2.2.3 Les aides à l’emploi et la compression des frais de fonctionnement

Le dernier facteur a avoir rendu possible l’essor des modes de gardes collectifs a sans nul douté été l’apparition et le développement des aides à l’emploi ; contrats aidés (Contrat Emploi Solidarité – CES – et Contrat Emploi Consolidé – CEC -) et, plus récemment, exonérations de charges sociales (sur les bas salaires et sur le temps partiel), toute aide dont les structures de garde sont grandes consommatrices. Ces mesures ont permis une très forte réduction des charges de personnel et à travers cela de fonctionnement, tant il est vrai que les salaires sont le principal poste de dépense de ces structures. En 1993, ils représentaient, en moyenne nationale, 89,1% du budget d’une structure municipale et 80% dans celui d’une structure associative434.

Les structures de garde collectives ne sont pas totalement libres en matière d’embauche, ce qui se conçoit aisément. Elles doivent respecter certaines obligations légales afin de garantir un certain niveau d’accueil pour les enfants. Les crèches et les établissements mixtes doivent être obligatoirement dirigées par une infirmière puéricultrice ou un médecin ou encore, sur dérogation, par une sage-femme ou une infirmière. Le taux d’encadrement est d’une personne pour 6 enfants et la moitié au moins du personnel doit être qualifiée (éducatrice jeunes enfants, auxiliaire puéricultrice, etc.). Les crèches parentales peuvent quelque peu déroger à cette règle. Elles sont susceptibles d’être dirigées par une éducatrice jeunes enfants, tout comme les haltes-garderies. Pour ces dernières, enfin, le taux d’encadrement n’est que d’un adulte pour dix enfants435.

Outre ces prescriptions légales, il existe également une convention collective436, comme dans bien d’autres secteurs d’activité. Celle en vigueur dans cette branche fixe un niveau de rémunération pour les différentes catégories de personnel en fonction de leur qualification et de leur ancienneté. Ce salaire conventionnel est, fort heureusement, supérieur au SMIC. La convention détermine aussi le temps de travail hebdomadaire : 37h30 en 1995 soit une heure trente de moins que le maximum légal (39 heures). Elle octroie, enfin, le bénéfice d’un treizième mois à l’ensemble du personnel.

En dernier lieu, comme nous l’avons précisé plus haut, le service Santé - Prévention du Rhône437, la CAF aussi et dans une moindre mesure les parents font également pression pour que les modes de garde collectifs embauchent des éducatrices jeunes enfants, même si elles n’y sont pas légalement obligées.

Si l’ensemble de ces contraintes légales et conventionnelles, ainsi que les souhaits des organismes supra-locaux quant à l’embauche préférentielle d’EJE étaient appliqués, le coût de la main-d’oeuvre pourrait s’élever, en dehors de tous systèmes d’aide, de 28.000 à 48.000 F par an et par enfant selon le type de structure.

C’est ce que nous montre le tableau ci-dessous. Il nous présente un extrait du budget de fonctionnement type438 proposé par l’APER, et au-delà par la CAF et le service Santé – Prévention du département, pour les haltes-garderies et les crèches. Nous pouvons ainsi percevoir l’organisation du personnel souhaité par ces différentes institutions et le coût que cela représenterait si elle était appliqué stricto sensu.

Tableau 31 : Charges de personnel en 1995 dans une crèche et une halte-garderie sans utilisation des aides publiques
Poste Nombre Valeur du point (1) Indice (2) Charges patronales Nombre de mois Total annuel
Haltes-garderies de 18 places
Educatrice jeune enfant 1 31,48 287 1,45 13 170.305,23
Auxiliaire puéricultrice 1 31,48 230 1,45 13 136.481,54
Agent non qualifié 1,5 31,48 220 1,45 13 195.821,34
Total annuel (soit 86,71% du budget annuel total) 502.608,11
Soit par an et par enfant 27.922,67
Crèche collective de 20 places
Infirmière puéricultrice 1 31,48 317 1,45 13 188.107,17
Educatrice jeune enfant 1 31,48 287 1,45 13 170.305,23
Auxiliaire puéricultrice 3 31,48 230 1,45 13 409.444,62
Agent non qualifié 1,5 31,48 220 1,45 13 195.821,34
Total annuel (soit 85,45% du budget annuel total) 963.678,35
Soit par an et par enfant 48.183,92
(1) au 1° septembre 1995(2) sans ancienneté, sauf pour les EJE (1 an d’ancienneté)

