement celui qui a moins de 6 ans. Elle peut même faire prendre en charge une partie du ménage de la maison370, parce que, évidemment, l’aide maternelle ne s’occupe pas que des enfants »’ 371.

Les mesures visant à alléger le coût d’une aide maternelle ne fonctionnaient de fait complètement qu’avec des ménages ayant des impôts atteignant au moins 35.000 F par an. A l’inverse, la domestique, puisque tel est son statut, revenait d’autant plus cher que l’employeur était peu imposé. Cet état de fait pour le moins surprenant, donna lieu à une très vive polémique dans le courant de l’année 1997. Ce système fut à juste titre selon nous, dénoncé comme scandaleusement inégalitaire et d’autant plus inadmissible dans un contexte où les caisses de Sécurité Sociale ne sont pas spécialement réputées pour leur excédent. Cette controverse, largement relayée par les médias, déboucha sur une nouvelle réforme. Les aides publiques furent abaissées et partiellement soumises à condition de ressources.

Pour les enfants de 0 à 3 ans372, l’AGED ne couvre plus désormais que 75% des cotisations sociales, avec un maximum de 9.733 F par trimestre si les revenus imposables de la famille employeur sont inférieurs à 218.376 F par an. Dans le cas contraire, l’allocation ne rembourse que 50% des charges sociales, avec un maximum de 6.489 F par trimestre. Pour les enfants de 3 à 6 ans et dans le cas où l’un des deux parents percevrait une Allocation Parentale d’Education (APE) à taux partiel, l’AGED reste à 50% mais le plafond trimestriel descend à 3.244 F. Les cotisations sociales ne sont donc plus entièrement prises en charge par la Caisse d’Allocations Familiales et les possibilités de réduction d’impôt ont également été abaissées : 22.500 F maximum.

Tableau 24 : Coût minimum d’une aide maternelle pour les parents selon les systèmes d’aide
En 1992 En 1995 En 1999
Salaire net annuel 62.400 62.400 62.400
Cotisations sociales 44.000 44.000 44.000
- Plafond de l’AGED 24.000 par an 47.352 par an 75% des charges sociales avec un maximum de 38.932 F/an
Exonération de charge 24.000 44.000 33.000
Coût annuel brut 82.400 62.400 73.400
- Réduction fiscale autorisée 50% du coût annuel avec un maximum de 13.000 F 50% du coût annuel avec un maximum de 45.000 F 50% du coût annuel avec un maximum de 22.500 F
Déduction d’impôt 12.500 31.200 22.500
Coût annuel net 69.900 31.200 50.900
Coût mensuel net moyen 5.825 F 2.600 F 4.242 F

Par-delà son évolution, ce système d’aide a joué un rôle similaire à celui de l’AFEAMA pour les nourrices, dans le sens où il a essentiellement contribué à résorber le travail clandestin373, ce qui était d’ailleurs un de ses objectifs affichés374. Dans le Rhône, cette ambition fut globalement atteinte avant même la revalorisation de 1995, ce qui vaut d’être souligné. Dès l’année précédente, l’Enfant Do gérait 100 assistantes maternelles. En 1996, elle en regroupait 110375. Au niveau départemental, les enfants de 3 mois à 3 ans gardés par ce mode étaient 1.016 en 1993376 et 1.041, fin 1995377. La revalorisation de 1995 n’a donc pas provoqué un important développement du nombre d’aides maternelles déclarées, ce qui laisse supposer que, sur ce département du moins, le mouvement de régularisation avait déjà eu lieu.

Un tel mouvement est cependant discernable au niveau national (graphique ci-dessous). Sur la France entière, le nombre de familles bénéficiaires de l’AGED a, en effet, augmenté de 42,55% entre 1995 et 1996.

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Graphique 61 : Evolution du nombre de familles bénéficiaires de l'AGED en France (1987-96).

Comme pour les assistantes maternelles, il est extrêmement difficile d’établir si ce mouvement de régularisation masque ou non un accroissement réel de l’offre. Si nous nous fions aux déclarations de la responsable de l’Enfant Do, il semble que cela soit le cas. Le chômage pousserait ici aussi un nombre de femmes plus important qu’hier à se proposer pour exercer cette activité. Il s’avère d’ailleurs, que les personnes recrutées en 1996 par cette association avaient connu ‘« une période de chômage d’une durée moyenne de neuf mois »’ 378, avant leur embauche.

