2.2.2 Développement des structures multi-accueils : adaptation à de nouveaux besoins et flexibilisation des structures

L’essor de l’offre de garde collective a été permis par le développement de ces structures à capacité réduite, celles que le service Santé – Prévention appelle encore aujourd’hui les crèches d’appartement. Mais la multiplication des places offertes aux enfants a également été provoquée par le développement de structures multi-accueils, qui conjuguent dans un seul et même lieu différentes formes de garde.

Officiellement reconnue au niveau national en 1985424, ces établissements peuvent proposer des places à temps complet et à temps partiel. Ils peuvent également dispenser des services spécifiques, que l’on ne trouve ni en crèche, ni en halte-garderie. D’après l’enquête réalisée par l’APER en 1996, 48% des structures mixtes gardaient des enfants à temps complet mais pour une partie de la semaine seulement : de deux jours et demi à quatre jours et demi. De plus, 81% d’entre elles acceptaient également des accueils en urgence afin de permettre à des parents de pouvoir accepter un stage ou un emploi subit425. L’enfant n’est accueilli ici que pour de courtes durées, le temps pour ses parents de trouver un système de garde durable.

Les établissements mixtes proposent, en somme, plusieurs prestations, alors que la norme était auparavant d’un équipement par service. De taille moyenne (26,77 places en 1996), leur création ne nécessite pas obligatoirement la construction d’un bâtiment spécifique. Un simple réaménagement d’un logement, d’une maison ou d’un local commercial préexistant suffit. Le coût d’investissement nécessaire est donc similaire à celui des crèches d’appartement, mais à la différence de ces dernières, elles permettent de créer une offre complète de garde collective avec moitié moins de besoins et de moyens. Là où il fallait financer une halte-garderie et une crèche, soit une quarantaine de places dans deux locaux différents, pour pouvoir proposer au public une garde à temps complet et une autre à temps partiel, les structures mixtes permettent de dispenser une gamme de services similaire dans un seul et même local tout en la limitant, si l’on veut, à une vingtaine de places seulement ; la proportion entre les différents types d’accueil pouvant, en outre, être modulée à loisir.

De fait, les équipements mixtes autorisent une nouvelle réduction des coûts d’investissement et de fonctionnement, ce qui explique en partie leur succès. Depuis 1985, près de la moitié des structures créées (44,44%), était des établissements à vocation multiple et 39 établissements préexistants ont aussi été transformés en équipements multi-accueils. Ce nouveau type de structures représente aujourd’hui 37,54% du nombre total des équipements collectifs du Rhône426.

L’essor de cette nouvelle forme d’accueil ne peut toutefois être réduit à un simple calcul économique. Il correspond également à un effort d’adaptation aux nouveaux besoins de garde et, plus particulièrement, à ceux résultant des nouvelles réalités de l’emploi féminin. ‘« Au moment où le travail précaire se répandait, les femmes concernées ne pouvaient plus aller en crèche, car elles ne pouvaient pas justifier d’un travail permanent. Aller en haltes-garderies n’était pas non plus possible. Ces structures ne pouvaient pas prendre en charge les enfants toute la journée, même si ce n’était que quelques jours par semaine (...) » ’ 427 .

Dans ce processus, les Centres Sociaux ont joué un rôle central, du moins dans ce département. Ce sont leurs haltes-garderies, en effet, qui ont été les premières à diversifier les services qu’elles proposaient. ‘« Face à la rigidité de l’offre, les Centres Sociaux ont été dans les premiers à réagir. (...) Dès 1976, les haltes-garderies des Centres Sociaux ont créé des places de garde permanente. Les repas de midi furent tout d’abord assurés de façon non réglementaire. Ils étaient amenés par les parents et réchauffés sur place ou bien entièrement réalisés dans le lieu (...). Au début des années 1980, la CAF a décidé de financer ce type d’accueil. Elle a subventionné ces repas au même titre que ceux délivrés dans les crèches. Toutefois, la PMI n’était pas d’accord, car les normes réglementaires n’étaient pas respectées. (...) Un travail de concertation entre les différentes parties s’est tenu à travers le COPER (Conseil pour la Petite Enfance du Rhône) et, en 1988, une réglementation purement départementale428 a été mise en place »’ 429.

