2.2.1 Essor de structures à capacité réduite : accueil à taille humaine et réduction des coûts d’investissement

Jusqu’au milieu des années 1970, les crèches étaient régies par l’arrêté du 18 avril 1951395. Ce dernier, extrêmement rigide, en faisait des établissements relativement lourds en terme d’infrastructures. Chaque pièce accessible aux enfants devait avoir une hauteur de plafond de 3 mètres minimum et une surface au sol de trois mètres carrés par enfant (article 3). Les dortoirs de ceux qui ne marchent pas devaient être distincts de ceux qui marchent. Dans le premier cas, la salle de repos ne devait pas contenir plus de 10 berceaux (article 4) ; dans le second cas, plus de 20 lits (article 5). Dans l’un et l’autre, les couchettes devaient être espacées au minimum de 1 mètre. Outre des salles de jeux (article 6), chaque crèche devait être dotée de salles de change (article 5), d’une chambre d’isolement pour les enfants susceptibles d’être malades (article 7), d’une cuisine exclusivement réservée à la préparation des repas des enfants (article 8), d’une salle de réception où les parents déposaient leurs enfants (article 9), d’une chambre d’allaitement pour permettre aux mères de venir allaiter leur nourrisson en journée (article 10) et enfin, d’une terrasse ou d’un jardin spacieux (article 11).

Une enquête menée en 1974396 nous donne un aperçu de ce que cela représentait en terme d’équipement. Sur quinze crèches enquêtées397, quatorze étaient installées dans des bâtiments spécifiquement construits à cet effet et pour leur usage exclusif ; la dernière étant intégrée dans un immeuble édifié pour accueillir un ensemble de services collectifs. Les locaux faisaient, en moyenne, 776,73 m², avec un jardin attenant de 1.437,8 m² et la capacité d’accueil était de 57,53 places.

Outre cette infrastructure relativement conséquente, la réglementation de 1951 avait aussi une incidence non négligeable sur le fonctionnement de ces crèches. Elles les transformaient ou plutôt les renforçaient en tant qu’établissement fortement médicalisé, voire quasiment hospitalier. Les parents n’étaient autorisés à pénétrer que dans la salle de réception où ils déposaient leur enfant et, pour les mères concernées, dans la salle d’allaitement (article 20). En arrivant, l’enfant était changé (article 9), parfois même entièrement lavé398. Il devait être pesé tous les deux jours jusqu’à quatre mois, puis une fois par semaine et mesuré tous les mois. Un médecin devait l’examiner une fois par semaine avant qu’il ne marche, tous les quinze jours par la suite. L’ensemble des indications relevées devait être reporté sur une feuille individuelle d’observation placée auprès de son lit. Ce dernier devait lui être personnel et repéré par un numéro d’ordre (article 17). Ses objets de toilette devaient être désinfectés à intervalle régulier, rangé dans un casier individuel portant le même numéro d’ordre que le lit et son linge sale immédiatement plongé dans une cuve remplie d’eau froide (article 18). L’ensemble du personnel devait être revêtu d’une blouse (article 20) et se soumettre à un examen médical semestriel (article 22). Enfin la direction de la crèche était obligatoirement assurée par une infirmière puéricultrice diplômée d’Etat399.

A partir de 1968, des expériences développées hors du système légal par des collectifs de parents vont remettre en cause sur le fond et sur la forme ces macro-structures médicalisées. Dès les mouvements de mai, des crèches autogestionnaires ou sauvages, selon le point de vue adopté, furent ouvertes à l’université de Jussieu et à l’école d’architecture à Paris400 ou encore à l’université Lyon II401. Ces expériences se multiplieront par la suite avec plus ou moins de bonheur. Leur objectif était de transformer en profondeur les relations entre parents, entre parents et professionnelles, et entre adultes et enfants ; l’accent étant principalement mis sur la pédagogie et non sur la protection médicale comme dans les crèches légales. Le système était sensiblement similaire dans chacune de ces structures. Quelques familles se réunissaient pour garder à tour de rôle leurs enfants avec l’aide d’une ou deux professionnelles (auxiliaires puéricultrices, puis éducatrices jeunes enfants). Par nécessité ou par choix, ces collectifs étaient généralement de taille réduite (une dizaine ou une vingtaine d’enfants) et pouvaient donc s’installer dans des locaux non prévus initialement à cet usage : appartement, local commercial, etc.