L’examen du profil sociologique du personnel employé par l’Enfant Do semble, en outre, confirmer le rôle central du chômage. Celui-ci apparaît bien comme le principal facteur ayant conduit ces femmes à exercer cette activité. Deux grands types d’aide maternelle peuvent être distingués.

Le premier est formé de femmes de moins de trente ans379, souvent proche des vingt. Leur jeune âge pourrait faire penser à une re-formulation du système traditionnel des jeunes filles au pair, ce qui n’est pas véritablement le cas. Contrairement aux jeunes filles au pair, les aides maternelles travaillent le plus souvent à plein temps380 et sont généralement d’un niveau scolaire relativement bas381. Dépourvues ou sans grande qualification professionnelle, elles exercent pour des durées relativement courtes382, le temps de trouver un emploi salarié plus classique.

Le second profil type est nettement différent. Il s’agit d’anciennes assistantes maternelles, âgée de 40 ans et plus. ‘« Leurs enfants ont grandi et n’ont plus besoin de leur mère à la maison. (...) De plus, être nourrice, ce n’est pas très valorisant. L’entourage considère qu’elles ne font rien puisqu’elles restent à la maison. (...) Le salaire n’est pas très sûr, ni très élevé. (...) En devenant aide maternelle elles ne travaillent plus chez elles, ont une garantie de l’emploi et un salaire bien plus élevé (...) »’ 383. Ces anciennes nourrices exercent beaucoup plus longtemps comme aide maternelle que les jeunes filles, car après 40 ans ‘« du côté de l’emploi, c’est fermé ; du côté des formations, c’est plus difficile. Du coup, il y a une plus grande stabilité dans ce groupe d’âge »’ 384.

Pour ces anciennes nourrices comme pour les jeunes filles, le chômage ou tout simplement sa crainte apparaît donc comme étant le facteur central qui les a poussées à embrasser cette activité. Ces différents éléments semblent, en définitive, accréditer l’assertion de la responsable de l’Enfant Do, quant à une croissance du nombre de personnes disposées à devenir aides maternelles, pour des temps plus ou moins longs, croissance directement corrélée à l’essor du chômage féminin. Les aides maternelles n’étant pas soumises à un agrément préalable, il nous est cependant impossible de déterminer le nombre de personnes réellement intéressées par cette activité et l’évolution précise de l’offre en la matière au cours de ces dernières années. Nous n’en connaissons qu’une fraction : celles qui exercent et qui sont déclarées.

Notes
363.

Convention collective des employées de maison du 3 juin 1980.

364.

Loi n°86.1307 du 29 décembre 1986.

365.

Depuis 1992 seulement, grâce au système du tiers-payant prévu par la loi n°92-642 du 12 juillet 1992.

366.

Loi n°91.1406 du 31-12-1991, circulaire DSS/PFL 92.36 du 20 mars 1992.

367.

Pour une aide maternelle, il s’agit du salaire net et des cotisations sociales, moins l’AGED.

368.

Il était initialement à 12.500 F., puis avait été passé pour 1993, à 13.000 F. La loi de Finances de 1993 (exercice 1994) le portera à 45.000 F.

369.

Loi famille du 25 juillet 1994.

370.

Cette assertion est confirmée par une recherche menée par J. Fagnani et E. Rassat dans les Yvelines en 1996, Fagnani J. et Rassat E., 1997.

371.

Mme Avril, responsable de l’association l’Enfant Do.

372.

source : CAF de Lyon - 1999

373.

Mme Avril - l’Enfant Do, Mme. Rosnoblet - CAF – Lyon, M. X. Franc, ancien responsable de l’APER.

374.

p. 35, Fagnani J.., 1996.

375.

ARDAS, 1995 et 1997.

376.

APER, 1994.

377.

APER, 1997-a.

378.

p. 6, ARDAS, 1997.

379.

40% de l’effectif total.

380.

73% ont des durées de travail comprises entre 40 et 50 heures par semaine.

381.

79% ont un niveau scolaire inférieur au bac.

382.

de quelques mois à un an ou deux, d’après Mme. Avril – Enfant Do.

383.

Mme Avril – Enfant Do.

384.

Mme Avril – Enfant Do.