Dans les faits, les structures collectives supportent rarement de tels coûts salariaux. Les services départementaux de protection de l’enfance doivent d’une part, ‘« toujours se battre avec le gestionnaire pour obtenir le taux d’encadrement légal »’ 439 et d’autre part, les modes de garde ont un usage très fréquent des différentes aides publiques en matière d’emploi, ce qui réduit d’autant leur dépense en la matière.

Depuis, les pactes pour l’emploi lancés en 1977 par le premier ministre de l’époque, R. Barre, les mesures permettant d’alléger le coût de la main-d’oeuvre se sont multipliées. D’exonération de cotisations sociales en prise en charge plus ou moins importante du salaire (TUC, puis CES), les modes de garde ont pu très souvent bénéficier de ces différentes politiques dîtes « d’emploi » et diminuer d’autant leurs charges de personnel.

Aujourd’hui, elles peuvent avoir recours à quatre grandes aides différentes ; la première étant la plus ancienne et la plus fréquemment utilisée.

  1. Avec les Contrats Emploi Solidarité (CES), qui ont prolongé en le modifiant le dispositif des TUC (Travaux d’Utilité Collective) lancé en 1984, les collectivités locales et les associations, en l’occurrence donc les gestionnaires des modes de garde, peuvent employer des personnes à mi-temps et pour une durée de 3 à 12 mois, en étant exonérées de charges patronales (sauf l’assurance chômage), de la taxe sur les salaires, de la taxe d’apprentissage et de la participation due à la formation professionnelle et à l’effort de construction.
    En outre, de 65% à 85%, du salaire des CES est pris en charge par l’Etat440.

  2. Les Contrats Emploi Consolidé (CEC) permettent à ces même organismes d’employer des personnes à trois-quarts temps minimum, soit pour une durée indéterminée, soit pour une période de 12 à 60 mois.
    Durant les cinq premières années, ils sont exonérés de charges dans les mêmes conditions qu’avec un CES et l’Etat rembourse toujours une partie du salaire, mais de façon dégressive : de 60% la première année à 20% la cinquième année. Au-delà, l’employeur doit supporter entièrement la charge du salarié.
    De fait, les structures de garde emploient bien moins de CEC que de CES et, généralement, toujours pour des contrats à durée déterminée.
    D’après les témoignages que nous avons pu recueillir les quelques CEC employés sont généralement d’anciens CES engagés dans une formation ayant à voir avec la petite enfance (auxiliaire puéricultrice ou EJE).

  3. Les structures de garde peuvent également bénéficier de l’abattement forfaitaire de charges sur le temps partiel. Cette mesure ne concerne toutefois que les modes de garde associatifs. Les collectivités locales en sont exclues.
    Depuis 1994, la même loi441, qui avait prévu l’exonération de charges pour l’emploi de domestiques, a instauré en effet, une réduction de 30% des cotisations patronales dues au titre des assurances sociales, des accidents du travail et des prestations familiales (sauf l’assurance chômage et la retraite complémentaire) pour les contrats de travail à temps partiel et à durée indéterminée.

  4. Ce dernier abattement est cumulable avec une autre disposition, celle concernant la réduction de charges sur les bas salaires.
    Les cotisations patronales des salariés du secteur privé (ce qui concerne les associations) dont le salaire est inférieur à 1,3 SMIC bénéficient d’une nouvelle réduction. D’un montant maximum de 1.237,09 F en 1998, cette réduction est d’autant plus importante que le salaire est bas442.

