3.2 Un mécanisme de correspondance entre classe d’objets et classe d’utilités

L’offre de garde aujourd’hui disponible sur le département du Rhône ne se réduit pas à ces structures. Pour cerner la manière dont l’ensemble de l’offre s’ordonnance au niveau territorial, pour envisager la façon dont les différents modes de garde se combinent pour répondre aux besoins d’un bout à l’autre du département, il nous faut également prendre en compte les modes de garde individuels ainsi que les établissements pour lesquelles nous ne disposons pas de la date de premier agrément.

Nous utiliserons donc l’ensemble du fichier du service Santé - Prévention du Rhône pour l’année 1996. Ceci nous fait un ensemble de 12.972 assistantes maternelles et 332 structures de garde, tous types confondus.

Tableau 35 : Dispersion des modes de garde du Rhône en 1996
Nombre Moyenne / commune Ecart type relatif
Crèches collectives 94 0,32 0,54
Structures à vocation multiple 120 0,41 0,38
Haltes-garderies 118 0,40 0,23
Assistantes maternelles 12.972 46 0,23
Source : Service Santé - Prévention du Rhône, 1997

En calculant les écarts types relatifs (tableau ci-dessus), nous pouvons constater en premier lieu, que le degré de dispersion des différents modes de garde est extrêmement variable. En matière de structures collectives, les crèches sont deux fois plus concentrées (ETR 0,54) que les haltes-garderies (ETR 0,23). Les équipements mixtes sont dans une situation intermédiaire (ETR 0,38). Les assistantes maternelles enfin, sont tout aussi dispersées que les haltes-garderies, mais leur nombre étant beaucoup plus important, elles couvrent un territoire beaucoup plus vaste.

C’est ce que nous montrent les 4 cartes de la page suivante.

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Carte 52 : Les crêches dans le Rhône en 1996.
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Carte 53 : Les structures à vocation multiples dans le Rhône en 1996.
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Carte 54 : Les haltes-garderies dans le Rhône en 1996.
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Carte 55 : Les assistantes maternelles dans le Rhône en 1996.

Comme nous pouvons l’observer, les différents modes de garde s’agencent de telle sorte que l’offre de service est aujourd’hui présente sur tout le territoire départemental, quoi que selon des formes très différentes d’un endroit à l’autre. Les crèches restent toujours concentrées dans les agglomérations, tandis que les assistantes maternelles sont présentent dans la quasi-totalité des communes, plus ou moins proportionnellement à leur population.

Nous sommes donc très loin d’assister à une homogénéisation de l’offre sur l’ensemble du département. Dans les secteurs périurbains et ruraux, celle-ci est essentiellement composée d’assistantes maternelles, alors que dans les agglomérations, dans le coeur de la métropole notamment, l’ensemble des modes de garde coexistent. Chaque mode de garde s’ordonnance en fait selon une configuration spécifique sans qu’il y ait pour autant de partition territoriale : les différents modes de garde ne tendent pas à occuper un espace ou un type de commune plus ou moins exclusif.

Somme toute, faire garder son enfant par des tiers est désormais possible dans la quasi-totalité des communes du Rhône, alors que ce service était autrefois essentiellement concentré dans les agglomérations y compris pour les assistantes maternelles455.

Bien plus encore, car même si les structures collectives ne sont pas présentes dans toutes les communes, la plupart des familles disposent malgré tout d’un certain choix entre garde individuelle et garde collective. En effet, 31,40% des communes sont désormais équipées d’un mode de garde collectif, soit 94,44% des cantons. Cela signifie en d’autres termes, que dans la majeure partie des cas, lorsqu’on ne dispose pas d’un établissement collectif dans sa commune de résidence, il en existe un non loin de là. Seuls deux cantons ruraux extrêmement enclavés au nord du département (celui de Monsols et de La-Mure-sur-Azergue) en sont totalement dépourvus.

Toute l’incidence territoriale de la diffusion des services par la hiérarchie urbaine nous apparaît ici. Certes la plupart des structures de garde se sont propagées dans le prolongement direct de l’agglomération lyonnaise, mais la minorité qui a emprunté la voie hiérarchique pour aller s’implanter dans des bourgs ou dans des petites villes isolées, a permis ipso facto à toutes les communes environnantes d’en bénéficier. Les entretiens que nous avons réalisé dans ces communes-centres confirment d’ailleurs cette assertion. Ils montrent que les structures de garde sont utilisées ici non seulement par la population locale mais aussi par celles des communes alentours.

