1.3.1 La première tentative d’une politique contractuelle : les contrats crèches

Lancés en octobre 1983477, les contrats crèches lient une municipalité ou un groupement de communes avec la Caisse d’Allocations Familiales de son secteur pour une durée de 5 ans ; cette durée a été étendue par la suite à 7 ans. Ce contrat porte sur les places en crèche collective quelle que soit leur taille et leur mode de gestion (associative, municipale, parentale) ; ainsi que sur celles proposées par les crèches familiales478. L’objectif était d’inciter les communes à construire de nouvelles crèches, en contrepartie de quoi la CNAF s’engageait à accroître de façon significative sa participation financière dans le fonctionnement de ces structures. Outre un développement quantitatif, l’ambition était aussi d’utiliser cette procédure contractuelle pour homogénéiser la gestion financière de ces établissements et la qualité de l’accueil des enfants.

En pratique, la Caisse s’engageait à porter sa subvention de fonctionnement de 30% à 50% d’un coût de revient quotidien plafond (135 F par jour et par enfant) pour les places nouvellement créées et à augmenter de 4% par an sa participation sur les places préexistantes de manière à atteindre ce même niveau de 50% en cinq ans. La municipalité pour sa part devait arriver à satisfaire dans les cinq ans 40%479 des besoins locaux en mode de garde ou créer 50% de places de crèches supplémentaires ; l’objectif étant d’atteindre un niveau d’équipement de 74 places pour 10.000 habitants. Le gestionnaire devait également améliorer la gestion financière de ses structures. Il devait développer, d’une part, l’inscription en surnombre (25 inscrits pour 20 places par exemple) afin d’augmenter le taux de fréquentation des établissements. Il devait, d’autre part, revoir sa tarification afin que la participation des familles soit de l’ordre de 12% de leurs ressources mensuelles. Il devait enfin améliorer le service rendu aux usagers, en repensant notamment ses horaires d’ouverture.480

Grâce à ces contrats, la CNAF espérait créer 100.000 places de crèche en 5 ans sur l’ensemble du pays. La Caisse a eu beau augmenter les sommes allouées481, cette procédure n’eut pas le succès escompté. Moins d’un cinquième sera réalisé. Certes dans les communes sous contrat, ceci a permis d’accroître de 68% en moyenne le parc de places disponibles. Toutefois, le nombre de communes concernées est resté nettement en deçà de ce qui était envisagé : 149 contrats crèches seulement avaient été signés au 1° septembre 1987. En outre, 58 CAF, soit 47% des Caisses locales, n’avaient pas conclu le moindre contrat à la fin de cette même année482. Dans le Rhône enfin, seules trois communes (Chaponost, Saint-Cyr-au-Mont-d’Or et Champagne-au-Mont-d’Or) étaient en contrat crèche en 1996.

Cet échec relatif est dû, en partie, à l’attitude des Caisses locales mais sans doute aussi à une inadaptation de cette procédure aux attentes et besoins des municipalités.

D’après l’enquête menée par G. Hatchuel483, un certain nombre de Caisses locales n’ont pas réellement promu les contrats crèches et cela pour des raisons de capacité technique, mais aussi parfois pour des motifs stratégico-financiers. En effet, le financement de ces contrats ‘« relève de prestations de service, prestations [financées sur les fonds de la CNAF et] qui ne sont soumises à aucune limite budgétaire. L’autre partie du budget de la CNAF est [répartie] entre les différentes Caisses d’Allocations Familiales. Or, pour certaines, plus la part consacrée aux prestations de service est grande (...), plus celle attribuée aux Caisses d’Allocations Familiales se trouverait (...) réduite. Ainsi, certaines Caisses d’Allocations Familiales seraient-elles peu empressées (...) de promouvoir un produit dont le succès risquerait d’amputer les sommes qu’elles pourraient obtenir et gérer en totale autonomie »’ 484. L. Perrier abonde en ce sens en soulignant que certaines Caisses locales craignaient effectivement que le financement des contrats crèches n’ampute leur autonomie financière et, en cela, leur capacité à intervenir dans d’autres secteurs qui pourraient localement réclamer leur attention485. Mais le manque d’empressement de certaines Caisses à développer ces contrats ne se résume pas à ces questions internes de stratégie et de calcul économique. Il découle aussi et même davantage d’une difficulté à les promouvoir concrètement auprès des communes. Les Caisses locales ne possédaient en effet, d’expérience ni en matière de négociation, ni en matière d’évaluation des besoins. Or cette estimation de le demande était au centre de la procédure et pouvait donner lieu à des interprétations extrêmement différentes, donc à des négociations d’autant plus difficiles à mener.