Ces collectifs ne furent reconnus qu’en 1981402. Depuis lors, les crèches parentales, comme on les appelle, sont soumises à l’agrément et au contrôle des services de PMI et perçoivent une aide financière des Caisses d’Allocations Familiales et des collectivités locales. En 1993, on dénombrait en France 936 établissements de ce type (14,55% des structures de garde collective). Leur capacité d’accueil totale était de 13.800 places (7,64% des places totales), dont 8.200 à temps complet (6,71% des places de type crèche) et 5.600 à temps partiel (10,43% des places de type halte-garderie)403.

Ces expériences ont fondamentalement remis en cause le mode de fonctionnement des crèches traditionnelles ainsi que leur taille, mais elles restent, aujourd’hui encore, relativement marginales. ‘« Depuis la fin des années 1980, leur nombre a tendance à stagner. Certaines de ces structures sont même sorties du label parental pour devenir de simples crèches associatives »’ 404. L’important essor de crèches à capacité réduite, auquel nous avons assisté ces dernières années, ne peut donc leur être uniquement imputé, ni principalement d’ailleurs. Elles n’en sont pas la cause essentielle, mais elles reflètent relativement bien, en revanche, les raisons d’ordre général qui ont provoqué cette évolution.

Au plan fonctionnel, l’émergence de ces établissements parentaux retranscrit bien la contestation globale qu’eurent à subir les grandes crèches collectives à compter des années 1970. Celle-ci ne fut pas seulement externe, via le développement de ces structures autogestionnaires, mais aussi et surtout interne. Leur caractère essentiellement médical et leur fermeture par rapport aux parents furent discutés tant par les praticiens et certains spécialistes de la petite enfance que par les familles. ‘« Sous la pression des pédiatres, des psychologues, des directrices de crèche, ainsi que celle émanant des parents »’ 405, une réforme du fonctionnement des grandes crèches collectives fut adoptée au milieu des années 1970406. Leur mission fut désormais également pédagogique et elles durent s’ouvrir aux parents.

Alors que la réglementation de 1945 prévoyait que les crèches avaient seulement pour mission de donner aux enfants ‘« les soins hygiéniques qu’exige leur âge »’, le texte de 1974 stipulera qu’ils ‘« y reçoivent les soins nécessaires à leur développement physique et mental »’ (article 3). La pédagogie et la psychologie devenaient ainsi une de leur mission centrale407, sans que leurs obligations en matière de suivi médical ne soit supprimées408. Afin de mettre en oeuvre cet objectif, un nouveau métier de la petite enfance fut créé. En 1973, un diplôme d’Etat d’Educateur Jeunes Enfants (EJE) fut instauré409. Cette nouvelle formation, centrée sur la psychopédagogique, différait substantiellement de celle, avant tout paramédicale, que recevait jusqu’alors les professionnelles de la petite enfance (puéricultrices et auxiliaires puéricultrices)410. Le second texte de 1975 (article 17) prévoira que les EJE devront être employées dans toutes crèches d’une capacité supérieure à 40 berceaux. En pratique, la plupart des services de Protection Maternelle et Infantile encouragèrent et encouragent toujours leur embauche y compris dans les structures de tailles plus réduites411.