Le second élément, que montrent clairement les cartes ci-dessus, est que la diffusion des structures de garde collectives n’a pas été une simple reproduction à l’identique d’un type de service sur une aire élargie. Elle s’est effectuée selon un mécanisme de transposition ou de correspondance pour reprendre la terminologie de T. Hägerstrand.

Les trois cartes des crèches, des équipements mixtes et des haltes-garderies illustrent en effet, la dimension spatiale de la transformation des modes de fonctionnement de ces structures : réduction des coûts d’investissement et de fonctionnement, développement d’établissements polyvalents, en appartement et à capacité réduite, etc. Ces évolutions n’ont pas seulement permis d’augmenter le nombre de places proposées et d’adapter l’offre aux réalités de l’emploi féminin. Elles ont aussi autorisé la diffusion spatiale de ces établissements : l’invention des structures d’appartement à compter des années 1970 a permis aux crèches de se déconcentrer quelque peu ; l’essor des équipements mixtes à partir des années 1980 a autorisé une extension supplémentaire ; enfin, les haltes-garderies, forme la plus économique, ont pu se propager à des distances encore plus importantes des agglomérations.

Somme toute, la diffusion des modes de garde n’est pas une simple reproduction à l’identique d’un service donné sur une zone considérée. Il ne s’agit pas d’une simple banalisation.

Qui dit diffusion, dit que le service en question était autrefois concentré dans un lieu donné pour qui et par qui il avait été conçu. En matière de modes de garde et plus globalement de services aux ménages, cet environnement initial était généralement une grande agglomération : c’est-à-dire un système socio-spatial doté d’un certain poids démographique, donc de besoins relativement importants, et d’une certaine capacité technique, politique et économique lui permettant de répondre à cette demande.

Or la diffusion du service dans des environnements de moindre importance (agglomérations de niveau subalterne, communes de banlieue ou même périurbaines) implique nécessairement une baisse notable des besoins et de la capacité des prestataires potentiels à les satisfaire. Les déterminants et les principes sur lesquels et par rapport auxquels le service a été conçu initialement, sont de fait fondamentalement remis en cause. Pour qu’il puisse se diffuser, il faudra obligatoirement l’adapter aux réalités de son nouvel environnement : au volume et à la nature des besoins ainsi qu’aux possibilités des prestataires potentiels.

Nous voyons en cela, qu’un processus de diffusion n’est pas uniquement un phénomène spatial. Il s’agit aussi et surtout d’un processus social mobilisant au moins une double créativité : celle initiale qui a forgé le service ou qui a conçu une de ses transformations ultérieures pour et par un système socio-spatial donné ; et celle qui l’a adapté aux besoins et aux possibilités d’un autre système socio-spatial.

Les modes de garde sont à cet égard un très bon exemple. La plupart des transformations enregistrées par les structures collectives ont été imaginées en effet, en fonction d’objectifs et dans des modes de raisonnement parfaitement étrangers aux questions de diffusion.

La diffusion des modes de garde s’est pourtant appuyée sur ces différentes innovations et sur ces différentes mesures. Les acteurs qui ont porté ce processus spatial, ont de fait, mobilisé et instrumentalisé ce qui avait été conçu ailleurs et à d’autres fins pour réussir à développer concrètement ces structures dans des communes de plus en plus petites.

La diffusion d’un service ne résulte donc pas nécessairement d’une décision unique prise à cet effet. Elle procède bien souvent d’un processus complexe mettant en jeu des rationalités et des finalités très différentes, tel que Lucien Sfez a pu brillamment en faire état456. Nous pourrions dire pour revenir à la théorie de la diffusion de T. Hägerstrand qu’elle repose sur un mécanisme de correspondance entre classe d’objets et classe d’utilités.

Notes
455.

Dr Dubouchet – service Santé – Prévention ; Mme Echallier Maire de Cogny ; M. X. Franc, ancien responsable de l’APER.

456.

Sfez L., 1992.