Les directives nationales prévoyaient que les communes sous contrat devaient satisfaire, à terme, 40% des besoins. Pour définir ces derniers, il devait être tenu compte du taux d’activité féminin et du nombre d’enfants de moins de 3 ans. Mais ces quelques indications s’avérèrent pour le moins vagues quant il s’est agit de déterminer précisément le nombre de places à créer. Si par un pur calcul mathématique, quelques Caisses pouvaient tenter de déterminer qu’il fallait ouvrir des places à hauteur de 40% des enfants dont les deux parents travaillent486, les municipalités pouvaient donner une interprétation sensiblement différente de cette notion de besoin, en soulignant par exemple qu’il fallait déduire les cas de ceux qui étaient gardés par un autre membre de la famille ou ceux encore (les plus nombreux) qui étaient confiés à des assistantes maternelles libérales. Les Caisses locales manquaient en somme, de méthodes de détermination des besoins reconnus par l’ensemble des partenaires. Elles manquaient aussi de personnels qualifiés pour négocier les contrats et pour expliquer concrètement aux communes les avantages qu’elles auraient eu à souscrire dans leur cas spécifique un tel contrat. Or, les simulations des gains apportés par une procédure contractuelle étaient (et sont toujours du reste) une demande préalable systématique que les communes font avant de signer un quelconque engagement. La promotion des contrats crèches aurait nécessité une importante campagne d’information auprès des municipalités, mais par réticence sans doute et par incapacité surtout, ceci ne fut pas fait. Nombre de Caisses locales restèrent passives, se bornant à attendre d’éventuelles sollicitations. Cela explique d’ailleurs, qu’une part importante de ces contrats fut signée avec des communes qui étaient déjà en relation étroite avec les Caisses, notamment celles avec qui la CAF cogéraient déjà des structures.

Mais les raisons du peu de succès des contrats crèches ne sont pas entièrement, ni essentiellement d’ailleurs à chercher dans l’attitude des CAF. Il résulte aussi et même davantage encore d’une profonde inadaptation de cette procédure aux attentes et demandes des municipalités.

Les contrats crèches s’adressaient par nature aux communes les moins équipées mais qui avaient pourtant les moyens d’investir, car le coût de création de l’équipement n’était pas pris en compte. Cela excluait de fait les petites communes qui n’avaient pas la capacité de financer l’investissement de telles structures. Or ces petites communes auraient justement pu être de celles qui avaient le plus besoin d’aide pour développer des modes de garde. Les contrats crèches excluaient de fait une part non négligeable des communes487. De plus, leur catégorie cible, celles qui avaient tout à la fois peu de crèches et pourtant les moyens d’en créer (si ce n’est du moins de financer leur fonctionnement), étaient de celles qui ne souhaitaient pas ou qui hésitaient à s’engager dans ce secteur. La raison pouvait en être politique (refus des édiles de promouvoir la garde collective), démographique (faible nombre d’enfants) ou socio-économique (faible taux d’activité féminin) et le contrat crèche ne pouvait alors pas grand chose à l’affaire. Elle pouvait aussi être financière et, sur ce point, l’aide apportée par le contrat crèche pouvait paraître nettement insuffisante. En effet, ce dernier augmentait la subvention de fonctionnement versée par la CNAF de 30 à 50% mais par rapport à un coût de revient théorique. Or, la théorie était nettement inférieure à la réalité488. Pour bien des communes souscrire un contrat de ce type pouvait signifier, en définitive, des dépenses supplémentaires non seulement pour créer des crèches, mais aussi par la suite pour financer leur fonctionnement, sans que l’aide de la CAF ne réduise substantiellement leur contribution en la matière.

Au-delà d’une inadaptation aux attentes financières des communes, le contrat crèche possédait également une importante dimension normative qui pouvait être appréhendée par certains gestionnaires comme une tentative d’ingérence dans le fonctionnement de leur structure. Horaires d’ouverture, accueil d’enfants handicapés, réforme des barèmes et mensualisation de la participation des familles ; toutes ces réformes de fonctionnement portées par le contrat crèche pouvaient être et étaient bien souvent l’objet de craintes, comme une volonté d’uniformiser ces structures, voire de les étatiser489.

Enfin, cette procédure contractuelle ne s’intéressait qu’aux places de crèches, c’est-à-dire au placement à temps complet et donc aux enfants dont les deux parents travaillent à temps complet et à durée indéterminée. Elle ne prenait pas en compte les autres modes de garde, ni les autres types de demandes, qui se sont pourtant beaucoup développées au cours des années 1980490, comme nous l’avons vu dans le chapitre 5.

Notes
477.

Décision du conseil d’administration de la CNAF du 14 juin 1983.

478.

Voir annexe I, pour la définition des crèches familiales.

479.

par la suite, ce niveau sera descendu à 35%.

480.

CNAF, 1987-b.

481.

En 1986, 64 millions furent affectés et en 1987,105 millions (source : p. 390, Norvez A, 1990).

482.

p. 43, Hatchuel G., 1989.

483.

Hatchuel G., 1989.

484.

p. 80, Hatchuel G., 1989.

485.

Perrier L, 1987.

486.

Cas de la Caisse de Lyon notamment (Mme Rosnoblet – CAF de Lyon).

487.

Mme Rosnoblet – CAF de Lyon.

488.

De 25% à 40% selon les communes et les structures (p. 389, Norvez A., 1990).

489.

p. 81, Hatchuel G., 1989.

490.

Mme Rosnoblet – CAF – Lyon.