Outre une évolution de leur mission, la réforme de 1975 assouplira également les rapports entre les crèches et les familles. Les parents ne seront plus interdits d’accès dans les locaux et les échanges avec les professionnels seront même encouragés. ‘« Le nouveau texte, en supprimant l’interdiction faite aux parents de circuler dans la crèche collective montre l’importance des échanges au cours desquels une éducation sanitaire peut être faite. Dès lors, il appartient à la directrice de guider l’activité des parents au sein de l’établissement et d’organiser des réunions de parents »’ 412. Certes, les crèches ne changèrent pas immédiatement et radicalement de fonctionnement dès la publication de cette réforme. En 1979, nombre d’établissements interdisaient encore l’accès aux parents413. Cependant, l’évolution était amorcée et les rapports entre services et usagers s’amélioreront progressivement. Dès le début des années 1980, ce mode de garde sera un des plus appréciés des parents. 76,4% d’entre eux s’en déclareront satisfaits contre 52% seulement pour les nourrices414.

Somme toute, l’essor des structures parentales rend relativement bien compte de la contestation qui s’exprima au tournant des années 1970, contre le fonctionnement des crèches collectives traditionnelles : contestation externe donc, mais aussi et surtout interne. Ceci est également vrai en ce qui concerne les raisons qui influèrent sur la taille des établissements. Dans les crèches parentales comme dans les autres structures, la réduction de la capacité d’accueil résulte en effet, autant d’une volonté délibérée que de contraintes économiques.

Dans les structures parentales, la faible capacité d’accueil fut et est toujours légitimée par des considérations pédagogiques (constituer une collectivité à taille humaine permettant l’épanouissement des enfants)415 et démocratiques. Généralement gérées à travers deux assemblées générales mensuelles, l’une technique, l’autre pédagogique, ces réunions sont d’autant plus longues que les familles sont nombreuses, à moins de vouloir limiter l’expression de chacun ou l’approfondissement des débats ce qui contredirait la finalité du lieu. Mais ces considérations, qui sont loin du reste d’être seulement de circonstance, n’expliquent pas à elles seules le faible nombre de places dans ce type de crèche. Les contraintes économiques y sont également pour beaucoup. Jusqu’en 1981, elles ne bénéficiaient pas du soutien de la puissance publique ni des Caisses d’Allocations Familiales. Elles ne pouvaient donc pas financer la construction de locaux spécialement conçus à leur effet et se sont installées dans des appartements, plus rarement dans des locaux commerciaux. Ceux-ci n’étaient que très légèrement adaptés avant de recevoir les enfants, ce qui réduisait substantiellement les coûts d’investissement d’une telle structure.

De fait, la réduction de la capacité d’accueil dans les structures non parentales s’est effectuée pour des raisons relativement identiques. Au cours des années 1970, lorsque certaines municipalités et quelques Caisses d’Allocations Familiales fondèrent ce qu’ils appelèrent des mini-crèches, les motivations économiques et pédagogiques furent également très présentes.

Dans la région Rhône-Alpes, la première mini-crèche fut ouverte, semble-t-il, en 1971 à Fontaine, dans l’Isère416. Installée dans un appartement, elle ne proposait que 10 places. Dans le bulletin municipal de novembre 1971, M. Carpaini, élu à la mairie et promoteur de ce projet, précisa explicitement que ‘« cette capacité d’accueil limitée est le résultat de contraintes économiques et politiques »’ 417. De même le 11 janvier 1975, lors d’une réunion des CAF de la région lyonnaise où était abordée le problème des coûts d’investissement des crèches, véritable frein à leur développement, la ministre à la Condition Féminine de l’époque, madame Nicole Pasquier déclara également : ‘« mais au fond, pourquoi ne ferait-on pas des crèches dans des appartements ? »’ 418.

Il est vrai qu’une étude effectuée par le ministère de l’Equipement montrait que le ré-aménagement d’une maison en crèche ne coûtait que 6.040 F par place, alors que la construction ex-nihilo de locaux revenait entre 14.931 et 24.594 F. par lit419. Les considérations économiques ont donc sans nul doute présidé au développement des crèches à capacité réduite, mais comme pour les crèches parentales, ce ne fut pas le seul motif.