Tout en restant en stricte conformité d’avec la loi et la convention collective, voire avec les souhaits de la PMI et de la CAF, l’utilisation de ces différentes possibilités peut permettre un allégement substantiel des charges de personnel. En embauchant des CES au lieu d’agents non qualifiés, une structure peut réduire de manière importante ses coûts salariaux. En faisant travailler à temps partiel les infirmières puéricultrices, les EJE et les auxiliaires, elle pourra également bénéficier de l’abattement sur les cotisations patronales prévues en ce cas. Enfin en payant au minimum conventionnel les auxiliaires, elle pourra même avoir droit à l’abattement complémentaire sur les bas salaires.

Tableau 32 : Charges de personnel dans une crèche et une halte-garderie avec une utilisation maximale des aides publiques
Poste Nombre Salaires horaires Nombre de mois salaires annuels Charges patronales Total annuel
Halte-garderie de 18 places
Educatrice jeune enfant 2 mi-temps 53,46 13 117.451,88 52.853.35 170.305,23
      Abattement de 30% de certaines cotisations patronales pour temps partiel -10.570,67
Auxiliaire puéricultrice 2 mi-temps 42,84 13 94.125,20 42.356,34 136.481,54
      Abattement de 30% de certaines cotisations patronales pour temps partiel -8.471,27
      Abattement supplémentaire de charges pour bas salaires -2.044,91
         * Salaire brut annuel : 94.125.2
         * SMIC au 1/7/95 : 36,98 F de l’heure soit 74.995.44
         * SMIC + 30% : 97.494,07
         * Salaire des auxiliaires est compris entre le SMIC et 130% du SMIC
         * D’où réduction de charges équivalente à
            (1,3 SMIC – Salaire soumis à cotisation) X 0,607
CES 3 mi-temps 36,98 12 112.493,16 50.621,92 163.115,08
      Abattement de certaines cotisations patronales -38.652,65
      Remboursement à 65% du salaire brut par l’Etat -73.120,55
Total annuel 337.041,80
Soit par an et par enfant 18.724,54
Crèche collective de 20 places
Infirmière puéricultrice 2 mi-temps 59,05 13 129.729,08 58.378,09 188.107,17
      Abattement de 30% de certaines cotisations patronales pour temps partiel -11.675,62
Educatrice jeune enfant 2 mi-temps 53,46 13 117.451,88 52.853.35 170.305,23
      Abattement de 30% de certaines cotisations patronales pour temps partiel -10.570,67
Auxiliaire puéricultrice 6 mi-temps 42,84 13 282.375,60 127.069,02 409.444,62
      Abattement de 30% de certaines cotisations patronales pour temps partiel -25.413,80
      Abattement supplémentaire de charges pour bas salaires -6.134,71
         * Salaire brut annuel : 94.125,20 (plein temps pour une personne)
         * SMIC au 1/7/95 : 36,98 F de l’heure soit 74.995.44
         * SMIC + 30% : 97.494,07
         * Salaire des auxiliaires est compris entre le SMIC et 130% du SMIC
         * D’où réduction de charges équivalente à
            (1,3 SMIC – Salaire soumis à cotisation) X 0,607
CES 3 mi-temps 36,98 12 112.493,16 50.621,92 163.115,08
      Abattement de certaines cotisations patronales -38.652,65
      Remboursement à 65% du salaire brut par l’Etat -73.120,55
Total annuel 765.404,10
Soit par an et par enfant 38.270,21

En francs constants (1995) et organisation du personnel équivalente (proportion et type de salariées qualifiées), le tableau ci-dessus nous montre que ce système d’aide autorise une réduction des charges de personnel de 9.198,13 F par an et par enfant, soit 32,94% dans les haltes-garderies et de 9.913,72 F par an et par enfant, soit 20,57% dans les crèches, ce qui est très loin d’être négligeable.