Parmi les 39 établissements préexistants qui ont été transformés en structures mixtes, la plupart était donc des haltes-garderies, intégrées ou non d’ailleurs à un Centre Social. Il s’agissait également, mais dans une moindre mesure, d’anciennes mini-crèches et d’anciennes crèches parentales. Cette origine est non seulement valable pour le département du Rhône, mais aussi pour l’ensemble de la France430. Ces structures étaient très majoritairement associatives (82,05% des cas dans le Rhône) et l’on peut penser que cela n’a pas été sans incidence sur leur capacité à évoluer. Leur mode de gestion et leur taille réduite semblent avoir facilité les échanges entre utilisateurs, professionnelles et gestionnaires. Cette relative porosité entre les contraintes et les attentes des uns et des autres a clairement favorisé l’émergence précoce de solutions innovantes aux nouveaux besoins de garde, même si la pratique devait pour cela précéder le droit.

Les grandes crèches collectives municipales ont relativement peu participé à cette évolution. Seules quatre d’entre elles ont été pour l’instant transformées en structures mixtes. Nous pouvons même dire plus globalement, qu’elles sont restées relativement rétives au changement jusqu’à une période très récente. ‘« Ce n’est que depuis le milieu des années 1990, que certaines d’entre elles commencent à accepter les appels en urgence pour garder un enfant dont la mère vient de trouver une mission d’intérim ou de décrocher un stage. (...) »’ 431. Leur évolution est donc tardive et encore très timide. Elle répond, en outre, à des raisons sensiblement différentes de celles qui ont présidé à la transformation précoce des petites structures associatives. ‘« Elles n’évoluent que maintenant parce qu’elles ne sont plus dans la situation d’il y a dix ans, où elles avaient des listes d’attente phénoménales et où si un enfant partait, elles étaient sûres de le remplacer en moins d’une semaine. Du fait, du développement des modes de garde et des congés parentaux, elles n’arrivent plus toujours à remplir (...). Si elles ne veulent pas risquer de se trouver un jour en difficulté, elles doivent s’adapter et offrir de nouveaux services : appel en urgence, temps partiel, (...) »’ 432.

C’est bien la saturation du marché, l’excédent d’offre par rapport à la demande et, à travers cela, la concurrence entre les modes de garde, qui conduit les grandes crèches comme plus globalement d’ailleurs l’ensemble des modes de garde à évoluer aujourd’hui. Somme toute, si la transformation des structures collectives, engagée depuis le milieu des années 1970, se poursuit toujours aujourd’hui, le moteur de cette évolution a néanmoins radicalement changé au cours du temps. Face à la rareté d’une offre adaptée, l’innovation sociale dans le sens sociologique du terme433 semble avoir été au centre des mutations. Aujourd’hui en revanche, où la situation s’est inversée, où l’offre semble légèrement excédentaire à la demande du moins à l’échelle départementale, c’est davantage la concurrence entre modes de garde, la peur de « ne plus remplir », voire d’être obligé un jour de fermer qui guide et attise ce même mouvement de diversification et d’assouplissement.

Notes
424.

p. 299, Honegger D., Collet J.P., Franc X. et le groupe de recherche Epicrèche, 1992.

425.

APER, 1996 et 1997-b.

426.

Source : Service Santé Prévention, 1998.

427.

Mme Rat-Patron, déléguée de la fédération des centres sociaux du Rhône.

428.

Normes concernant les équipements mixtes du Rhône – Décision du COPER du 11 mai 1988.

429.

Mme Rat-Patron, fédération des centres sociaux.

430.

p. 121, Lequet D., 1993.

431.

Mme Rosnoblet – CAF Lyon.

432.

Mme Rosnoblet – CAF Lyon.

433.

Chambon J.L., David A. et Devevey J.M., 1982.