L’exemple des modes de garde nous permet en dernier lieu d’affiner notre compréhension du fonctionnement socio-territorial de la métapole lyonnaise.
Comme l’ensemble de la sphère de la reproduction sociale simple publique mais aussi privée, la diffusion de ces services a contribué au renforcement fonctionnel et surtout territorial des centres secondaires.
Sur un plan strictement économique, ceci a permis à des villages, à des bourgs et à des petites villes, parfois mis à mal par les mutations industrielles, de trouver de nouvelles sources d’emplois, très limités cependant au plan numérique.
Sur un plan plus territorial, l’incidence est beaucoup plus nette. Que ces bourgs et ces petites villes aient réussi ou non à maintenir leurs activités traditionnelles de ville-marché dans la sphère de la production agricole ou de centre de production concrète dans la division spatiale du travail industriel, le fait qu’ils aient bénéficié d’un développement de services à la population leur a permis de maintenir et de renforcer leur position centrale par rapport à leur environnement immédiat. Toute l’importance de la diffusion par voie hiérarchique apparaît ici. Certes en matière de garde d’enfants, c’est une minorité de structures collectives qui a suivi ce cheminement. Cependant, ceci a permis en premier lieu à ces chefs-lieux de conserver un niveau de service plus élaboré que dans le reste de leur canton. En second lieu, ces nouvelles structures sont utilisées par toute la population environnante. Nous pouvons dire en définitive, que cette diffusion a contribué de fait à les confirmer en tant que place centrale à l’échelle locale.
Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que cette diffusion de services a clairement contribué à maintenir une proximité spatiale optimale entre utilisateur et prestataire. A l’heure où la mobilité quotidienne tend à apparaître comme le principe exclusif d’organisation urbaine, cet élément est remarquable. Alors que l’étalement urbain s’accompagne d’ordinaire d’une segmentation accrue entre fonctions, alors que les évolutions économiques tendraient plutôt à la concentration et à la spécialisation, l’évolution des modes de garde et plus globalement des services de base aux ménages nous montre un modèle singulier fait de diffusion, de polyvalence et de rapprochement.
En dépit des tendances générales pointées dans la première partie de cette thèse, la proximité spatiale reste manifestement le principe fondamental d’organisation de la reproduction sociale simple.
Si le principe général d’organisation de la métapole est bien la mobilité, cela n’induit donc pas pour autant une disparition totale du principe de proximité. En l’occurrence, il semble qu’il y ait eu en la matière bien plus inversion que substitution radicale. Alors qu’hier la proximité prévalait entre emploi et domicile, et la mobilité entre domicile et services, nous sommes aujourd’hui dans la situation inverse. Il est vrai qu’entre temps, le travail est devenu suffisamment précaire et rare pour que l’on n'hésite pas à le conserver ou à le prendre, même s’il est loin de sa résidence.
Non seulement la proximité et la mobilité ne sont pas deux principes d’organisation urbaine antinomiques, mais ils sont même étroitement liés. En effet, le maintien d’une proximité spatiale optimale entre usagers et services peut être également interprété comme une conséquence directe de la montée de la mobilité quotidienne.
Comme le note fort justement le secrétaire général de la mairie de Belleville-sur-Saône461, ‘« les gens ne peuvent pas toujours se déplacer très loin pour accéder à des services. (...) Ils n’en ont plus le temps »’. L’essor du temps passé dans les transports, évolution qui concerne d’autant plus les populations périurbaines, fait naître des contraintes temporelles de plus en plus fortes, comme nous l’avons souligné dans le chapitre précédent. Le rapprochement de l’offre de services au plus près de la demande permet de fait aux usagers d’y accéder plus rapidement, voire parfois de pouvoir tout simplement y accéder. Sous cet angle, la diffusion des services ne nous apparaît plus seulement comme un ajustement spatial de l’offre au réordonnancement de la demande. Elle peut également être analysée comme une forme de compensation au moins partielle de la montée globale de la mobilité quotidienne. L’amplification des horaires d’ouverture des modes de garde collectifs, mais nous pourrions citer aussi le développement de garderies périscolaires, ne confirme-t-il pas cette impression ? Ne s’agit-il pas encore et toujours d’adapter les services aux contraintes temporelles des usagers et à travers cela aux conséquences de l’essor de la mobilité quotidienne ?
Si les modes de garde, comme l’ensemble de la sphère de la reproduction sociale simple font bien plus que s’adapter à une évolution géographique, s’ils font bien plus que pérenniser l’antique principe d’organisation urbaine, s’ils tendent à devenir un élément de compensation de la mobilité quotidienne, nous pouvons estimer en définitive que la proximité spatiale, elle-même, tend à devenir un élément de compensation de la mobilité spatiale.
Corollaire obligé, la diffusion spatiale des services de base aux ménages peut alors être considérée comme un facteur de sur-expansion de la ville. En effet, s’ils étaient restés concentrées dans les grandes agglomérations, leur accès aurait nécessité des déplacements supplémentaires. Les contraintes temporelles auraient donc été encore plus fortes. Or, leur diffusion a permis aux ménages de faire l’économie de ces trajets et d’allonger d’autant les distances entre lieu de résidence et lieu d’emploi par exemple.
M. Joos – Secrétaire général de la mairie de Belleville-sur-Saône.