Certes, tous les modes de garde n’utilisent pas au maximum de leurs possibilités les aides à l’emploi. D’après les observations que nous avons pu faire et les témoignages recueillis, il semble que les structures municipales les utilisent moins que les structures associatives et les établissements anciens moins que les récents. Il apparaît cependant que la majeure partie y a recours et que ces systèmes d’aide autorisent parfois bien plus qu’une simple réduction des coûts salariaux. Dans certains cas, elles sont une condition nécessaire au fonctionnement même du mode de garde. C’est ce que souligne les quelques exemples présentés ci-dessous.

Les aides à l’emploi et plus particulièrement les contrats aidés ont permis, en définitive, une importante réduction des frais de fonctionnement des structures de garde collectives. Ils ont contribué, en cela, à leur ample développement. Sans eux nombre d’établissements ne pourraient pas fonctionner. Ceci évidemment n’est pas sans poser certains problèmes, car cela signifie que les CES peuvent occuper de véritables postes de travail, ce qui n’est pas admissible théoriquement.

De fait, le service Santé – Prévention qui a en charge le contrôle de la qualification du personnel, tente constamment d’arbitrer cette tension entre réalité économique et objectif pédagogique, entre nécessité de recourir à ces emplois précaires et ambition d’améliorer toujours plus la garde des enfants. ‘« On a été très vigilant sur le nombre de CES par structure en tentant de faire admettre qu’il n’en fallait pas plus de un ou deux par demi-journée suivant la taille de la structure (...). Les gestionnaires ont plus ou moins suivis nos recommandations car tant qu’ils restent dans le cadre légal sur le taux d’encadrement et la proportion de personnel qualifié, on ne peut pas faire grand chose. (...). Dans les structures municipales, il n’y a pas trop de problèmes, mais dans les structures associatives, surtout les récentes qui sont parfois montées avec très peu de moyens, la subvention municipale ne permet pas toujours d’équilibrer les comptes. Le recours aux CES permet de fait de réduire les coûts et de s’en sortir (...). Ce sont les structures associatives, surtout les parentales qui utilisent le plus les CES (...). Mais les choses changent aujourd’hui, car après avoir incité les associations à en prendre, la DDTE fait maintenant la chasse au suremploi des CES. Elle n’autorise plus leur embauche s’ils occupent un véritable poste de travail »’ 449.

Notes
434.

CNAF, 1996.

435.

APER, 1995-b.

436.

Convention collective SNAECSO.

437.

Dr Honegger – Service Santé Prévention : « les EJE ne sont pas obligatoires dans les crèches mais nous, on conseille leur embauche ».

438.

APER, 1995-b.

439.

Dr Honegger – Service Santé Prévention.

440.

Loi n°89-905 du 19/12/89, loi quinquennale n°93-1313 du 20/12/93, loi n°98-657 du 29/7/98, décret n°94-265 du 5/4/94, décret n°95-321 du 23/3/95, décret n°98-1108 du 9/12/98.

441.

loi quinquennale n°93-1446 du 31/12/93.

442.

Code de la sécurité sociale Art. L. 241-13, Loi quinquennale du 20/12/93, loi de finances pour 1998, article 115, loi de finances pour 1999, articule 132, décret du 20/09/96 et du 31/12/97.

443.

Mme Fargeix, responsable du service social et scolaire du District Urbain de Villefranche-sur-Saône.

444.

M le Maire de Villié-Morgon.

445.

Mme Moulin, adjointe au maire de Poleymieux-au-Mont-d’Or.

446.

M. Prothière, responsable du centre socioculturel de Saint-Symphorien-sur-Coise.

447.

Source : Le chat Perché 1995 – commission personnel.

448.

Mme T. Rosell, membre de l’ACEP – association des collectifs enfants – parents – professionnels, fédération nationale des crèches parentales.

449.

Dr Honegger, Service Santé – Prévention.