Sous trois égards, l’exemple des modes de garde est particulièrement représentatif d’une large part des services qui se sont diffusés ces dernières années à mesure du redéploiement du système socio-spatial lyonnais.
Comme nous l’avons vu, les modes de garde ont dû passablement se transformer pour réussir à se diffuser. Ils ont dû globalement devenir beaucoup plus polyvalents. Ceci est vrai pour les structures, mais se vérifie également pour les assistantes maternelles.
Alors qu’autrefois, un besoin donné (garder les enfants à temps complet par exemple) était satisfait par une offre donnée (une crèche ou une assistante maternelle), aujourd’hui un même prestataire est susceptible de satisfaire des besoins extrêmement différents. Cette polyvalence se retrouve un peu partout dans le département, mais constitue la règle en périphérie d’agglomération.
L’exemple de Poleymieux-au-mont-d’or est à ce propos particulièrement emblématique457. Dans cette toute petite commune de la périphérie lyonnaise, le faible nombre d’habitants (835 personnes en 1990) et la faiblesse tout aussi grande du nombre d’enfants de moins de 3 ans à garder (une vingtaine) ne permettaient pas a priori de créer des services collectifs. Par son profil sociologique (très forte sur-représentation de cadres supérieurs et de professions libérales), il se trouvait en outre que personne dans la commune n’était intéressé par le métier d’assistante maternelle.
Au début des années 1990, la situation était bloquée. La demande de garde ne pouvait pas être satisfaite localement. Les familles étaient tenues de recourir aux services proposés (assistantes maternelles ou équipements collectifs) dans les communes des alentours.
Loin d’être un simple problème domestique, la question devint rapidement d’ordre public et politique. Conséquence indirecte mais néanmoins nette, ceci provoqua en effet, une baisse continue des inscriptions à l’école maternelle et primaire de Poleymieux-au-mont-d’or. En 1988, sa fermeture fut même envisagée.
Après une rapide enquête, les édiles se rendirent compte qu’un certain nombre de familles scolarisait leur enfant dans la commune où il avait été gardé jusqu’à ses trois ans. A cause de leurs horaires de travail, les parents avaient toujours besoin d’un mode de garde en complément de l’école, avant et après la classe, ainsi que durant les vacances scolaires, et l’assistante maternelle qui s’en occupait auparavant (ou une autre) acceptait généralement de continuer à le garder. L’habitude étant prise, les grands frères et soeurs, scolarisés en primaire étaient ou restaient eux aussi inscrits hors de la commune.
Conscient du mécanisme qui conduisait inéluctablement à la fermeture de leur école et qui contribuait en cela au déclin de leur village, les élus municipaux créèrent en réponse une structure pour le moins innovante. Ils inventèrent un établissement à agréments multiples : tout à la fois halte-garderie, garderie périscolaire, restaurant scolaire et centre de loisir sans hébergement. Ce nouveau mode de garde peut accueillir 12 enfants de moins de 3 ans simultanément, non pas seulement à temps partiel mais à temps complet. A midi, ces derniers passent (le mot est fort car ils changent de pièce) de la halte-garderie au restaurant scolaire et changent ainsi officiellement de structures. La garderie périscolaire peut accueillir quant à elle jusqu’à 35 enfants de 3 à 12 ans selon les jours. La cantine enfin, nourrit chaque jour près de 70 enfants d’âges préscolaires et scolaires.
Dès son ouverture, le nombre d’enfants inscrits dans l’école ré-augmenta. Il est même envisagé aujourd’hui d’ouvrir une nouvelle classe.
Somme toute, cet exemple est particulièrement emblématique, même s’il est extrême quant à la nécessité de la polyvalence pour développer une offre de service dans des communes de taille réduite.
Cette polyvalence permet de compenser les déséconomies d’échelle, car dans ces petites communes, chaque type de demande est relativement faible au plan quantitatif. Il ne peut donc être question de développer un service particulier pour chacune d’elle. Les coûts seraient bien trop importants. En créant un service susceptible de les satisfaire toutes ou presque, le prestataire – individuel ou collectif - réussit en somme, à regrouper des demandes très différentes et à atteindre ainsi, bon an, mal an, un seuil critique lui permettant de fonctionner458. C’est ce que font les équipements mixtes, ainsi que les haltes-garderies qui sur ces périphéries urbaines accueillent toute sorte de demande : garde en urgence, garde épisodique et même garde périscolaire pour les maternelles durant les vacances et les mercredis. C’est ce que font aussi les assistantes maternelles qui dans ces petites communes plus qu’ailleurs sont tenues d’accepter les demandes quelles qu’elles soient sous peine d’être au chômage.
De fait, les modes de garde ne sont pas les seuls services aux ménages à devoir devenir plus polyvalent pour pouvoir se diffuser. La diffusion de la plupart des services publics et parapublics s’est opérée selon ce même principe.
Le Conseil Général pour améliorer sa présence sur l’ensemble du territoire, dans le cadre de sa politique d’accessibilité des services publics, a créé un réseau de maisons du département (MDR) implantées dans chaque canton. Chacune d’elle regroupe l’ensemble des services départementaux, mais cela ne signifie nullement que des spécialistes en chaque domaine soient représentés. C’est un seul et même médecin vacataire qui assure par exemple l’ensemble des missions qui ont été dévolues au Conseil Général depuis la décentralisation en matière de santé et de prévention.
La diffusion de maisons de l’emploi que nous avons également souligné dans le chapitre 4 s’effectue en vertu de ce même principe. Chacune d’elles regroupe des antennes de l’ANPE, de la PAIO et de la Permanence Agricole qui sont en fait généralement tenues par une seule et même personne.
Le dernier exemple que nous pourrions prendre est évidemment la diffusion d’établissements scolaires. Le cas de Belleville-sur-Saône est ici une parfaite illustration. Son ancien lycée professionnel a été agrandi au milieu des années 1990 pour devenir un lycée tout à la fois général, technologique et professionnel.
Dans tous ces cas, la polyvalence permet de compenser les économies d’échelles qui étaient autrefois réalisées grâce à la centralisation et à la concentration : grâce au développement de services très spécialisés en quelques lieux seulement.
Entretien avec Mme Moulin, adjointe au maire de Poleymieux-au-Mont-d’Or.
En matière de garde collective, ce seuil est globalement d’une douzaine de places. En matière de garde individuelle, il est d’environ 3 enfants à plein temps, niveau qui permet à l’assistante maternelle de tirer un revenu à peu près « satisfaisant » de son activité (Mme Baron – ADAMAR).