Comme le précise M. G. Bonnet, directeur de la Caisse d’Allocations Familiales de Roanne au milieu des années 1970, les mini-crèches ont également été créées pour des raisons d’ordre psychopédagogiques. En 1976, deux mini-crèches furent ouvertes par la mairie et la CAF de cette ville, certes car cela revenait bien moins cher que des crèches traditionnelles, mais aussi parce que leurs promoteurs ‘sont « partis du principe qu’il fallait faire petit à la dimension de l’enfant »’ 420. Ils rejoignaient en cela certaines motivations des crèches parentales.

Gérées par les mairies ou par des associations para-municipales, les mini-crèches se sont rapidement développées par la suite. Devant ce succès, le ministère en fera une catégorie de mode de garde à part entière dès 1981421, mais la distinction avec les crèches traditionnelles sera rapidement délicate à maintenir. On ne construisit plus de grandes crèches collectives en locaux propres, et la capacité d’accueil des crèches d’appartement ré-augmenta quelque peu à partir du milieu des années 1980422. Soumises à la même réglementation que les crèches traditionnelles, les crèches d’appartement doivent en effet être dirigées par une infirmière puéricultrice. ‘« Une seule d’entre elle peut encadrer légalement jusqu’à 40 enfants. Or dans les premières mini-crèches il n’y en avait que douze. Le coût par enfant était donc beaucoup trop élevé »’ 423. Afin de rentabiliser davantage le personnel de direction, la capacité d’accueil de ces structures fut donc rehaussée. Cet arbitrage entre réduction des coûts d’investissements et des charges de fonctionnement amena l’essor des crèches telles qu’elles sont développées depuis : des structures en appartement et ayant une capacité d’accueil moyenne. Depuis 1985, les 37 crèches créées dans le Rhône ont 27,67 places en moyenne ; les trois-quarts d’entre elles ayant entre 20 et 35 lits.

Notes
395.

Arrêté du 18 avril 1951, relatif à la réglementation des crèches. Cet arrêté a précisé et renforcé la réglementation précédente datant de 1945.

396.

Ministère de l’équipement, 1976.

397.

Ces structures furent retenues comme étant représentatives du parc des crèches existant à cette époque sur l’ensemble du territoire national.

398.

P. 340, Norvez A, 1990.

399.

Article 6, Décret n°45-792 du 21 avril 1945 relatif à la réglementation des pouponnières, des crèches, des consultations de nourrissons et des gouttes de lait.

400.

p. 344, Norvez A., 1990.

401.

p. 54, Monchal J., 1984.

402.

Circulaire DGSH/3241/S – DAS/81-32 du 24 août 1981 relatif aux formules innovantes de modes de garde, publiée au bulletin officiel du ministère de la santé et de la sécurité sociale n°41 du 27/10/81.

403.

Ministère des affaires sociales, de la santé et de la ville, 1995.

404.

Mme Rosnoblet – CAF Lyon.

405.

p. 340, Norvez A, 1990.

406.

Décret 74-58 du 15 janvier 1974 relatif à la réglementation des crèches ; arrêté du 5-11-75 et circulaire ministérielle du 16-12-75 portant réglementation du fonctionnement des crèches.

407.

Baudelot O., 1991.

408.

Norvez A., 1990.

409.

Décret n°73.73 du 11 janvier 1973 et arrêté d’application du 11 janvier 1973 instituant un diplôme d’état d’éducateur jeunes enfants.

410.

Baudelot O. et Guibert L., 1997.

411.

Dr Honegger, Service Santé Prévention.

412.

Circulaire du 16-12-75.

413.

p. 342, Norvez A., 1990.

414.

CREDOC, 1981.

415.

Passaris S. et Schiray M., 1984.

416.

d’après Monchal J, 1984.

417.

cité p. 54, Monchal J, 1984.

418.

P. 52, Monchal J, 1984.

419.

Ministère de l’équipement, 1976.

420.

G. Bonnet, cité p. 52 Monchal J., 1984.

421.

p. 58, Ministère de la santé et ministère de la solidarité nationale, 1982.

422.

Source : service Santé Prévention du conseil général du Rhône.

423.

Mme Chatelain, coordinatrice petite enfance à la mairie de Bron.